Interview exclusive/ Après les attaques à l`Ouest: Les agences humanitaires arrêtent leurs activités - La Représentante HCR en Côte d`Ivoire explique
Publié le mercredi 20 juin 2012 | L'Inter - Les récentes incursions de bandes armées dans la région ouest de la Côte d'Ivoire frontalière du Liberia, notamment celle du 8 juin dernier qui a fait 18 morts dont sept Casques bleus nigériens, ont provoqué une
Publié le mercredi 20 juin 2012 | L'Inter - Les récentes incursions de bandes armées dans la région ouest de la Côte d'Ivoire frontalière du Liberia, notamment celle du 8 juin dernier qui a fait 18 morts dont sept Casques bleus nigériens, ont provoqué une
certaine psychose au sein des populations ainsi que des travailleurs humanitaires. Faut-il craindre le pire si cette situation ne connaît pas d'amélioration ? Mme Ann Monica Encontre, Représentante du HCR en Côte d'Ivoire que nous avons rencontrée à cet effet, en parle dans un entretien exclusif, disponible également en vidéo sur linfodrome.com !
Comment analyser-vous la situation humanitaire depuis les dernières attaques dans l'ouest de la Côte d'Ivoire ?
Depuis les attaques du 8 juin dernier, le HCR et ses partenaires ainsi que le système des Nations Unies sommes très bouleversés, vraiment tristes parce que nous avons perdu des collègues. Pour les réfugiés et les personnes déplacées, la situation est très difficile car les acteurs humanitaires ne peuvent plus avoir accès à certaines zones pour des raisons de sécurité, surtout la zone ouest de la Côte d'Ivoire jusqu'à la frontière avec le Liberia.
Qu'allez-vous faire donc ?
Nous avons organisé le rapatriement volontaire des réfugiés ivoiriens qui se trouvent au Liberia et qui ont exprimé le besoin de rentrer chez eux ; ainsi que des réfugiés libériens de Côte d'Ivoire qui rentraient dans leur pays. Mais l'insécurité qui règne de nouveau dans la région nous a contraints à arrêter tous nos mouvements. Les humanitaires et les réfugiés ne peuvent pas bouger jusqu'à nouvel ordre.
Quelles sont les conséquences de ces troubles sur les réfugiés?
Ces sont des personnes en détresse parce qu'elles ne peuvent plus avoir accès à la nourriture que leur livre le PAM, ni aux soins de santé. Avec toute cette insécurité, il est difficile pour les humanitaires de poursuivre leurs activités d'assistance à ces personnes vulnérables qui auraient voulu recommencer une vie normale après ces événements douloureux qu'a traversés la Côte d'Ivoire. La situation est très critique parce que les gens meurent de faim.
Que va-t-il se passer si ces attaques se poursuivent?
On espère que les choses vont se normaliser. Il y a des Ivoiriens qui veulent rentrer chez eux et cultiver les champs. C'est la saison des pluies et s'ils ne saisissent pas cette opportunité, ce sera une autre année perdue aux conséquences catastrophiques. Cela coûte très cher pour les personnes qui ne peuvent pas nourrir ni soigner leurs familles, ni envoyer leurs enfants à l'école. Dans le même temps, nous avons des réfugiés libériens qui étaient en Côte d'Ivoire depuis de nombreuses années, mais il se trouve que le 30 juin prochain, ils vont perdre leur statut de réfugié. C'est donc le moment pour eux de regagner leur pays.
Voulez-vous dire que la situation est compliquée pour ces réfugiés libériens ?
Le 30 juin, c'est dans quelques jours. Nous avons mis en place un système de mouvements deux fois par semaine pour convoyer ces réfugiés libériens par Danané, Toulepleu et Tabou, vers le Liberia. Mais avec cette insécurité, tout est bloqué. Vraiment, on espère que d'ici peu, la situation va s'améliorer afin que nous reprenions nos activités d'assistance aux personnes vulnérables.
Combien de réfugiés ivoiriens au Liberia sont rentrés, et combien en reste-t-il ?
Nous avons 149 000 qui sont rentés au pays depuis octobre 2011. Pour cette année, nous avons prévu de faire venir environ 140 000 réfugiés ivoiriens qui ont exprimé le besoin de rentrer : 15000 avant la saison des pluies et le reste suivra plus tard. Mais ces derniers événements compliquent la situation. Nous sommes obligés d'attendre.
Quelle politique d'assistance avez-vous mise en place pour ceux qui sont déjà rentrés ?
Pour ces personnes, nous avons mis en place des projets d'intégration, de reconstruction de maisons. Avec la FAO, nous avons distribué des outils et des semences afin de permettre à ces populations de mener leurs activités agricoles. Nous avons reconstruit un marché, nous sommes en train de réhabiliter un centre de formation à Tabou, et un autre le sera à Duékoué cette année. Un autre est prévu à Guiglo l'année prochaine. Tout cela dans le but de créer des emplois. Dans le cadre des activités génératrices de revenus, avec le gouvernement et nos partenaires tels que CARITAS, ASA, ASAPSU, DRC et bien d'autres structures, nous avons travaillé avec ces populations en vue de les réinsérer dans le tissu économique.
Depuis qu'ils sont rentrés, la vie des réfugiés n'est-elle pas menacée ?
