Interview / Serges Kassy, artiste chanteur ivoirien :“Alpha Blondy n’a pas d’idéal… je suis le Bob Marley ivoirien”
Le 15 mai 2012 par L’Intelligent d’Abidjan - En exil suite à la crise postélectorale de 2010, Serges Kassy a célébré le 31ème anniversaire de la commémoration du décès de Bob Marley loin de son public et des scènes
Le 15 mai 2012 par L’Intelligent d’Abidjan - En exil suite à la crise postélectorale de 2010, Serges Kassy a célébré le 31ème anniversaire de la commémoration du décès de Bob Marley loin de son public et des scènes
ivoiriennes. Joint via Internet, le reggae maker rend son témoignage de l’homme qu’il appelle le ‘’Pape du reggae’’ et revient sur l’actualité internationale.
Le 11 mai a marqué la commémoration de la date anniversaire du célébre Robert Nesta Marley alias Bob Marley. Quel souvenir gardez-vous de lui ? C’est une fierté de savoir que chaque année, l’on se souvienne de celui qui, pour nous, est le pape du reggae. Il fut un précurseur qui a éveillé nos consciences. Car, Jamaïcain de son état, il défendait l’Afrique et le tiers-monde devenant ainsi la courroie de transmission entre l’Occident et le tiers monde. Je garde de lui l’image d’un artiste engagé qui a su allier musique et combat politique. Aujourd’hui, quel est votre regard sur l’évolution de la musique reggae ? Bob Marley avait lui-même prédit que l’avenir du reggae dans 20 ans se trouverait en Afrique et je pense qu’il n’a pas menti. Car effectivement la vulgarisation du reggae est le fait des artistes africains et du tiers monde. Le reggae demeure et reste encré dans l’esprit des générations qui se succèdent et c’est cela la force du reggae. Est-il vrai que la musique reggae reste une musique d’engagement pour la revendication des causes ? Oui! Le reggae n’est pas une musique du genre ‘’je t’aime moi non plus’’. C’est une musique de combat. D’ailleurs dans les temps anciens, pour protester contre l’oppression et contre le traitement des esclaves dans les plantations de canne à sucre, nos parents chantaient déjà cette forme de musique. Ils l’appelaient ‘’Ska’’ qui va se transformer plus tard en musique reggae. Donc, le reggae est le moyen d’expression des Rastas pour protester contre l’emprise de Babylone (Ndlr: du mal) sur les peuples noirs. Comment s’est faite votre rencontre avec la musique reggae ? J’ai découvert le reggae dans les années 77 avec l’avènement de ‘’No woman no cry’’ de Bob Marley à travers les émissions de radio Côte d’Ivoire à savoir ‘’Oki Martins show’’ avec à la technique un certain Assi Akawa. C’était la belle époque avec les Peter Tosh, Iroy, U Roy, Culture, Gladiators, Bunny Wailers, Jimmy Cliff, Gregory Isaac, Burning Spear, Yellow Man… Si vous n’aviez pas fait du reggae, quel autre genre musical auriez-vous choisi de faire ? Je pense que mon tempéramment ne m’aurait pas permis de faire une autre musique que le reggae. Car, la lutte, le combat d’idées, l’emprise de l’Occident sur le tiers monde, la Françafrique, les guerres, les coups d’Etat, la dictature et la pauvreté des peuples ne m’auraient pas orienté vers une autre musique que le reggae. Je n’ai que cela dans le sang. Selon vous, qui est le meilleur artiste reggae ivoirien ? Je disais en son temps qu’après Alpha Blondy pour qui je vouais un grand respect et une grande admiration, c’était moi. Mais, les événements post-électoraux (Ndlr; Nicolas Sarkozy) m’ont démontré qu’en fait, mon grand frère n’a pas d’idéal. Il nage à vaut l’eau ou au gré de ses intérêts. Ce n’est pas le président Laurent Gbagbo depuis sa déportation à la Haye qui me dira le contraire. En Côte d’Ivoire, je suis le meilleur artiste reggae. Parce que je suis le plus constant et surtout celui qui a toujours été recalé par les grands lobbyistes car ayant fait le choix de la