Interview / Gadji Céli, Pca du Burida : ‘’Voici mes conditions pour rentrer au pays’’
Publié le mercredi 1 juin 2011 | L'intelligent d'Abidjan - Suite à la crise postélectorale ivoirienne, de nombreux artistes ont quitté la Côte d’Ivoire pour trouver refuge dans les pays limitrophes. Joint au téléphone le lundi 30 mai 2011 depuis son exil
Publié le mercredi 1 juin 2011 | L'intelligent d'Abidjan - Suite à la crise postélectorale ivoirienne, de nombreux artistes ont quitté la Côte d’Ivoire pour trouver refuge dans les pays limitrophes. Joint au téléphone le lundi 30 mai 2011 depuis son exil
forcé qui l’a conduit successivement au Bénin puis au Ghana, Gadji Céli, Président du Conseil d’Administration (PCA) du Burida crache ses vérités et répond aux préoccupations des uns et des autres.
M. le PCA Gadji Céli, le vendredi 20 mai dernier, le personnel du Burida a failli débrayer parce qu’il leur a été communiqué que depuis Accra vous avez exigé à M. Guédé Sauret le directeur des affaires administratives et financières (DAF) de ne pas payer les salaires. Que cache cette décision ?
Chacun a envie de parler sinon ce n’est pas ce que j’ai dit. Ce n’est pas ce qui s’est passé. Le Directeur Général du Burida (Ndlr ; Michel Baroan) était malade. On m’a fait savoir que nous venions de recevoir un chèque de l’Onuci. J’ai mis à Abidjan deux intérimaires que sont Coulibaly Adama et Ahmed Souaney par rapport à la situation qui a prévalu. Comme ce sont les deux administrateurs, j’ai préféré me faire représenter par eux. En attendant la situation de mon retour. On m’a dit qu’ils ont reçu l’argent. Le DAF a montré le chèque aux employés. Donc, n’arrivant pas à joindre le Directeur Général qui était hospitalisé, j’ai donc appelé le DAF pour lui demander de dire au directeur général de s’arranger s’il va mieux, de tenir une réunion avec les représentants actuels, quelques membres du conseil d’administration et le bureau de la direction pour que tout le monde sache la décision à prendre sur les entrées que le Burida a pu avoir pendant la période de crise. Vous savez au Burida, il y a tellement de bruits. Tout le monde pense qu’il a le droit de parler. Chacun dit ce qu’il a envie de dire. Et comme la presse est à la recherche du scoop, elle fait parler presque tout le monde. Ça devient une cacophonie. Dès que quelqu’un vient vous soumettre un dossier sur le Burida, même s’il n’est pas habileté à parler, vous le faites parler. J’ai demandé qu’avant le paiement des chèques, tout ce corps que j’ai cité un peu plus haut se retrouve et qu’il décide ensemble de la répartition de ce qui a été collecté dans cette situation de crise postélectorale. Parce qu’au Burida, il n’y a pas que les employés à payer. Il y a aussi les droits d’auteurs des artistes à payer. Quand on touche de l’argent comme, c’est le cas, il y a des droits d’auteurs des artistes à payer. En dehors des droits d’auteurs des artistes, il y a aussi les fournitures, les charges fixes, etc. Donc beaucoup de choses à faire. Pour que les percepteurs aillent sur le terrain pour collecter les fonds, il faut payer le carburant pour leurs véhicules, pour qu’ils aillent travailler. Ce sont là des charges fixes. Quand l’argent arrive, pour ne pas que demain ça soit comme l’argent de l’Onuci qu’on avait touché il y a très longtemps et qui a fait du bruit – on ne sait pas trop pourquoi – j’ai alors demandé qu’il y ait cette réunion avant de libérer les chèques. De cette façon, tout le monde saura ce à quoi l’argent va servir. Est-ce mauvais ? Voici tout ce que j’ai dit.
Est-ce que vous êtes en droit après que vous ayez commis des intérimaires de commanditer une telle consigne?
