Guerre post-présidentielle en Côte d'Ivoire: Sale temps pour les artistes et journalistes pro-Gbagbo

Le 07 juin 2011 par Notre voie - Certains n’ont pas eu d’alternative, ils ont été contraints à l’exil. D’autres vivent blessés ou cachés, hors de leurs familles. Artistes,

Laurent Gbagbo aux côtés de Kofi Annan, Mary Robinson et Desmond Tutu, le 02 mai 2011 à Korhogo.

Le 07 juin 2011 par Notre voie - Certains n’ont pas eu d’alternative, ils ont été contraints à l’exil. D’autres vivent blessés ou cachés, hors de leurs familles. Artistes,

journalistes. Ils sont nombreux aujourd’hui à souffrir de leurs liens avec L’ancienne Majorité Présidentielle (LMP) conduite par le président Laurent Gbagbo, lors de la présidentielle du 28 novembre 2010. Des cas interpellent. Un jour, ils les ont eus, alors qu’ils étaient engagés pour leur candidat. Ces victimes faisaient ce qui leur semble loyal ou destiné. Mais les autres d’en face ne leur ont pas pardonné leur choix. Le vent d’un mal-vivre souffle aujourd’hui dans un camp.
Retenons, pour commencer, ce qui s’est passé en avril 2011, à Cocody, à la résidence de Laurent Gbagbo, alors président de la République, un statut qui lui était dénié par l’actuel président, Alassane Ouattara, et son armée internationale. Le comédien et réalisateur Sidiki Bakaba en est un des témoins privilégiés. Voici son témoignage : « Ce matin (6 avril) on a commencé à nous canarder. Les dépêches disent que ce n’est pas la France qui est derrière ; que ce sont les combattants pro-Ouattara qui donnent l’assaut ; qu’ils ont d’ailleurs mis le pied dans notre cour. Je peux vous dire que tout est faux, puisque j’y suis. Nous avons en face de nous l’armée française, le Bima,ou alors ce sont des Ivoiriens aux visages pales et aux yeux bleus. Ils attendent le soir pour que les hélicoptères viennent nous canarder. Je ne sais pas quelles sont leur stratégie mais c’est de la lâcheté », dénonçait-il dans une interview accordée à SlateAfrique avant qu’il ne soit atteint à la jambe gauche par les bombardements des hélicoptères français. L’ex-directeur général du Palais de la culture de Treichville, comédien, metteur en scène et réalisateur du documentaire sur le massacre des résistants ivoiriens par les soldats français devant l’Hôtel Ivoire intitulé « La victoire aux mains nues » (2004), n’a pas voulu se laisser conter une fois de plus l’histoire de la résistance de la Côte d’Ivoire à l’impérialisme occidental emmené par la France. Pour l’ami de longue date de l’ex-président de la République de Côte d’Ivoire toujours assigné à résidence à Korhogo, il est temps de libérer par l’action ce pays et tous les autres d’Afrique qui croulent sous le joug du néocolonialisme en règle. L’homme qui n’a jamais renoncé à son costume d’homme de théâtre et de culture a dû le troquer des jours. Au nom de la patrie contre la tenue militaire et sur des véhicules de combat en vue de tout filmer pour la postérité. Histoire pour lui de rappeler que les guerres ne se font pas seulement avec les armes mais aussi avec des images. « J’ai filmé les corps de certains jeunes tombés du côté de l’armée pro-Alassane. J’ai tout filmé : les liasses d’argent qu’ils avaient dans leurs poches. Ce sont des faux comme ont fait au cinéma. Le premier billet de la liasse est vrai mais à l’intérieur, il n’y a que du papier.» Exemple de preuve d’une mission de l’artiste qui a frôlé la mort et qui vit à présent sa convalescence dans un lieu tenu secret.
