Justice en Côte d'Ivoire: Le COPACI écrit au procureur et appelle à une occupation de la CPI

A Monsieur Louis Moreno, Procureur près la Cour Pénale Internationale de La Haye

Maanweg,174, 2516 AB La Haye- Pays Bas

Objet: Opposition à toute Justice arbitrairement sélective
du temps, de l’espace et des individus pouvant faire
l’objet de poursuites par la Cour Pénale Internationale
dans le cadre de son intervention dans le dossier ivoirien.

Monsieur le Procureur,

Le bureau politique du Copaci devant la Cour pénale internationale, à La Haye.

A Monsieur Louis Moreno, Procureur près la Cour Pénale Internationale de La Haye

Maanweg,174, 2516 AB La Haye- Pays Bas

Objet: Opposition à toute Justice arbitrairement sélective
du temps, de l’espace et des individus pouvant faire
l’objet de poursuites par la Cour Pénale Internationale
dans le cadre de son intervention dans le dossier ivoirien.

Monsieur le Procureur,

 
Dans ses courriers adressés au Président de la Cour Pénal Internationale ainsi qu’à vous en date du 14 décembre 2010, référencé NR0039-PR-du 14/12/2010, M. Alassane Dramane Ouattara a affirmé engager la Côte-d’Ivoire «à coopérer pleinement et sans délai avec la Cour Pénale internationale, notamment en ce qui concerne tous les crimes et exactions commis depuis mars 2004». Dans ces courriers, il a été évoqué la «déclaration de reconnaissance de la Cour Pénale Internationale» par le gouvernement ivoirien, en date du 18 avril 2003, dans un courrier signé par son ex-Ministre d’Etat, Ministre des Affaires étrangères, M. Bamba Mamadou. Suite à cette évocation, M. Alassane Dramane Ouattara déclara dans ses courriers du 14 décembre 2010: «j’ai l’honneur de confirmer la déclaration du 18 avril 2003». A ce niveau, nous voudrions faire remarquer que la confirmation de la déclaration du 18 avril 2003 par M. Alassane Dramane Ouattara est fallacieuse dans la mesure où elle exclut de votre champ d’enquête la période du 19 septembre 2002 au mois de février 2004. Cette quête subjective et partisane de la justice a été également manifestée dans un mémorandum en date du 9 mars 2011 signé par messieurs Jean-Pierre Mignard et Jean-Paul Benoît, tous deux désignés Conseils de la République de Côte-d’Ivoire.
Par ailleurs, persévérant dans sa volonté d’une justice partiale et dépendante, le Président Alassane Dramane Ouattara vous a adressé un second courrier référencé N/réf.:0086/PR en date du 3 mai 2011 dans lequel il fit la déclaration suivante: «Par la présente, j’entends confirmer mon souhait que votre Bureau mène en Côte-d’Ivoire des enquêtes indépendantes et impartiales sur les crimes les plus graves commis depuis le 28 novembre 2010 sur l’ensemble du territoire ivoirien, et fasse en sorte que les personnes portant la responsabilité pénale la plus lourde pour ces crimes soient identifiés, poursuivis et traduites devant la Cour pénale internationale.» Comme dans ses premiers courriers, le Président Alassane Dramane Ouattara a encore décidé d’exclure de votre champ d’enquête une période, mais cette fois plus étendue, notamment celle du 19 septembre 2002 au 27 novembre 2010. Or cette exclusion est contraire à la déclaration de reconnaissance du 18 avril 2003, qui a qualité de déclaration de référence, parce que rappelée et « confirmée » dans les deux correspondances ci-dessus mentionnées.
Le contenu substantiel de la déclaration du 18 avril 2003 est formulé en ces termes: «Conformément à l’article 12 paragraphe 3 du statut de la Cour Pénale Internationale, le Gouvernement ivoirien reconnaît la compétence la Cour aux fins d’identifier, de poursuivre, de juger les auteurs et complices des actes commis sur le territoire ivoirien depuis les évènements du 19 septembre 2002.(...)Cette déclaration, faite pour une durée indéterminée, entrera en vigueur dès sa signature.» Vu ce qui précède, il apparaît clairement que le Président Alassane Dramane Ouattara, contrairement à ce qu’il affirme, ne fait pas une confirmation stricto sensu de la déclaration de reconnaissance du 18 avril 2003. Bien au contraire, il fait le choix arbitraire de limiter votre champ d’enquête dans le but d’occulter certains crimes graves commis par la rébellion depuis le 19 septembre 2002, dont il est le parrain et dont le chef, M. Soro Guillaume, est son premier Ministre.
