Kouakou Edmond, Docteur en droit, Consultant: Double fiscalité et endettement : Une menace pour l’indépendance financière de la Côte d’Ivoire
International Crisis Group (ICG) a publié un rapport le 1er août 2011. L’une de ses recommandations mérite un commentaire. L’organisation
International Crisis Group (ICG) a publié un rapport le 1er août 2011. L’une de ses recommandations mérite un commentaire. L’organisation
préconise à l’Etat ivoirien de « recouvrer rapidement l’intégralité de ses recettes fiscales ». A cet effet, elle propose « le démantèlement de la Centrale, la structure fiscale mise en place par les Forces Nouvelles pour collecter les taxes dans la zone septentrionale... Ce démantèlement peut débuter par plusieurs décisions concrètes, touchant plusieurs symboles de la double fiscalité toujours en vigueur en Côte d’Ivoire. La première est la levée de tous les barrages routiers afin de permettre plus de fluidité dans la circulation. La seconde est l’abandon des taxes perçues par les FN sur les produits vivriers, particulièrement à l’entrée et à la sortie du marché de gros de Bouaké, l’un des poumons économiques du centre et du nord. Toutes les autres taxes sur les marchés alimentaires récupérées par l’ex-rébellion doivent être désormais versées aux municipalités comme cela se doit. La libération des postes frontaliers du nord du pays et le retour des services de douanes, particulièrement aux frontières burkinabé et malienne, sont un des autres impératifs de l’unicité de caisse ».
En faisant ces propositions, ICG attire l’attention sur un phénomème récurrent depuis le 19 septembre 2002 : l’exploitation par la rébellion des zones occupées par elle. Le fait nouveau est que la rébellion est maintenant au pouvoir et que son comportement a empiré, puisque son système économique et fiscal a été élargi à toute la Côte d’Ivoire.
Une telle pratique comporte de graves conséquences. Pour les individus, cette fiscalité parallèle se traduit par le racket en règle des transporteurs (de toutes marchandises, notamment agricoles dont le vivrier, le cacao etc.) et des populations (quittance sur deux roues, droit de passage pour aller au champ). Faut-il s’étonner que le prix des denrées sur le marché soit élevé et que des populations hésitent à retourner chez elles et dans leurs plantations ?
Elle prend aussi la forme d’une captation des ressources qui auraient pu émaner d’une exploitation légale de ce qui constitue l’économie de guerre. Les formes les plus connues résident dans les occupations d’hôtels, des plantations, des stations services etc., l’exploitation de certaines ressources agricoles (coupe de bois et exportations du café et du cacao) minières (or, diamant, manganèse), le pillage de l’outil de production de certaines entreprises et des domiciles et bureaux. Les ports d’Abidjan et San Pedro n’y échappent pas.
Si avant le 11 avril, les seigneurs de guerre justifiaient ces prélèvements par les nécessités du financement de l’effort de guerre, aujourd’hui, certains d’entre eux prétendent que cette main basse sur nos ressources s’explique par le fait qu’ils n’ont pas été rémunérés pour le combat mené, afin que M. Ouattara accède au pouvoir.
Ainsi, les tributs imposés aux vaillantes populations et les razzias sur leurs biens personnels et les richesses naturelles de la Côte d’Ivoire, qui nous ramènent à l’époque pré fiscale, seraient la rétribution que les ivoiriens doivent supporter pour rémunérer les « faiseurs de roi ». Evidemment, il s’agit d’une fiscalité non consentie. Sommes-nous toujours dans un régime démocratique pour qu’il soit exigé des « hommes forts du régime » un respect scrupuleux pour le principe du consentement à l’impôt, un héritage de la lutte des peuples à travers l’histoire que notre constitution a intégré ? Est-ce à la population de supporter une telle charge ? Pendant combien de temps cela va-t-il durer ?
Le Gouvernement peut-il laisser ces personnes continuer de percevoir des ressources publiques ? Il est bon de savoir à ce propos que la législation financière ivoirienne confie le soin de recouvrer les recettes publiques aux seuls comptables publics et exceptionnellement à des agents qui travaillent sous leur responsabilité. Ces personnes qui sans titre légal, perçoivent les ressources publiques devraient donc être poursuivies. Or, curieusement, les animateurs de cette centrale financière travaillent sous l’autorité directe de M. Ouattara, sans être inquiétés. M. Soro Guillaume, responsable des Forces nouvelles est premier ministre, alors que M. Dosso Moussa qui la dirige, est ministre. Quant aux « régisseurs », ils exercent leur activité sous la responsabilité des comzones que M. Ouattara vient de nommer à de hauts postes de responsabilité dans les forces armées rebaptisées « républicaines ». Faut-il s’étonner que, de manière récurrente, la presse et d’autres observateurs fassent état du refus de ces hommes de laisser les postes frontaliers aux fonctionnaires des douanes ?
Cette fiscalité parallèle n’est pas compatible avec la bonne gouvernance tant prônée par les institutions financières internationales. Ici, elle devrait se traduire par l’unicité des caisses. Mais manifestement, M. Ouattara, le fonctionnaire du FMI aux solutions miracles, semble avoir oublié les bons préceptes dont il devrait être l’ardent défenseur.