Tout comme Gadji Céli qui, après avoir échappé à des tentatives d’assassinat à cause de son engagement aux côtés du candidat Laurent Gbagbo, a vu son domicile et son village Gadoukou pillés. Devant ce danger permanent, il ne lui restait plus qu’à sauver sa vie. C’est ainsi qu’un jour de cette période maudite, le président-chanteur du conseil d’administration du Bureau ivoirien du droit d’auteur (Burida) et de l’Union des artistes de Côte d’Ivoire (Unart-CI) a décidé. Terre d’asile : le Ghana voisin. Avec lui dans ce pays qui n’aura refusé aucun Ivoirien, se trouve Serges Kassy, reggaeman, membre du conseil d’administration du Burida et numéro 2 de la très redoutée Alliance de la jeunesse patriotique de Côte d’Ivoire. Mais aussi Angelo Kabila, ancien manager mythique de Magic System, producteur et commissaire général du Festival international de Zouglou. Leur liste est longue dans ce pays.
Georges Aboké a également été la cible des partisans du président Ouattara. Son centre commercial qui abrite, son maquis, son restaurant et son bar climatisé, ainsi que des magasins de particuliers, son domicile et son bureau ont été vidés de leur contenu. Aujourd’hui, l’ex-directeur général de la RTI et conseiller spécial à la présidence de la République chargé des réformes en communication qui vit encore refugié quelque part est réduit à refaire sa vie. Même nouvelle de chez son Brou Amessan Pierre, dernier directeur général de la RTI de l’ère Gbagbo, déclaré « wanted » et exilé au Ghana.
S’il n’a pas été victime de pillage, Adama Dahico n’est pas pour autant des plus heureux de cette nouvelle République qui se met en place avec son corolaire de terreur et de douleurs. Et djah… Des hommes armés et en treillis, en mai dernier, ont braqué la voiture du chef de file de l’humour ivoirien, directeur du Festival international du rire d’Abidjan (Fira), candidat indépendant au scrutin présidentiel de 2010 et surtout unique allié au second tour du candidat de LMP. Il n’a donc jamais bougé d’un iota contrairement à tout ce qui se racontait à son sujet.
Pareil, en ce qui concerne son collègue comédien Michel Gohou qui a été donné pour mort dans la guerre d’Abidjan, alors qu’il se porte comme un charme. En effet, depuis le mois de mars, après avoir séjourné au Bénin dans le cadre du tournage d’un film, il se trouve en tournée européenne avec sa nouvelle équipe « Les 100 Faces Comedy » qu’il compose avec Michel Bohiri, Nastou et Oupoh Dahé Sévérin. A preuve, le 11 et 12 juin prochain, les Ivoiriens se produiront à Munich et à Berlin (Allemagne) avant de mettre le cap sur Paris (France) les 17, 18 et 19 du mois en cours. Le retour des 100 Faces Comedy à Abidjan est prévu pour la fin de ce mois. Voilà qui devrait couper court aux rumeurs funéraires qui se sont offert également Vieux Gazeur, Hanny Tchelley, Gbi De Fer qui a été tabassé et Shuken Pat.
En Guinée, c’est l’Ivoiro-guinéenne chorégraphe-chanteuse Kandet Kanté qui répondait au nom des artistes ivoiriens jusqu’à ce que la rejoigne, le mois dernier, sa marraine Aicha Koné pour se vider de son traumatisme électoral et de guerre. Aïcha a le malheur d’être proche de Laurent Gbagbo et Kandet, épouse de Maître Baï Patrice Drépeuba, 8ème dan de kikaï sanku do, membre de la garde rapprochée du président Gbagbo et président de la Fédération ivoirienne de karaté et disciplines associées (Fik-Da). Quant à la diva de la musique ivoirienne, plusieurs fois menacée de mort par le RHDP, elle souffrait également de son soutien à Laurent Gbagbo. Normal donc qu’elle ait préférée l’exil guinéen qui lui a permis d’abriter l’anniversaire de sa naissance, le 21 mai dernier, à celui qu’elle subissait dans son propre pays. Et comme le virus de l’art est incurable, on a retrouvé Kandet Kanté soutenus par ses danseurs et Aïcha Koné et son fils Shaga dans des prestations sublimissimes, le 27 mai dernier, au Palais du Peuple de Conakry, lors du cinquantenaire de l’existence de l’inoxydable Bembeya Jazz national de Sékou Bembeya et sa fameuse guitare hawaïenne, avec tous les autres groupes de l’épopée musicale que fonda, dès 1961, la révolution culturelle guinéenne de l’anti-français et africaniste Sékou Touré.
