La CPI et la souveraineté nationale des états africains : Le cas de la Côte d’Ivoire
Par Correspondance particulière - La CPI et la souveraineté nationale des états africains.
Deux principes essentiels régissent le statut de la CPI: la complémentarité des compétences de
la Cour et des juridictions nationales et la coopération des États avec la Cour. Dans le
préambule et l'article 1er, il est précisé que la Cour est complémentaire des juridictions
criminelles nationales. Les articles 17 et 20 mettent en évidence les méandres de cette
complémentarité. L'article 17 pose les questions de recevabilité ou d'irrecevabilité d'une
affaire, et évoque les conditions dans lesquelles la Cour doit se dessaisir d'une affaire au profit
d'un État. L'article 20 pose, quant à lui, le principe classique de droit pénal. La notion de
complémentarité a trait grosso modo aux hypothèses dans lesquelles la Cour pénale
internationale se déclare compétente. En matière de compétence de la Cour, l'article 99§4 est
le seul qui autorise le procureur de la CPI à enquêter sur le territoire d'un État, sans la
collaboration des autorités judiciaires de celui-ci. Dans un tel contexte, le Conseil
constitutionnel d'un État peut trouver qu'une telle démarche porte atteinte à sa souveraineté
nationale, il peut alors se permettre de refuser l'assistance de la CPI, en évoquant des
problèmes liés à sa sécurité nationale que personne ne peut l'obliger à divulguer. Les Chefs
d'État africains se lamentent de la CPI parce que dans le dossier Kenyatta (du Kenya), l'on a
tendance à concéder à la Cour une certaine primauté sur les juridictions nationales africaines.
Pis, la Cour, face aux États africains se mue progressivement en Haute Cour de justice
des États africains où leurs leaders politiques comparaissent surtout pour haute trahison vis-àvis
des intérêts des pays occidentaux, et non véritablement pour crimes contre l'humanité. Le
contentieux électoral ivoirien est un exemple patent. Si la Cour se penchait réellement sur les
crimes contre l'humanité dans ce pays, de nombreux leaders ivoiriens, adversaires politiques
du président Laurent Gbagbo seraient détenus aujourd'hui à la Haye. Dans cette Haute Cour
nous avons un procureur qui accuse et anticipe dans des entretiens les sentences du juge: nous
savons déjà grâce à la procureure Bensouda que le président Laurent Gbagbo ne sera pas
libéré. A la tête de l'ONU siègent les avocats de cette Cour. Le discours hermétique de son
Excellence Suzan Rice est assez incisif, quand elle défend, après Christine Lagarde, le
candidat de leur choix: Alassane Ouattara. Elle dit de manière explicite: «Dans le cas ivoirien,
le peuple avait élu effectivement un président mais l'ONU s'est rendu compte que les élections
ne se sont pas passées de manière convenable, que les votes ont été manipulés et a donc
décidé de s'impliquer afin d'installer la personne appropriée et cela a été fait à l'aide de moyen
militaire». Ce discours hermétique laisse à son Excellence plusieurs voies de sortie puisqu'elle
se garde de préciser qui a gagné les élections, afin d'avoir la possibilité de négocier avec celui
qui sortira vainqueur de la crise ivoirienne. Si le président Laurent Gbagbo en sort vainqueur
elle le félicitera et dira qu'elle a reconnu sa victoire aux élections ivoiriennes dont les votes
ont été manipulés par son adversaire politique. Si Alassane Ouattara voit sa cause triompher
(ce qui est impossible parce qu'il n'a pas le soutien de son peuple au vu de l'affluence des
populations lors des différentes élections. La violence, les rafles, les emprisonnements ne sont
pas des solutions à la crise ivoirienne, mais exacerbent plutôt le peuple), elle dira donc
éventuellement qu'il a toujours été perçu comme l'homme de la situation. Face à l'adversité
politique, à ses alliés ivoiriens (le PDCI) qui regrettent le choix qu'ils ont opéré, gouverner par
ordonnance pour surmonter les obstacles politiques au sein du Parlement ivoirien semble une
des solutions adoptées par Alassane Ouattara, dans le but de mieux protéger les intérêts de
ceux qui l'ont installé. Conscient du fait que les ivoiriens dans leur ensemble se mettent à
râler, il a jugé bon de s'entourer des membres des tribus du Nord dont il est originaire: Banny
ancien premier ministre chargé d'oeuvrer à la réconciliation entre les ivoiriens a été remplacé