Vous semblez, malheureusement, avoir adhéré à la tentative de manipulation subtile de la Cour Pénale Internationale par le Président Alassane Dramane Ouattara. Car, comme lui, vous avez pris pour date de référence le 28 novembre 2010. Dans ce sens, vous avez informé le 19 mai dernier, par lettre officielle, le Président de la Cour de votre intension de soumettre à la Chambre préliminaire une requête afin d’obtenir l’autorisation d’ouvrir une enquête relativement à la situation en Côte-d’Ivoire depuis le 28 novembre 2010. Votre choix de cette date laisse évidemment peser des doutes fondés sur l’indépendance et l’impartialité de la Cour pénale internationale et, par voie de conséquence, sur sa crédibilité. Car, au nom de quel droit et de quelle justice les victimes des crimes et violations graves des droits humains antérieures au 28 novembre 2010 doivent être privées de justice, alors que les victimes à compter de cette date doivent y avoir droit?
Dans un véritable esprit de justice et pour une véritable indépendance et impartialité de la Cour Pénale Internationale, nous voudrions vous rappeler que, conformément à l’article 11 paragraphe 1 relatif à la compétence de la Cour Pénale Internationale à compter de l’entrée en vigueur du Statut de Rome le 1er juillet 2002, la date du 19 septembre 2002 est le terminus a quo des crimes et violations graves des droits de l’homme commis en Côte-d’Ivoire.
Le Courant de Pensée et d’Action de Côte-d’Ivoire (COPACI) ne saurait accepter une justice partiale, sélective du temps, de l’espace et des individus, dans le but de cautionner ou de consacrer un droit à l’impunité d’une catégorie d’individus.
Notre attachement à une justice véritablement indépendante et impartiale vous a déjà été exprimé dans notre saisine en date du 20 octobre 2008, dans laquelle nous vous demandions de bien vouloir diligenter une enquête aux fins d’élucider les crimes et violations graves des droits humains commis sur le territoire ivoirien depuis le 19 septembre 2002 et d'en punir les responsables et coupables. A notre saisine, vous avez répondu, le 9 décembre 2008, par un courrier référencé OTP-CR-4358/08, signé par M.P. Dillon «Chef de l’Unité des Informations et des éléments de preuve». Vous nous avez signifié dans ce courrier que «Les informations y (notre saisine) figurant ont été inscrites comme il se doit au registre des communications du Bureau et recevront toute l’attention voulue, conformément aux dispositions du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.» Par ailleurs, dans ce même courrier, vous avez affirmé ne pas manquer de nous « communiquer par écrit la décision qui aura été prise à ce sujet, ainsi que les motivations qui la justifient.»
De notre longue attente de cette communication a résulté la nécessité de vous adresser deux motions aux dates du 14 septembres 2009 et du 11 juin 2010, suivies d’un sit-in devant la Cour Pénale Internationale le 11 juin 2010, en guise de rappel et de protestation contre ce que nous considérions comme une indifférence face aux nombreux crimes et violations graves des droits humains commis en Côte-d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002.
Tout en nous étonnant de l’intérêt soudain que vous manifestez depuis le 16 décembre 2010 pour la fin de l’impunité en Côte-d’Ivoire, nous voudrions rappeler l’esprit d’impartialité, d’équité et de probité qui doit vous guider pour la crédibilité de l’institution judiciaire dont vous êtes le Procureur. Car aucun protagoniste ou antagoniste dans la crise et la récente guerre en Côte-d’Ivoire ne peut se prévaloir d’une quelconque position ou situation pour jouir d’une impunité par une manipulation et une instrumentalisation politique de la Cour Pénale Internationale. Vous devez faire droit à cette exigence de justice pour l’indépendance, l’impartialité et la crédibilité de la Cour Pénale Internationale.
