EXCLUSIF AFP - Affaire Bettencourt: Sarkozy mis en examen pour abus de faiblesse
Le 22 mars 2013 par AFP - Sarkozy mis en examen.
L'ex-président de la République Nicolas Sarkozy a été mis en examen jeudi à Bordeaux pour abus de faiblesse à l'encontre de l'héritière de l'Oréal Liliane Bettencourt, une décision intervenue après cinq ans d'enquête ayant troublé sa présidence et alors qu'il n'excluait plus un éventuel retour en politique.
Au terme d'une audition de plusieurs heures "M. Nicolas Sarkozy, qui bénéficie de la présomption d'innocence - s'est vu notifier une mise en examen du chef d'abus de faiblesse commis en février 2007 et courant 2007 au préjudice de Mme Liliane Bettencourt Schuller", a annoncé dans un communiqué le parquet de Bordeaux.
Me Thierry Herzog, qui avait annoncé ces poursuites à l'AFP, a estimé que cette décision était "incohérente sur le plan juridique et injuste". "Je saisirai en conséquence immédiatement la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux pour former un recours et demander la nullité, notamment de ce chef de mise en examen", a-t-il déclaré à l'AFP vers 22h00, quelques minutes après la sortie de l'ex-chef de l'Etat du palais de justice, à bord d'une Espace Renault circulant à vive allure.
Auparavant, celui-ci avait été confronté à au moins quatre membres du personnel des Bettencourt, convoqués comme lui au palais de justice de Bordeaux dans la plus grande discrétion pour vérifier si l'ancien chef de l'Etat s'était rendu une ou plusieurs fois chez la milliardaire pendant sa campagne pour l'élection présidentielle de 2007, et s'il a vu cette dernière.
L'ancien président a notamment été confronté à l'ex-majordome des Bettencourt, Pascal Bonnefoy, une ancienne femme de chambre, Dominique Gaspard, l'infirmière Henriette Youpatchou, et un autre maître d'hôtel, selon le récit qu'en a fait M. Bonnefoy à son avocat Me Antoine Gillot, qui l'a rapporté à l'AFP.
Les experts font remonter le début de l'affaiblissement mental de la milliardaire à septembre 2006.
Le juge avait, au cours des dernières semaines, multiplié les auditions avec le personnel de la milliardaire, jusqu'à fin février de cette année, car certains avaient déclaré avoir vu M. Sarkozy au moins deux fois pendant cette période, et certains assurent qu'il avait rencontré Mme Bettencourt à ces occasions.
Selon Mme Gaspard, Mme Bettencourt était même "toute contente de l'avoir vu", a indiqué en janvier Libération.
Un chauffeur, rapportant les paroles d'une gouvernante décédée, avait même assuré que celle-ci lui avait "dit textuellement qu'il était venu demander de l'argent, des sous, à monsieur et madame".
Lors d'une première audition d'une douzaine d'heures, le 22 novembre 2012 M. Sarkozy avait été placé sous le statut de "témoin assisté" par le juge. Il avait toujours affirmé s'être rendu au domicile des Bettencourt une seule fois pendant sa campagne présidentielle de 2007, pour y rencontrer brièvement André Bettencourt, le mari de l'héritière de l'Oréal, décédé en novembre de la même année.
L'ancien ministre lui avait adressé une lettre de félicitations après son élection à la tête de l'UMP, et, selon ses dires, M. Sarkozy voulait le remercier ce 24 février 2007. "Cette lettre est très illustrative des rapports que j'avais avec André Bettencourt... Il était logique que je passe le remercier (...) Je n'y suis allé qu'une fois...", avait-il déclaré.
Seize personnes ont déjà été mises en examen par le juge Gentil et ses deux collègues depuis deux ans et demi dans cette affaire, partie d'une plainte, déposée fin 2007 par Françoise Bettencourt Meyers, la fille de Liliane, pour des abus de faiblesse à l'encontre de sa mère.
Parmi elles, l'ancien ministre et trésorier de campagne de M. Sarkozy, Eric Woerth, et l'artiste François-Marie Banier, dont l'amitié avec Mme Bettencourt, qui le couvrait de cadeaux, est à l'origine de toute cette affaire.
Cette mise en examen a été qualifiée jeudi soir de "coup de tonnerre" par les amis de M. Sarkozy, notamment Christine Boutin (Parti chrétien démocrate), qui s'est demandé sur Twitter si cette décision de justice réglerait les "problèmes des Français".
Lionnel Luca, député UMP, a suggéré que le président François Hollande cherchait ainsi à éliminer "par tous les moyens la possibilité d'une candidature du seul adversaire qui peut le battre" en 2017.
"Chacun remarquera que cette décision intervient 48H après la mise en cause d'un ministre socialiste (Jérôme Cahuzac, ndlr) sans doute pour faire compensation", a écrit dans un communiqué Christian Estrosi, député-maire UMP de Nice.
La présidente du Front national, Marine Le Pen, a quant à elle estimé que "s'ils étaient avérés, les faits seraient particulièrement graves".
Nicolas Sarkozy avait opéré récemment un retour sur la scène politique, affirmant, début mars qu'il ne voulait pas revenir en politique mais qu'il pourrait être "obligé d'y aller" pour "la France", à cause de la gravité de la situation.
Le nom de l'ancien président apparaît dans quatre autres affaires, où la justice s'active de plus en plus.
Un juge enquête sur la régularité des contrats conclus, sans appel d'offres, entre l'Elysée et neuf instituts de sondage sous Nicolas Sarkozy.
Le financement de la campagne de 2007, côté libyen cette fois, est également au coeur d'une controverse née entre les deux tours de la présidentielle de 2012, avec la publication d'un document attribué à un ex-homme de confiance du colonel Kadhafi, faisant état d'un "accord de principe" conclu en 2006 avec Tripoli pour apporter 50 millions d'euros à la campagne du candidat Sarkozy.
Son nom apparaît également dans l'enquête sur la décision prise fin 2007 par l'ancienne ministre de l'Economie Christine Lagarde , dont le domicile a été perquisitionné mercredi, de recourir à un arbitrage pour solder le contentieux opposant depuis 1993 Bernard Tapie au Crédit lyonnais sur la vente d'Adidas.
Deux magistrats enquêtent enfin sur un éventuel financement occulte de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 -- M. Sarkozy était ministre du Budget -- par le biais de rétrocommissions présumées dans le cadre de contrats d'armement, l'affaire dite de Karachi.
Par Odile DUPERRY