Pas tellement, même s'il y a toujours du travail à faire dans la cadre de la cohésion sociale et de la réconciliation avec les chefs de village et de communauté. Cela fait partie de nos projets. Il se pose toujours des problèmes fonciers entre ces réfugiés qui sont rentrés et les communautés qui n'ont pas bougé. On ne peut pas régler cela tout de suite. Ça va prendre du temps. Mais on travaille là-dessus avec la société civile et les communautés locales.
Comment gérer-vous les rumeurs de déstabilisation dans la région ?
Les rumeurs circulent beaucoup. Il faut toujours jongler. Pour nous, l'essentiel est de minimiser ces rumeurs et de nous focaliser sur les besoins des populations.
Quelles ont été les retombées de la visite du chef de l'Etat dans l'ouest du pays?
C'était très positif. Avant cette visite, de nombreuses délégations ministérielles dont je faisais partie, ont sillonné la région. Quelques ministres ont effectué des visites au Liberia et au Ghana. Et comme vous le savez, le président Alassane Ouattara a toujours exprimé ouvertement son souhait de voir les Ivoiriens rentrer chez eux en Côte d'Ivoire. C'est d'ailleurs à son instigation que nous avons conclu les accords tripartites avec le Liberia, le Ghana, le Bénin, le Togo, la Guinée et bientôt avec le Mali afin de faciliter le retour des réfugiés ivoiriens. Tout cela, c'est pour faire en sorte que les réfugiés aient toutes les garanties légales afin de reprendre leur vie une fois rentrés.
Malgré le retour de certains réfugiés, certains camps demeurent comme celui de Nahibly. Comment expliquez-vous le maintien de ces réfugiés ?
Nahibly est le dernier camp qui reste, avec 4000 personnes. Mais avant mon arrivée en Côte d'Ivoire, il y avait 500 000 personnes déplacées. Nahibly et la mission catholique sont les seuls endroits où nous enregistrons encore des personnes déplacées. Nous sommes en train de travailler avec ces gens afin qu'ils regagnent leurs villages respectifs. Avec le gouvernement ivoirien, nous sommes en train d'établir un calendrier pour fermer Nahibly. Parce que pour nous, il ne vaut pas la peine de maintenir éternellement ce camp. Il serait profitable d'utiliser les ressources dans les villages où s'établissent les personnes, au lieu de les utiliser dans un camp qui est temporaire et qui de toutes les façons doit disparaître. Donc la stratégie que nous développons avec l'UNICEF et d'autres partenaires qui travaillent avec nous, c'est d'essayer de mettre les ressources qui sont bien sûr limitées, dans les villages de retour, au lien de les utiliser dans le camp de Nahibly. Je ne vais pas avancer de date précise, mais on espère qu'avant la fin de cette année, on n'aura plus Nahibly comme camp pour les déplacés.
Quelles sont les raisons avancées par les réfugiés pour ne pas quitter ces camps ?
Ce sont des raisons subjectives. Ils disent qu'ils ont peur de retourner chez eux. Mais pour nous, c'est difficile d'accepter ces raisons parce que pour la plupart, ces personnes déplacées ont déjà regagné leurs villages. Il y a deux ou trois mois, nous avions 12 000 personnes. Mais aujourd'hui, il ne reste plus que 4000. Ces derniers estiment que la situation n'est pas totalement sécurisée. Avec un peu plus d'effort et de façon conjointe, nous parviendrons à les accompagner dans leurs localités respectives.
Comment travaillez-vous avec le gouvernement ivoirien pour régler ces problèmes ?
Nous avons travaillé avec le gouvernement à travers le Ministère des ex-Combattants et des Victimes de guerre et le Ministère des Affaires Etrangères. Ces efforts ont permis aux déplacés qui étaient à Abidjan, de regagner les domiciles ou villages. Ce n'est certes pas le même contexte avec les personnes déplacées de l'Ouest, mais avec des efforts conjoints, nous trouverons des solutions.
Quelle est la situation de réfugiés du Ghana ?
Ce sont des réfugiés, les uns se trouvent dans des camps, d'autres en milieu urbain. Quelques uns sont déjà rentrés du Ghana, alors qu'autres n'y trouvent pas d'urgence à regagner leur pays, contrairement aux réfugiés qui se trouvent au Liberia. Peut-être que leurs conditions sont bien plus meilleures. Mais comme je vous l'ai dit, il s'agit d'un retour volontaire. Nous ne pouvons donc pas les obliger à rentrer dans leur pays, la Côte d'Ivoire. Nous ne faisons que les aider lorsqu'ils prennent la décision de rentrer.
Le fait de procéder à des arrestations ne décourage-t-il pas les réfugiés qui voudraient rentrer en Côte d'Ivoire ?
C'est une question politique. Moi, je suis dans l'humanitaire. Notre mission, c'est comment aider les gens qui ont besoin de nous.
Que dites-vous à ceux qui hésitent encore ?
Nous sommes disposés à aider ceux qui décident de rentrer chez eux afin de recommencer une vie normale. Car c'est mieux d'être chez soi que de rester ailleurs. Dans la limite de nous ressources, nous sommes prêts à soutenir tous les mouvements de retour volontaire.
Mais tout cela nécessite beaucoup de ressources ?
On aurait voulu faire plus si on avait beaucoup de moyens. Mais avec ce dont nous disposons, on peut mener de nombreuses activités dans le cadre de l'assistance aux populations.
Interview réalisée par Bertrand GUEU