défense de mon peuple. Je n’en vois pas deux. Je suis le seul. Je suis le Bob Marley ivoirien. Et de par mon talent, je suis en train d’être découvert aujourd’hui par des structures qui m’avaient fermé leurs portes par le passé. Le 6 mai dernier, le président sortant Nicolas Sarkozy est battu aux élections. Un commentaire ? Je voudrais rendre grâce au Seigneur, car le plus beau cadeau qu’il ait pu me faire le jour de mon anniversaire, le 06 mai, c’était de dégager Nicolas Sarkozy de la tête de la France. Ce cadeau, le Seigneur l’a fait au nom des miens tombés à Duékoué, dans les villages de l’Ouest de la Côte d’Ivoire, dans les camps d’Akouédo et ceux qui ont perdu la vie dans les représailles à Abidjan. Au nom de tous ceux qui sont tombés pendant la crise postélectorale ou aujourd’hui en prison, le départ de Sarkozy est une réponse de Dieu qui vient de nous démontrer que l’impunité ne reste jamais impuni. Il l’a fait pour Abdoulaye Wade, pour Amadou Toumani Touré. Il en reste d’autres, mais Dieu fera son travail et en son temps. François Hollande à la barre, est-ce selon vous la fin de la Françafrique ? J’avoue que je n’attends rien de fondamental de la part de Monsieur François Hollande. Il a promis de mettre fin à la Françafrique à travers son monsieur Afrique, Kofi Gnamgnagne. S’il le fait, il aura l’estime de toute l’Afrique. S’il ne le fait pas, l’histoire retiendra. Mais déja, Dieu a permis de dégager le bourreau (Ndlr; Nicolas Sarkozy) de mon peuple. A quand le retour de Serges Kassy au pays quand on sait que des pro-gbagbo comme le ministre Mel Eg Théodore, Henriette Lagou et bien autres sont récemment rentrés au pays et ne sont pas encore inquiétés ? Pour moi, c’est déja un pas vers la liberté. Chacun a son destin en mains. Ils ont eu toute la garantie nécessaire pour un retour au pays. C’est tant mieux pour eux! J’ai échappé à un assassinat en règle, car je faisais partie d’une liste de personnes à éliminer. Un commando de tueurs à gages est même arrivé chez moi. Ils ont tout volé et tout saccagé. S’ils étaient arrivés vingt (20) mn plus tôt, ils auraient fait de moi de la chaire à pâté. Ce n’est pas mon ami et frère Soul to Soul qui me dira le contraire. Etant aujourd’hui en exil et sachant que les acteurs et les commanditaires de mon assassinat sont encore-là (Ndlr: en Côte d’Ivoire), et comme j’aime la vie, j’attends d’être convaincu que toutes les conditions sont reunies pour que je rentre dans mon pays. Avez-vous pris des contacts avec le ministre de l’Intérieur ou des personnalités du régime au pouvoir pour garantir votre sécurité ? Je ne suis en contact avec personne. Je continue ma carrière musicale tranquilement sans me préocuper de quand je rentrerai chez moi. Mon prochain album qui s’intitule ‘’Au nom des miens’’ sera disponible sur le marché pendant les vacances 2012. Mais ce dont je suis certain, c’est qu’un jour ou l’autre je rentrerai chez moi. Aujourd’hui avec beaucoup de récul, regrettez-vous d’avoir été patriote ou membre de la galaxie patriotique? C’est une fierté pour moi d’être un patriote et d’avoir soutenu le président Laurent Gbagbo. Je suis convaincu jusqu’à ma mort que j’étais dans le vrai. Je ne le regretterai jamais. Car, j’ai prôné la paix. J’ai voulu que mon pays ne sombre pas dans la division et j’ai véhiculé le message qu’on pouvait se parler sans prendre les armes. Ensemble avec mes amis, nous avons parcouru tout le pays pour parler de paix. Malheureusement, ce qu’on a voulu éviter depuis plus de 10 ans est arrivé: c’est-à-dire la guerre. Et mon pays s’est déchiré et cela est dommage ! Seul notre unité sauvera notre pays auquel nous devons croire. Ne nous laissons pas entraîner dans ces dérives ethniques et tribales qui aujourdhui divisent le pays.
Réalisée par Patrick Krou