Concernant Wèrè-Wèrè Liking Gnépo, la prêtresse du Village Ki-Yi, sa sœur cadette NSerel Njock (comédienne-chanteuse) et son épouse Sam Bapès (technicien-lumière), ils font valoir leur talent au Burkina Faso. Le mois précédent, une chaîne de télévision internationale a donné de l’audience à une exposition-vente de l’Ivoiro-camerounaise qui n’entend pas, pour l’heure, retourner à la case départ avec ses deux disciples.
Tel semble également être l’avis de Bomou Mamadou, le chef de file des artistes partis d’Abidjan sur la pointe des pieds pour trouver refuge au Togo, suite à une visite musclée des pro-Ouattara à son domicile de Bingerville avec l’objectif clair de lui faire payer cash son amour pour le candidat de LMP. Les 16 avril dernier, alors que son tuteur et l’ancien membre du Village Ki-Yi, le musicien King Mensah donnait un concert dont les recettes furent reversées aux réfugiés ivoiriens, le Maître de la parole était là. Il a même pris la parole au nom de ses compatriotes, selon les images de la chaîne nationale de télévision togolaise.
Il faudrait également attendre longtemps pour revoir Miss Delon qui réside à Paris au bord de la Seine. Non seulement son mari, Abou Drahamane Sangaré, numéro 2 du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, fait partie des prisonniers des nouvelles autorités ivoiriennes mai aussi le domicile du couple a été totalement pillé par la nouvelle armée. Si pour elle, le cas de l’inspecteur général d’Etat entre dans la logique de la chasse aux sorcières engagée par les pro-Ouattara, la chanteuse n’a pas encore digéré l’arrestation de leur fillette, de sa mère et de sa belle-mère, suivie de leur emprisonnement pendant plusieurs jours au Golf Hôtel avant d’être remises en liberté. Elle qui a pleuré et qui pleure encore ne plus avoir le temps de penser à la sortie de son excellent nouvel album reggae qu’elle préparait et au lancement de sa ligne vestimentaire Alara. Désormais à l’eau ces projets qui tenaient tant à cœur à l’ex-Miss Côte d’Ivoire 2000 et qui devrait assurément donner un coup de fouet à sa jeune carrière artistique.
Plus grave …
Quant aux journalistes Serges Boguhé (caméraman à la RTI), Anderson Kouassi (es-président du Conseil national de l’audiovisuel), Armand Bohui Komé (ex-membre du Conseil national de la presse), Yasmine Magoné, Léonce Chantal Gnamien (stagiaire à la RTI), Germain Kanon Guézé (caméraman à la RTI), ils sont enfermés prisonniers à l’Hôtel La nouvelle Pergola, à Biétry (Abidjan) ou ailleurs. Sans oublier que Martin Sokouri Bohui et Simone Hué Lou, respectivement directeur général et directeur générale adjointe de La refondation, société éditrice de du groupe de presse Notre Voie. Et que les locaux de Notre Voie, la chambre des chauffeurs de Fraternité Matin et le Palais de la culture de Treichville sont occupés par l’armée du président Alassane Ouattara. Et que dire de la RTI dont la tour et une des paraboles clé ont été bombardées par les soldats français ? Le comble de l’irréparable. Car il faudra encore des mois pour que remettre le système en place pour que la RTI dont ont le contribuable continue pourtant de payer la redevance fonctionne à nouveau.
Plus grave, le journaliste Sylvain Gagnétaud a été tué dans des conditions non encore élucidées, par les FRCI quand ils ont pris le contrôle de Yopougon. L’éditeur et journaliste Serges Grah enlevé le vendredi 3 juin dernier à 6 heures à son domicile, dans cette même commune abidjanaise, par des éléments des FRCI qui l’ont trimballé à la Base navale de Lokodjoro a eu plus de chance, puisqu’il a été remis en liberté. Pas donc surprenant que d’autres journalistes, craignant pour leur vie, aient choisi le chemin de l’exil dans les pays de la sous-région ou ailleurs en Occident. Et il sont nombreux.
Ainsi marche la nouvelle République avec le monde des artistes et des médias. Hélas !
Schadé Adédé