La situation est spéciale. J’entends par-ci et par-là qu’on veut faire la grève. Alors qu’on sait bien que pendant quatre ou cinq mois, on n’a pas travaillé en Côte d’Ivoire. C’est la mauvaise foi qui entraîne les gens à vouloir faire la grève. A situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle ! C’est parce que la situation n’était pas normale, depuis le début de ce mois (Ndlr ; mai) que j’ai demandé que tout le monde soit présent pour savoir de quoi il s’agit. C’est tout ! Quand vous me demandez si cette décision devrait venir de moi, c’est-à-dire que vous préférez que le directeur fasse ce qu’il a à faire. C’est normal ! Mais quand le directeur général fait ce qu’il a à faire, il y a du bruit dans les couloirs. On dit : «On a volé l’argent. On a fait ceci ou on a fait cela ». C’est pourquoi, je lui ai dit : « Appelez tout le monde avant de faire la répartition». Cela revient au même, ce n’est pas une décision pour bloquer les salaires. C’est une décision pour que tout le monde soit éclairé sur l’affaire.
En procédant ainsi, n’est-ce pas faire le travail du DG à sa place?
Pourquoi voulez-vous que je fasse le travail du DG à sa place ? Il fait son travail. Le DG voulait signer les chèques sans qu’il n’ait eu une réunion avec les administrateurs. Je lui ai dit : «Faites la réunion avant de signer les chèques». Je suis tout de même le président, je peux parler avec le DG ! Je peux aussi réunir des collaborateurs pour discuter sur certains points qui lient les employés et le conseil d’administration ! Le travail du DG est de signer les chèques pour payer les salaires des gens. Je peux dire : «réunissez-vous, entendez-vous sur comment vous allez faire pour payer les salaires des gens». Puisque c’est une situation exceptionnelle et on doit plusieurs mois de salaires aux employés et aux artistes. Mais à partir du moment où il y a des grognes dans cette structure, je suis interpellé. Donc, à partir de cet instant, je peux donc intervenir sur certains faits.
Quand est-ce que les agents du Burida pourront percevoir leurs salaires ?
Les agents ont commencé déjà à être payés. Il était question qu’on réunisse les gens et qu’on s’entende sur le mode de paiement. Qui doit être payé dans cette période ? Qui doit attendre ? Est-ce les fournisseurs ? A partir du moment où le DG est malade, on peut essayer de le suppléer. Ne pensez pas qu’on veut prendre sa place. Il fait très bien son travail et je voulais tout simplement que les gens s’asseyent autour d’une table pour discuter pour ne pas qu’il y ait des dissensions.
Vous en parlez tantôt, il y a un an, l’Onuci avait octroyé de l’argent au Burida qui a fait du bruit. Que devient cet argent ?
Mais pourquoi voulez-vous que je vous parle d’une somme d’argent qui nous a été donnée il y a un an ? Ce sont des choses qu’on gère au quotidien. Le DG gère les affaires au quotidien. Ce n’est même pas normal que le DG montre au personnel l’argent qui est rentré. La structure vit et nous ne sommes pas une structure comme les autres. Le Burida n’est pas une structure comme la RTI. Le Burida est une structure spéciale. Parce que dans les structures quand il y a une entrée d’argent, on paye et les employés et les charges fixes. Mais, au Burida quand l’argent rentre, quand on a payé les employés, quand on a résolu la question des charges fixes, il faut maintenant payer les artistes. Vous comprenez que ce n’est pas la même chose. Le Burida est une structure pas comme les autres. Si vous parlez de l’argent de l’Onuci, il faut aussi parler de l’argent des maquis et autres. C’est aussi de l’argent qui rentre.
Qu’en est-il des droits d’auteurs aujourd’hui ?
Seul le directeur général peut vous répondre. La liste de tous les artistes qui ont été payés se trouve au Burida. Tous ceux qui touchent de l’argent émargent. Je suis surpris de savoir que les gens parlent de grève ! Avant l’élection présidentielle, il y a eu deux mois de délestage, pendant lesquels on n’a pas fait les recettes qu’il fallait. Nous ne faisons pas de bénéfices. On encaisse le jour le jour. Avant les élections, on a eu un retard. On voulait le rattraper en décembre (Ndlr ; 2010) parce que ce mois a toujours été notre mois phare. C’est en décembre qu’on fait nos plus grands chiffres. Le Directeur Général s’apprêtait donc à mettre en place une stratégie pour faire le maximum en novembre et décembre. Alors on avait un seul mois de retard qu’on allait rattraper en décembre. Le mois de décembre dernier, on a fait pratiquement cent quarante-deux millions (142.000.000 Fcfa) de recettes. Malheureusement, il y a eu des problèmes d’élections en Côte d’Ivoire. Et tout était bloqué. C’est pour cette raison que le mois de retard que nous avons accusé est resté. Cela fait quatre mois de retard. Pour ça j’entends dire : «on doit beaucoup d’argent. Il a volé l’argent». Il faut arrêter tout ça. Depuis qu’on a commencé au Burida, on a payé les salaires jusqu’à ce que le délestage vienne nous faire un décalage. Non seulement on a payé les salaires mais aussi les droits d’auteurs des artistes. Tout cela est dans les fichiers des ordinateurs au Burida. Celui qui a envie de savoir se rende là-bas. On lui fera le point.