Nous tenons à rappeler que les différentes enquêtes internationales sur les violations des droits de l’homme menées en Côte-d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002 ont bien reconnu que les principaux acteurs de la crise et de la guerre se sont rendus responsables ou coupables des crimes et violations graves des droits de l’homme. Par conséquent, la lumière de la justice ne doit pas être éteinte sur les crimes d’un camp pour les occulter, pendant qu’elle éclairerait fortement ceux du camp adverse pour les exposer et les punir. A travers vous, la Cour Pénale Internationale joue donc sa crédibilité dans le cadre du dossier ivoirien. Vous avez le devoir sacré de satisfaire un impératif de justice pour toutes les victimes, au regard des rapports des différentes Commissions ou Missions internationales d’enquêtes relatives au dossier ivoirien.
Primo, nous tenons à citer le rapport de la Commission Internationale d’enquête d’octobre 2004 présidée par le Professeur Gérard Balanda et créée conformément aux dispositions de l’annexe VI de l’Accord de Linas-Marcoussis et à la Déclaration du Président du Conseil de Sécurité de l’ONU du 25 mai 2004 (PRST/2004/17). Selon son rapport, «La Commission a pu découvrir de nouveaux charniers essentiellement à Man, à Korhogo, à Bouaké, à Toulepleu, à Blolequin, à Bangolo, à Vavoua et à Yamoussoukro. (..) La cartographie des charniers et massacres en Côte d’ivoire suite aux événements du 19 septembre 2002 montre que les principaux sites de charniers ont été identifiés dans des localités comme Toulepleu, Danané, Man, Bangolo, Monoko-Zohi, Daloa, Abidjan, Bouaké, Korhogo et Odiénné.(..)Les cicatrices observées sur bon nombre des victimes de la torture ainsi que des photos et cassettes vidéo reçues par la Commission témoignent de l’ampleur et de la pratique généralisée de la torture tant du côté des rebelles que du côté des forces gouvernementales.(…) Les plus graves violations des droits de l’homme ont été observées à travers les violences sexuelles faites aux femmes, fruit de la banalisation de la souffrance ainsi que du mépris de la dignité de la personne humaine en Côte d’Ivoire. De chaque côté des belligérants, les femmes ont été utilisées pour assouvir des appétits bestiaux des combattants dont certains étaient sous l’effet des drogues. Les cruautés et la barbarie auxquelles les femmes ont été soumises constituent une preuve que la violence à l'encontre des femmes n'est pas encore perçue comme un crime grave en Côte d’Ivoire.(..) L’identité de certains auteurs de ces viols, parfois collectifs, a été révélée à la Commission et leurs noms figurent sur la liste confidentielle en annexe du présent rapport.» La Commission n’a pas manqué de mentionner dans son rapport la responsabilité et «les implications majeures directes ou indirectes de pays étrangers (limitrophes) dans la crise ivoirienne.»
Secondo, la responsabilité et la culpabilité des deux parties belligérantes, relatives aux violations graves des droits humains et du droit international humanitaire, ont été reconnues dans les différents rapports de Human Rights Watch. Il s’agit notamment des rapports d’août 2003 intitulé «Prise entre deux guerres: Violence contre les civils dans l’ouest de la Côte-d’Ivoire», d’octobre 2004 intitulé «Côte-Ivoire: Etablir les responsabilités dans les graves crimes contre les droits humains, un élément clé pour résoudre la crise», de mai 2005 intitulé «Un pays au bord du gouffre: La précarité des droits humains et de la protection civile en Côte-d’Ivoire », de mai 2006 intitulé ««Parce qu’il ont des fusils…il ne me reste plus rien»: le prix de l’impunité persistante en Côte-d’Ivoire», d’août 2007 intitulé « Mon cœur est coupé: Violence sexuelles commises par les forces rebelles et progouvernementales en Côte-d’Ivoire», et enfin d’octobre 2010 intitulé « Terrorisés et abandonnés: l’anarchie, le viol et l’impunité dans l’ouest de la Côte-d’Ivoire».
