Football/Kalou Bonaventure(Ancien international ivoirien) : “LE PARDON NE SE DÉCRÈTE PAS, IL EST DANS LES ACTES DE TOUS LES JOURS”
Le 03 juin 2011 par Fraternité matin - L’ancien international ivoirien s’invite au débat sur la réconciliation en Côte d’Ivoire.Il a exprimé ses vœux à la faveur de sa décoration au titre du mérite sportif pour exprimer vœux.
Le 03 juin 2011 par Fraternité matin - L’ancien international ivoirien s’invite au débat sur la réconciliation en Côte d’Ivoire.Il a exprimé ses vœux à la faveur de sa décoration au titre du mérite sportif pour exprimer vœux.
Avez-vous le sentiment d’avoir rendu totalement service à la nation ivoirienne après que le ministre des Sports vous a décoré dans l’Ordre du mérite sportif ivoirien?
Je ne vais pas faire la fine bouche. C’est gratifiant. Ça reste dans la postérité. Qu’on reconnaisse que j’ai donné et fait beaucoup pour le football ivoirien. C’est à la mesure de tout l’espoir que les sportifs ivoiriens plaçaient en moi. J’en suis ému et fier en même temps. Une décoration de cet ordre est symbolique. Elle exprime de manière profonde toute l’estime et la considération que l’on peut avoir pour un footballeur. C’est vraiment très honorant pour moi.
Comment jugez-vous le niveau actuel du football ivoirien?
Pour parler du niveau actuel de notre football, il faut savoir que nous vivons depuis longtemps sur nos acquis. On a des joueurs de qualité. Mais, nous avons une équipe nationale d’un niveau moyen. Il y a des choses qui doivent se faire. Rien n’est jamais parfait. A tous les niveaux. Au niveau gouvernemental et fédéral. On constate déjà que le ministre des Sports, Dagobert Banzio, s’y met en essayant d’apporter une révolution. J’espère qu’il aura le temps de mener à bien ces projets relatifs à l’ensemble de toutes les disciplines sportives. Au niveau fédéral, il faut continuer à travailler. Ne jamais désespérer et pousser, encourager les sélections nationales à glaner des trophées.
Le boom des professionnels ivoiriens sur l’échiquier international ces dix dernières années, pousse beaucoup de jeunes à s’adonner au football au détriment des études scolaires. Le football peut-il être la voie de la réussite sociale pour eux?
Le football est avant tout un sport très populaire en Afrique. Mais ne juge pas le développement d’un pays par le nombre de ses footballeurs. Ou par le niveau de son football. C’est bien beau d’avoir une belle équipe nationale de football, mais ça ne générera jamais du boulot pour ceux qui veulent par exemple devenir avocat… Je sais que le football restera très important pour les Ivoiriens. Tous les jeunes de 6 à 17 ans qui, aujourd’hui, pensent que la seule porte de sortie, c’est le football, doivent aussi se dire que l’école est meilleure. Ils doivent retourner à l’école. Ils n’ont pas le droit de laisser les études pour un domaine où la réussite n’est pas toujours évidente.
Pourtant, les mômes prennent d’assaut les terrains vagues et espèrent être des futurs Kalou Bonaventure, Didier Drogba, Yaya Touré… Vos propos ne les encouragent guère…
Ils ont le droit d’être déçus en attendant ce genre de propos sur ce que peut être la vie de n’importe quel quidam qui embrasse le football. En espérant y tirer des ressources. Ils ont aussi le droit de penser que c’est facile d’être un Drogba, Kolo, Gervinho… parce qu’ils en ont les qualités techniques. Mais, notre devoir à nous, c’est de leur faire prendre conscience qu’il ne suffit pas seulement de claquer les doigts. Et, réussir, en un tour de magie, au football. C’est le travail et l’intelligence de pouvoir s’adapter aux contraintes du monde très délicat du football. C’est vrai qu’on voit des jeunes sur les terrains, dans les rues… C’est important pour l’aspect purement ludique. Mais, lorsqu’on décide de faire du football, ça obéit à la patience, la rigueur…et un gros mental. Mais, j’insiste aussi sur le fait que pour réussir au football aujourd’hui, il faut aller à l’école. Il ne suffit pas de shooter au ballon pour dire qu’on peut y aller. Une bonne formation scolaire est importante. Ça aide. C’est ma philosophie.
Beaucoup de jeunes ivoiriens sont impliqués dans les conflits politiques de ces dernières années. Pensez-vous que c’est là une autre voie d’épanouissement de la jeunesse?