En demandant qu’il y ait une réunion, ne pensez-vous pas que vous jetez votre collaborateur en pâture parce que des agents réclameraient sa tête ?
Pourquoi les gens demandent la démission du Directeur Général (Ndlr ; Michel Baroan) ? Ce dernier, dès qu’il est arrivé, a déjà perçu de l’argent de la part de l’Onuci. Quand il n’était pas là, il n’y avait pas d’argent. On a demandé aux employés d’aller travailler sur le terrain pour ramener de l’argent et être payés. On n’a pas vu l’argent. Ceux qui viennent vous parler, il faut leur demander s’ils travaillent à faire entrer de l’argent au Burida. Parce que leur mission est de travailler pour faire entrer de l’argent. Pour qu’on paye les artistes et verser leurs salaires. S’ils font entrer de l’argent, on va les payer ! Même dans le mois de décembre (Ndlr ; 2010), janvier et février, le DG a dit : « Tout l’argent que vous allez faire entrer, c’est à vous qu’on va le reverser. On a suspendu pour le moment le paiement des droits d’auteurs des artistes. Parce que la plupart des artistes étaient sortis du pays. Pendant cette période où tout était fermé, personne d’autre ne pouvait venir se plaindre.
Pourquoi forcent-ils le DG à partir ? Le DG n’a pas dit qu’il ne les paie pas. Même quand le DG finit de les payer, ils vont dehors dire qu’on leur doit de l’argent. Donc, j’ai demandé qu’ils s’asseyent pour parler de la répartition de cet argent (Ndlr ; droit d’auteur versé par l’Onuci le 23 mai 2011) pour que tout le monde soit au même niveau d’information. Pourquoi sont-ils fâchés contre lui ?
Aujourd’hui, dans la destruction des symboles de l’ancien régime, la ‘’Sorbonne au Plateau’’, l’un des bastions de la commercialisation des Cd piratés a été détruite. Quel est votre regard sur cet état de fait ?
Je suis au firmament du combat de la lutte contre la piraterie. Dire qu’un acte de cette portée vient éradiquer ce fléau, ça ne peut que me faire plaisir ! Maintenant, il faut que la piraterie disparaisse en Côte d’Ivoire.
Quelle lecture faites-vous de l’actualité sociopolitique en Côte d’Ivoire depuis le Ghana ?
Je ne suis pas en Côte d’Ivoire ! Je ne sais pas comment ça se passe. Mais, je crois savoir qu’on parle plus de réconciliation et j’ai déjà pris contact avec Tiken Jah. Qui déborde de sagesse et qui a un discours réconciliateur. Je pense que les autres artistes feraient mieux de suivre la voie que Tiken Jah a choisie. Pour qu’on se retrouve tous pour ramener la paix dans notre pays.
Tiken Jah a pris le taureau par les cornes en se lançant à fond dans la réconciliation nationale. Qu’en pensez-vous exactement ?
Je pense que c’est une bonne chose. Je l’encourage. De toutes les façons, Tiken Jah n’a jamais trahi ce que nous avons pensé de lui. J’ai donné mon accord à mon frère (Ndlr ; Tiken). Parce que nous les artistes, notre rôle premier c’est d’amener les gens à s’entendre. C’est d’amener notre pays à éclore et non de diviser les gens. C’est en cela que je le félicite et je salue aussi Fadal Dey (Ndlr ; à Bamako et administrateur au Burida) qui m’appelle souvent pour qu’on en discute.
Est-ce à dire que vous reconnaissez la responsabilité des artistes ivoiriens dans la crise postélectorale en Côte d’Ivoire ?
