Front populaire ivoirien: Qui a volé l’argent de Gbagbo ?

Par Aujourd'hui - Front populaire ivoirien. Qui a volé l’argent de Gbagbo ?

Le Président Laurent Gbagbo lors de son investiture en 2010 par le Conseil constitutionnel.

Entre 2008 et 2010, le parti du président a engrangé 1,8 milliard au titre de la subvention de l’Etat. mais quatre années plus tard, le FPI se retrouve à la rue. Le parti a perdu le siège de Koumassi loué par un particulier et n’a plus que le QG de Laurent Gbagbo pour organiser ses activités.
Alors qu’est-ce qui s’est passé pour que, chose rare dans les annales politiques, un parti politique se retrouve sans le moindre sou bien après dix années de pouvoir ? où est passé l’argent de la subvention et qui est le principal responsable de ce détournement qui porte sur des milliards ? Enquête au cœur du système Affi où l’argent de tous sert d’abord l’intérêt du roi.

«Tu verras, il va t’insulter ! »

L’homme à qui je demande le numéro de téléphone de Koffi Aka, professeur d’économie à l’université d’Abidjan et secrétaire national aux finances du FPI chargé du patrimoine, me prévient d’emblée sur l’arrogance de ce petit monsieur toujours tiré à quatre épingles et très rarement vu la craie à la main. Ses prédictions se vérifient aussitôt. « Pose-moi une bonne question… Qui t’a dit que c’étaient 800 millions ? Tu racontes n’importe quoi !… Ce sont des conneries ». A la fin, le secrétaire national chargé du patrimoine du FPI me dit ceci : « je ne t’ai rien dit ! ». « Je peux donc affirmer que vous n’avez pas jugé nécessaire de vous expliquer ? », lui demandai-je pour clore le débat. « Oui c’est ça ! », répond-il…
L’échange téléphonique est donc bref et sec. L’affaire n’est pourtant pas banale. Le Front populaire ivoirien, le parti fondé par Laurent Gbagbo, est pratiquement à la rue et largement désargenté. Sa précarité sert d’ailleurs de prétexte au président sortant pour faire comprendre les enjeux de la collaboration avec le pouvoir. « Sans argent, répète-t-il à l’envie, comment pouvons-nous faire vivre le parti », reproche-t-il à ceux qui lui reprochent sa stratégie de collaboration avec le régime d’Alassane Ouattara, l’homme qui détient plusieurs centaines de militants dans les prisons du pays. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir reçu.
Le FPI fait en effet partie des associations où le système de cotisation fonctionne encore bien. Même du temps où le Président de la République s’appelait encore Laurent Gbagbo et que les militants, généralement des gagne-petits, auraient pu justifier leur refus par la promotion de certains parmi eux. Or, malgré tout, les cartes du FPI ont continué à se vendre, les pagnes surtout lors des manifestations ont continué à rapporter beaucoup d’argent au parti pendant des années, comme pendant la dernière fête de la liberté, en avril 2010. En fait, les militants ont toujours été là pour que le FPI ne manque de rien. Ce sont donc ces gains-là qui ont fait vivre l’administration du parti qui a également profité de l’apport des élus (députés, maires, présidents de conseil général) et les cadres promus dans les différentes administrations du pays.
C’est donc l’ensemble de cette manne financière qui assura le fonctionnement du siège de Koumassi et ses différents appendices de la Djibi où Pascal Affi N’guessan avait ses bureaux privés payés ainsi que son personnel, celui de la Riviera où un deuxième cabinet était établi à son domicile de président du FPI avec personnel, et à Attoban où quelques années plus tard, Lavoici, une webTV a été mise en place pour répondre aux accusations portées contre le régime à l’international et qui s’est révélée être une ONG, donc le business d’un militant. Tout ce beau monde coûtait 3,5 millions chaque mois au parti mais c’était une bagatelle au regard des entrées d’argent et des contributions de militants voulant être bien protégés par le Président. A tel point que début 2009, personne ne sut que le Président de la République avait mis en route son projet de financer les partis significatifs du pays sur fonds publics.