Il est évident qu’il y a eu beaucoup de gâchis ces dernières années. Des jeunes intellectuels ont sombré. La passion a pris le dessus sur l’intellect. C’est dommage! Dire que la pratique de la politique politicienne participe à l’épanouissement de la jeunesse. Je dis tout de suite non ! La politique, c’est aider les jeunes à comprendre ce qu’est la sécurité sociale. C’est expliquer comment un pays peut progresser avec ses ressources naturelles. Les jeunes ivoiriens doivent plutôt proposer des projets de création d’entreprises. Et chercher le financement. C’est leur droit de le faire et le devoir pour l’Etat de financer ces projets. Il n’y a pas meilleur moyen d’épanouissement de la jeunesse. C’est là qu’on attend les jeunes ivoiriens. Et non faire de la politique politicienne pour seulement se remplir le ventre. Pour ce qui me concerne, je ne connais pas la politique et je suis à l’aise là où je suis. C’est le plus important dans la vie.
Comment avez-vous vécu la situation de guerre en Côte d’Ivoire alors que vous étiez en Europe?
Avec beaucoup de peine et de désolation. C’était comme si j’étais sur place… Et même avec plus de stress. Quand on a de la famille ici, quand on a tous ceux qu’on aime sur place, c’est difficile de les voir de loin souffrir et ne rien pouvoir faire. Ce n’était pas facile. Et Dieu merci, on a pu trouver une fin à tout cela. La fin de cette crise est un soulagement pour tout le monde. On en pâtissait. C’était invivable. Les gens souffraient énormément. Ne rien pouvoir faire et ne pas pouvoir porter assistance à ceux qu’on aime était encore plus difficile.
Quelles attitudes, selon vous, les politiques doivent-ils observer désormais?
Si on en est là, c’est de leur faute. C’est pourquoi, il ne faut pas toujours ramener les solutions des problèmes ivoiriens à leur niveau. Certains, les plus passionnés, n’ont pas toujours la compétence de les résoudre. Nos problèmes sont d’ordre économique, financier, sanitaire, scolaire…sportif. Nos problèmes ne doivent pas être essentiellement politiques. Il n’y a d’ailleurs pas d’enjeu là-bas. Le constat montre que les grands Etats développés se construisent autour des secteurs d’activité autres que la politique. Et s’il y a des palabres en Côte d’Ivoire, il revient aux politiciens eux-mêmes de trouver les voies et moyens pour que les Ivoiriens se pardonnent en toute sincérité. Le pardon ne se décrète pas. C’est dans les actes de tous les jours. Et je pense que les Ivoiriens doivent avoir une nouvelle perception de la politique. Parce que si l’on devait leur attribuer des notes, ce serait zéro dans le développement social et vingt sur vingt dans la guerre.
Comment les footballeurs peuvent-ils participer à ce processus de réconciliation et de reconstruction en Côte d’Ivoire?
Vous le savez très bien! Et nous l’avons vécu ensemble. Depuis 2005, nous sommes en action, pour ainsi dire. Nous n’avons pas cessé de demander pardon. D’appeler chaque Ivoirien à comprendre la nécessité de vivre ensemble. Il y a eu des adresses télévisées, des campagnes publicitaires, des notes des joueurs… La Fédération ivoirienne de football nous a appuyés dans ce sens. Nous avons en quelque sorte fait campagne pour la paix en Côte d’Ivoire. C’est justement pour ça que Drogba est allé partager son Ballon d’Or avec les populations de Bouaké en 2007. Il y a eu aussi un match des Eléphants. Toute la Côte d’Ivoire avait épousé l’idée. Après, on ne cessait de dédier nos victoires à la paix. Les qualifications aux Mondial 2006 et 2010 ont été d’ailleurs obtenues dans cette dynamique. Pour ce qui me concerne, je ne suis plus sur la pelouse. Mais je peux vous assurer que les footballeurs ivoiriens en parlent très souvent entre eux …
Mais ce ne sont que des mots pour des footballeurs qui amassent des centaines de millions par mois. Les Ivoiriens d’eux attendent à plus d’actions financières et matérielles…
C’est une préoccupation qui est certes légitime. Mais, comment demander à des citoyens de venir investir si la paix n’est pas assurée. Et même lorsqu’un seul apporte un avis, il peut être taxé de prendre parti pour un camp ou un autre. Alors qu’il faut simplement comprendre que lorsqu’un footballeur parle de paix, de réconciliation, ce n’est pas pour être partisan. Mais, pour rassembler. Parce qu’il appartient à tout le monde. Il appartient au nord, au sud, à l’est, à l’ouest… à toute la Côte d’Ivoire. Je pense que les footballeurs participeront à la réconciliation et à la reconstruction du pays.
Interview réalisée par
ADAM KHALIL