Oui ! Sans les artistes beaucoup des choses ne se feraient pas. En Côte d’Ivoire, les artistes ont joué un très grand rôle pour ramener un tant soit peu la paix. Je pense qu’il faut s’appuyer sur le monde artistique pour gagner les cœurs meurtris des Ivoiriens.
Vous dites avoir donné votre position sur le processus de réconciliation en Côte d’Ivoire à l’artiste Tiken Jah. Quelle est la quintessence de ce message ?
Le discours de Tiken Jah est rassembleur et réconciliateur. Il faut faire attention à ceux qui sont dans une autre logique. Parce que la Côte d’Ivoire doit renaître. Tiken Jah de par ce discours-là a compris et je l’en ai félicité. Il a essayé de joindre pratiquement tous les artistes un peu partout pour leur expliquer sa vision. Je pense que lui et moi sommes en phase.
Si tant est que vous vous inscrivez dans le processus de réconciliation nationale, à quand votre retour sur les bords de la lagune Ebrié ?
Vous savez qu’actuellement je n’ai aucun endroit où déposer mes valises à Abidjan. Je suis en train de voir comment relooker cette maison qui a été totalement mise à sac (Ndlr ; aux II Plateaux). Si je suis dans mon pays et que je dors à l’hôtel, ce n’est pas la peine !
Qu’est-ce qui vous a amené à quitter votre pays ?
Il y a que des gens sont venus s’installer dans ma maison. Ils sont restés longtemps. Les habitants de mon quartier sont là, ils peuvent en témoigner. Depuis, je n’y avais pas accès. J’ai erré un peu partout à Abidjan avant de sortir.
Pourquoi selon vous est-ce votre habitation qui a été ‘’prise en otage’’ ?
Je ne sais pas. Vous n’allez pas demander à toutes les victimes à quoi ces occupations illicites répondent ? J’ai fait le constat que j’étais menacé. Je me suis mis à l’abri pour le moment en attendant que les choses s’arrangent. C’était une décision sage de ma part.
Votre retour est donc conditionné par la réhabilitation de votre domicile. N’est-ce pas ?
Dès que les choses se seront arrangées, je reviendrai au pays.
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux nouvelles autorités ivoiriennes ?
Je pense que ces artistes-là sont allés travailler. Parce que la musique ivoirienne s’exporte. Les œuvres ivoiriennes sont regardées à la Télé partout. Et donc, voyant que la situation était un peu difficile en Côte d’Ivoire. Tous les espaces culturels étaient fermés. Il n’y avait plus de ‘’gombo’’. C’est tout à fait normal que les artistes aillent travailler ailleurs. Les artistes qui sont sortis, sont au travail. J’ai entendu dire que les artistes ont fui. Non ! N’utilisez pas ce mot, les artistes sont allés travailler ailleurs.
Quelle adresse pouvez-vous donner à l’attention des employés du Burida ?
Je demande aux agents de comprendre la situation du pays et de savoir qu’ils sont notre priorité. Et quand il y aura une possibilité, c’est à eux qu’on fera signe. Aujourd’hui, il y a une entrée d’argent, on ne parle même pas des droits d’auteurs des artistes. Alors que les employés ont été mis en mission par les artistes. Ce sont les artistes qui ont employé des gens pour collecter leur argent sur le terrain. Maintenant, ce sont les employés qui se plaignent. Je leur demande de mettre balle à terre.
Que répondez-vous aux langues qui soutiennent que vous refusez de payer les salaires pour vous assurer un séjour bohémien à Accra ?
(Rires). Les employés qui disent cela ne connaissent pas l’histoire de la Côte d’Ivoire. Je suis Gadji Céli ! Je ne suis pas un parvenu. Il y a un an que je suis au Burida. J’ai 50 ans d’âge aujourd’hui. Ça fait 49 ans que je vis. Je n’étais pas au Burida pendant 49 ans. Je ne sais pas si les gens du Burida m’ont pris dans les rues en train de mendier.
Quel est alors le quotidien de Gadji Céli en ce moment à Accra ?
Je reçois des Western Union de la part des fans depuis Paris (Ndlr ; France) et ailleurs. Le jour où je reviendrai au pays, je viendrai avec toutes les pièces justificatives. Autant les employés n’ont pas touché leurs salaires, autant moi aussi je n’ai pas touché mon salaire. On est tous dans le même cas. Chacun essaie de vivre comme il peut.
Réalisée par Patrick Krou depuis Accra - Ghana par téléphone