par un homme du Nord, le chef d'État major et son adjoint sont originaires du Nord, les
personnes qui détiennent la communication sont désormais du Nord. On a l'impression
d'assister à un autre coup d'État qui lui permet de substituer la République du Nord à la
République ivoirienne. Ce qui lui permet de régner en maître absolu sur un peuple divisé, en
faisant des populations du Nord un bouclier humain. Alassane Ouattara reprochait à ses
prédécesseurs un certain tribalisme qui n'existait pas en réalité, mais nous constatons qu'il
instaure lui-même, à dessein, les conditions d'une implosion sociale avec le soutien indirect de
la CPI qui joue en Afrique un rôle répressif et non préventif ou dissuasif. La Cour est
devenue, en effet, au regard de tout ce qui se passe, l'instrument d'une nouvelle forme de
colonisation, et crée les conditions d'un protectionnisme voilé face à la Chine, à la Russie, au
Brésil qui ont décidé de conquérir le marché économique africain. Nous savons que les propos
de son Excellence Suzan Rice se sont attelés à jeter surtout un voile sur le contentieux
électoral ivoirien qui éclabousse, aujourd'hui, de nombreuses autorités politiques. Les faits
nous montrent que ce n'est pas l'ONU qui est intervenue militairement en Côte d'Ivoire mais
l'armée française, puisque cette intervention a été approuvée par tous les partis politiques au
sein du Parlement français. En affirmant que la personne appropriée pour gouverner la Côte
d'Ivoire est Alassane Ouattara, nous constatons que son voeu est de voir le candidat du peuple
ivoirien Laurent Gbagbo croupir dans les geôles de la Haye. Ces propos portent, en fait,
atteinte à la souveraineté nationale ivoirienne qui repose sur la souveraineté populaire: celle
du peuple. Chaque citoyen d'un État détient une part de souveraineté qui se traduit par un
régime de démocratie directe avec suffrage universel, et nul ne peut déposséder un citoyen de
la part de souveraineté qui lui est conférée. L'ONU et la CPI ne peuvent se permettre de
décider pour les peuples africains, en les privant de leur droit de vote, en rejetant du revers de
la main les résultats des élections ivoiriennes qui ont conduit aux crimes contre l'humanité.
Quant aux présidents africains pourchassés comme de vulgaires criminels, il est bon de
préciser que la complémentarité des compétences du statut de la CPI ne peut se muer en une
primauté de la Cour sur nos juridictions nationales, ce serait porter atteinte à notre
souveraineté. Le constitutionnaliste allemand Georg Jellinek affirme, en effet, que la
souveraineté est la compétence de la compétence, ce qui signifie que celui qui décide quelles
sont les personnes compétentes pour telle ou telle matière est le souverain. Le souverain peut
déléguer ou transférer des compétences, sans que cela ne touche à sa souveraineté, tant qu'il
conserve la possibilité de reprendre ses compétences. Cette précision du constitutionnaliste
nous conduit implicitement au second principe du statut de la CPI: la coopération des États
avec la Cour. La création de la CPI par les États n'exprime pas leur volonté de transférer leurs
compétences et perdre ainsi une partie de leur souveraineté. Sa création obéit plutôt à un
partage de compétences. Si les États africains constatent dans le dossier Laurent Gbagbo
(Côte d'Ivoire) et Kenyatta (Kenya), que la Cour est devenue l'instrument d'une nouvelle
forme de colonisation, ou crée seulement les conditions d'un protectionnisme qui ne dit pas
son nom, les Africains peuvent s'accorder le droit de reprendre leurs compétences et de
protéger ainsi leur souveraineté. Nous nous rendons progressivement compte avec le dossier
ivoirien et Kenyan que la Cour ne crée pas les conditions d'une paix durable entre les peuples.
La priorité des États africains n'est pas la justice ou le Droit international qui les bâillonne
mais plutôt la démocratie susceptible d'éviter les divisions entre leurs citoyens, en protégeant
les intérêts de toute la nation. Pour aller à une véritable démocratie, afin de créer les
conditions d'une justice impartiale, il nous faut d'abord conquérir notre souveraineté nationale,
en ne laissant pas l'étranger nous dicter la voie à suivre, puisqu'en politique nous n'avons pas
d'amis, mais des intérêts à défendre.
Une contribution par Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)