Dans son rapport d’octobre 2004, Human Rights Watch affirmait que «La guerre civile de 2002-2003, bien que de courte durée, a été marquée par des atrocités commises par les deux camps, notamment de nombreux massacres, des abus sexuels et l'utilisation généralisée d'enfants soldats. Ni le gouvernement ivoirien ni les dirigeants rebelles n'ont pris de mesures concrètes pour enquêter et faire répondre de leurs actes les grands responsables de ces crimes.»(p2) Dans son rapport de mai 2005, elle n’a pas non plus manqué de faire remarquer que « Le conflit armé de 2002-2003 et l’agitation politique qui l’a suivi ont entraîné de nombreuses atrocités tant du fait du gouvernement que des forces rebelles, en violation des droits humains et des normes internationales humanitaires. Des meurtres, des violences sexuelles contre les femmes, et le recours à des enfants soldats ont été courants aussi bien dans les zones contrôlées par les rebelles que par le gouvernement.»(p40)
Enfin, nous tenons à évoquer les différents rapports d’Amnesty international relatives à la crise et la guerre ivoiriennes. Nous nous référons particulièrement à son rapport du 15 mars 2007 intitulé «Côte-d’Ivoire: Les femmes, victimes oubliées du conflit», et à celui de mai 2011 intitulé «Ils ont regardé sa carte d’identité et l’ont tué». Dans le premier rapport cité, Amnesty International fit le constat suivant: « L'actuelle crise politique et militaire que connaît la Côte d'Ivoire depuis 2000 a conduit aux atteintes des droits humains les plus graves jamais commises dans ce pays depuis l'indépendance en 1960. (…) Des femmes de tous âges et de toutes origines ont été violées par toutes les parties et ces victimes continuent à n'avoir accès ni à une réparation efficace ni à des soins médicaux.»(p36) Et dans le second rapport cité, il est dit que «Les informations recueillies par Amnesty International montrent que toutes les parties ont commis des crimes au regard du droit international, notamment des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.»(p62)
A ces différents rapports il faudra également ajouter celui de la Divion des droits de l’homme de l’ONUCI, du mois de janvier 2005.
Nous avons tenu à citer la Commission Internationale d’enquête de 2004, Human Rights Watch et Amnesty International pour leur approche beaucoup objective des faits. Par conséquent, nous voudrions vous conseiller la lecture de ces différents rapports, si nécessaire, pour vous faire une idée des nombreux crimes graves commis en Côte-d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002, étant donné que la présente ne peut servir de cadre de leurs qualifications particulières et de leur énumération exhaustive.
Nous espérons que toute décision de la Cour Pénale International de se saisir du dossier ivoirien s’inscrira dans l’impératif d’une justice intégrale et impartiale et non dans le scandale d’une justice politiquement instrumentalisée, borgne et louche, ne voyant que dans une seule direction. C’est pourquoi nous réitérons notre demande d’élucidation et de punition de TOUS les crimes et violations graves des droits humains commis depuis le 19 septembre 2002 et relevant de la compétence de la Cour Pénale Internationale. Cette demande sera soutenue par une grande manifestation, à dimension internationale, devant la Cour Pénale Internationale, de démocrates et de tous ceux qui sont épris de paix et de justice indépendante et impartiale, à une date qui vous sera indiquée .
Nous espérons que vous accorderez une attention particulière à la présente et vous prions de croire, Monsieur le Procureur, en l’assurance de notre considération distinguée.

Fait à Paris le 31 Mai 2011

Pour le Bureau Politique du COPACI
(Courant de Pensée et d’Action de Côte-d’Ivoire)
M. Blaise Pascal LOGBO Président du Parti
Mail :copaci@msn.com