Et pourtant, elle occasionne un manque à gagner pour les personnes publiques qui devraient en être destinataires, notamment les collectivités territoriales que sont, entre autres, les communes et l’Etat.
Pour l’Etat, ce manque à gagner se révèle important. La chute drastique des ressources constatées dans certains centres de collecte d’impôt permet d’envisager, qu’en fin d’année, les recettes intérieures se situeront très loin du chiffre de 2500 milliards de F. CFA que les régies financières s’étaient engagées à mobiliser en 2011. Pis, les chiffres attendus ne peuvent permettre de faire face aux besoins essentiels de l’Etat, comme le paiement des salaires des fonctionnaires et les autres dépenses d’administration courante, sans un endettement.
Or, la CI a toujours payé ses fonctionnaires sur ses ressources propres. Depuis 1962, c’est le Budget Général de Fonctionnement (institué à côté du Budget Spécial d’Investissement et d’Equipement ) et financé exclusivement par les ressources internes, qui le supportait, jusqu’à ce que, à partir de 1998, les bailleurs de fonds imposent aux autorités ivoiriennes, le retour à l’unité budgétaire. Cette fusion en un seul budget de l’Etat n’a pas mis fin au financement des dépenses de fonctionnement à partir des ressources internes. Au contraire, dès 2001, le Président Laurent Gbagbo va approfondir cette conception avec la doctrine du « budget sécurisé ». Il s’agissait ni plus ni moins que d’assurer, grâce aux ressources effectivement mobilisables, un financement essentiellement interne des dépenses indispensables de l’Etat, dans un contexte de rapport très difficile avec les bailleurs de fonds. On retrouvait dans cette rubrique toutes les dépenses de fonctionnement y compris les salaires, mais aussi les dépenses des secteurs sociaux comme l’éducation et la santé etc. Cette option est demeurée même pendant les quatre mois de la crise postélectorale, car les salaires de mars avaient été positionnés par l’ancien gouvernement.
C’est à cette expérience cinquantenaire de financement des dépenses publiques que M. Ouattara vient de mettre fin en recourant à l’endettement pour faire face aux charges de fonctionnement. Dans la foulée, cette dette est destinée aussi à supporter des charges nouvelles, comme celles des entreprises à dédommager du fait du saccage incompréhensible par des bandes de pilleurs qu’il a fait déferler sur la Côte d’Ivoire. Ce qui oblige l’Etat à se priver de certaines ressources, dans la mesure où, plus que d’ordinaire, la loi de finances doit concéder des allègements fiscaux à des entreprises pour leur permettre de renouveler leur outil de production cassé par la bande de pilleurs de M. Ouattara. Notons que le secteur privé a évalué ses pertes directes et indirectes à près de 1000 milliards de f. cfa.
Au moment où la Côte d’Ivoire croit percevoir le bout du tunnel avec la probable atteinte du point d’achèvement dans le cadre du programme des pays pauvres très endettés (PPTE) qui va délester le budget de l’Etat d’une charge importante au titre du service de la dette, M. Ouattara replonge le pays dans un endettement inconséquent, hypothéquant gravement ses chances de développement et d’indépendance financière. Non, l’endettement n’est pas intelligent lorsqu’il est destiné aux charges de fonctionnement et à reconstruire ce qui ne devrait pas être détruit. Ce ne sont pas les investissements à réaliser qui manquent pour que M. Ouattara impose à la Côte d’Ivoire ce retour en arrière qui n’était pas nécessaire dans sa marche en avant.
Au-delà de l’aspect financier de cette question, une réflexion doit être conduite sur les causes de ce désastre économique et financier. Il nous faut en effet débattre du mode d’accession au pouvoir. C’est un secret de polichinelle que c’est la soif de pouvoir de M. Ouattara qui a plongé la Côte d’Ivoire dans ces difficultés financières. Suffit-il d’une frustration supposée pour qu’un individu se mette au service d’intérêts étrangers sordides, en cautionnant une bande de pilleurs, une armée de dozos et une légion étrangère pour détruire les acquis économiques d’un pays ? Qu’aurait été la Côte d’Ivoire si en 1990, le Président Laurent Gbagbo parce qu’il pensait avoir gagné l’élection présidentielle, avait levé une rébellion ? Qu’aurait été la Côte d’Ivoire si en 1999, le Président Henri Konan Bédié, parce qu’estimant avoir été injustement écarté du pouvoir à la suite du coup d’Etat, avait mobilisé une rébellion contre son pays ? Imposer à la Côte d’Ivoire une guerre d’une dizaine d’années pour en arriver là ? Rappelons au passage que la rébellion de M. Ouattara aura détruit des équipements de base et des entreprises, privé l’Etat de ressources fiscales, provoqué l’exploitation illégale et abusive des ressources minières, agricoles etc., cassé la cohésion sociale en construction, fait la promotion de la médiocrité avec des dozos qui remplacent des policiers, des chauffeurs de gbaka qui remplacent les chauffeurs de bus… Au finish, en faisant un bilan, ne serait-ce que partiel de cette rébellion, l’interrogation demeure : cela valait-il vraiment la peine ? Lorsque l’amour pour son pays se traduit par un tel désastre, il devient très suspect.
Kouakou Edmond, Docteur en droit, Consultant