Lors d’une réunion du secrétariat général à la fondation Mémel-Fotè, Aboudramane Sangaré pique une grande colère contre Affi N’guessan à qui il a demandé de répondre, si oui ou non, le parti a reçu la subvention de l’Etat et qui s’évertue à justifier des dépenses. Quelques semaines avant, Laurent Gbagbo lui-même avait en effet éventé le scoop, lors d’un discours public. C’est donc ce jour-là que les militants du FPI sont officiellement informés que depuis 2008, le FPI reçoit la subvention de l’Etat. Mais c’est aussi la seule fois qu’il en sera question. Pour le reste, ce sera une affaire entre le président et son secrétaire national chargé des finances et du patrimoine.
Certes, de nombreux cadres qui reçoivent des demandes de cotisation commencent à se plaindre et renvoient parfois les concernés vers le président du parti pour qu’il songe à puiser dans la subvention de l’Etat, de 800 millions chaque année à partir de 2008. Mais à part ces gestes d’humeur, la question continue d’être un sujet totalement tabou. Pourtant les militants payent toujours leurs cartes et les grands directeurs de l’administration mettent régulièrement la main à la poche. Pourquoi ? Parce que le siège n’est pas doté d’un budget de fonctionnement.
Régulièrement, l’administrateur fait des appels du pied aux « donateurs ». Car en dix ans de pouvoir, le secrétaire national chargé des finances et du patrimoine du parti n’a géré autrement les fins de mois que par le système de cotisations décrit plus haut. Au besoin, Koffi Aka s’est érigé lui-même en racketteur attitré des pontes du parti, passant des heures dans des bureaux ou à leur domicile pour les « obliger » à mettre la main à la poche. Si ce système avait un certain succès, en revanche il était difficile de trouver des traces de ces cotisations. Passaient ainsi à la trappe, espèces, bons de carburant, chèques… Le secrétaire national chargé du patrimoine du parti était à lui seul un royaume dans le royaume du FPI.
Pour se protéger, il avait une relation quasi charnelle avec le président du parti ; ce qui justifie en partie l’immense pouvoir qui lui était donné. Le président pour sa part s’offrait des voitures rutilantes à la mode, mercedes, Touareg, voitures de luxe… Pascal Affi N’guessan ne s’est jamais privé de rien. En témoignent aussi ses demeures de la Riviera 3 au quartier Beverly hills, et celles de Bongouanou, son village. En fait, le président du FPI a une vision royale de son pouvoir. C’est un monarque dont les fauteuils ont été offerts par des têtes couronnées pendant ses tournées politiques. Ses visiteurs le découvrent dans cette posture, assis sur des fauteuils protégés par des kitas… Mais si Affi agit ainsi, ce n’est pas seulemnent parce que le pouvoir lui est taillé sur mesure. Mais tout simplement parce qu’ au front populaire ivoirien, la culture du laxisme est bien établie. Elle commence par le non respect des textes et se termine par l’improbable omerta que la plupart, éminentes personnalités ou pas, observent à la lettre. C’est ce qui confère avant tout le pouvoir absolu à Affi.
A titre d’illustration, le secrétaire national chargé du patrimoine du parti doit travailler en étroite collaboration avec le secrétaire général, porte-parole du FPI, conformément aux textes. Mais dans les faits, Koffi Aka est aussi bien devenu le patron d’élus que du secrétaire général du parti qui est en toute logique son patron. Il ne rend compte à personne, à l’image d’ailleurs du président du parti qui n’a jamais voulu s’expliquer sur la gestion des 1,8 milliard de la subvention de l’Etat mais également sur la gestion des diverses cotisations des militants, les ventes de pagnes et les diverses contributions financières. Aucune trace d’elles n’existent dans les fichiers du parti. D’ailleurs, sous la férule d’Aka Koffi, le comptable du siège Ahikoffi Pané est devenu le comptable du secrétaire national chargé des finances et du patrimoine du parti sans explication.
L’on comprend d’ailleurs moins que quelques années avant la chute de Gbagbo, l’administration ait eu la possibilité de racheter la maison abritant le siège du parti. Ce que la propriétaire avait accepté. D’ailleurs après plusieurs discussions, le prix de vente avait été estimé à 90 millions de francs. Mais le parti n’a pas trouvé les moyens de conclure cette affaire, faute de trésorerie.

Sévérine Blé
Source: Aujourd’hui N°826