Entretien / Louis Gaston MAYILA, opposant à Ali Bongo Ondimba : ‘‘Le Gabon vit une crise morale, économique, sociale et gouvernementale’’
Publié le mardi 4 décembre 2012 | L'intelligent d'Abidjan - Président de l’Union Pour la Nouvelle République(UPNR), membre fondateur de l’Union des Forces du Changement
Publié le mardi 4 décembre 2012 | L'intelligent d'Abidjan - Président de l’Union Pour la Nouvelle République(UPNR), membre fondateur de l’Union des Forces du Changement
(UFC), plateforme de l’opposition au pouvoir du Président Ali Bongo Ondimba, il a servi le régime d’Ali Bongo dont il a été ministre. Ses positions dérangent, y compris dans les rangs de l’opposition. Plus qu’un renard de la politique, ce caméléon entend peser de tout son poids pour la tenue de la Conférence nationale souveraine au Gabon avant les prochaines élections locales prévues en 2013, pour le renouvellement des Collectivités territoriales. Lors de son récent passage à Paris, nous l’avons rencontré. Il dresse un état des lieux du Gabon d’aujourd’hui et propose des solutions pour sortir de la crise.
Comment se porte le Gabon aujourd'hui, sur le plan politique, économique et social?
Comme je l’ai analysé au cours d’une conférence de presse que j’ai donnée, le Gabon est en crise, une crise morale, une crise économique, une crise sociale, une crise gouvernementale. On peut appeler ça une crise politique et le Gouvernement ne peut pas nier la crise comme il s’évertue à le faire en ce moment. Je prendrai deux exemples :
Est-ce qu’on peut nier la crise quand les élèves et les étudiants ne peuvent plus travailler dans la quiétude ? Quand les gendarmes débarquent dans les amphithéâtres pour frapper les étudiants et les professeurs ? Et campent des mois durant dans les campus ? Est-ce qu’on peut nier la crise, quand les ministères entiers font grève et transforment le centre ville en théâtre d’opérations ? Et que 50% des effectifs de notre Fonction Publique se tournent les pouces à la maison ? Et cette crise sera encore accentuée par les décisions que le pouvoir prend toujours en dépit du bon sens. Il nous revient par exemple que Monsieur Ali BONGO ONDIMBA voudrait casser la Cité du 12 Mars pour mettre un Golf à la place. Les Gabonais qui ne mangent pas à leur faim, ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école, ne peuvent pas se soigner n’ont pas le temps d’aller jouer au Golf.
Les prochaines élections locales pour le renouvellement des collectivités territoriales sont prévues en 2013. Comment l'opposition compte-t-elle s'y prendre pour remporter ces élections? Se présentera-t-elle en ordre de bataille ou en rangs dispersés puisque l'UFC a décidé de vous exclure de la plate-forme de l'Union le 31 octobre dernier?
Sur les élections, il faut d’abord apporter une précision, l’opposition dans son ensemble exige la mise en place de la biométrie. C'est-à-dire l’enrôlement en tenant compte des données à caractère personnel ; l’authentification des électeurs dans les bureaux de vote, et la mise en réseau de tout le système qui permet de savoir que l’électeur a voté à telle heure, dans tel bureau. Enfin, tout ceci doit être sécurisé, par deux clés qui ne seront pas toutes détenues pas le ministère de l’Intérieur. Cela ressemble fort à un préalable, et c’en est un. Pour revenir à l’UFC, je voudrais dire que les Assises de Mouila ont débouché sur une déclaration qui crée l’UFC. Sa charte n’était pas encore adoptée ainsi que son règlement intérieur. Devant les menées subversives et les dérives dictatoriales d’une partie des participants aux Assises de Mouila, j’ai dit non. Que l’opposition doit être responsable, c'est-à-dire respectueuse des lois de la République et de ses institutions. En réaction à cela, sans base légale, certains ont voulu parler de mon exclusion de l’UFC. Ce n’était qu’une vue de l’esprit car certains parmi les Pères fondateurs sont d’accord avec moi et ceux-ci ont déposé au ministère de l’Intérieur la charte et le règlement intérieur de l’UFC qu’ils ont élaboré. Ils ont constitué un bureau présidé par Samuel Mendou Nguema, Président du MORENA, de Mr Richard MOULOMBA MOMBO, Président de l’ARENA, Vice- Président et Porte-parole. Mr ZE MEMINI Martin, Président de FPU en est le coordonateur et Mr Pierre-Marie MOUKAGA, Secrétaire Général de l’UPNR est le Trésorier Général. Ce sont ces Messieurs qui, aujourd’hui, sont habilités à parler au nom de l’UFC. Pour ce qui est d’aller aux élections en ordre dispersé ou en rang serré, il faut que le Gouvernement réunisse les conditions pour que le préalable soit levé.
Comment réagissez-vous d'ailleurs à cette décision de votre exclusion de la plateforme de l’union? Que vous reproche l'UFC?
L’UFC ne me reproche rien. Ce sont les membres de l’ex-Union Nationale(UN) qui me reprochent une partie de ma phrase rapportée par le journal l’Union où je disais que l’UN est dissoute et qu’il faut se rendre à l’évidence que lorsqu’un enfant est mort, il faut faire son deuil et s’occuper de ceux qui sont vivants. Cette phrase a le don de fâcher des âmes sensibles, mais elle a le mérite de traduire une réalité et une vérité incontournables. On ne peut pas maintenir les Gabonais dans l’attente d’une réhabilitation qui ne viendra pas aux dires des tenants du pouvoir eux-mêmes.
Pourquoi êtes-vous opposé à la réhabilitation de l'Union nationale dissoute par le pouvoir du Président Ali Bongo Ondimba?
Je n’ai jamais été opposé à la réhabilitation de l’Union Nationale. Je me suis toujours associé à toutes les manifestations où nous réclamons la réhabilitation de l’UN, parce que j’estime que l’UN a été dissoute à tort et en droit la peine collective n’existe pas. C’est M.
André MBA OBAME qui a prêté serment, pourquoi dissoudre l’UN ?
Mais ce que j’ai dit plus haut n’est que la conséquence d’une déclaration faite à la Télévision Nationale par M. Emmanuel NZE BEKALE : «L’Union Nationale ne sera jamais réhabilitée». Et d’expérience, je sais qu’un parti dissout n’a aucune chance d’être remis en place par les mêmes autorités qui l’ont dissout. Le Président Léon MBA avait dissout par décret le PUNGA et malgré toutes les protestations et toutes les pressions, le PUNGA n’a jamais été réhabilité. Mais toute cette tempête ne s’explique que parce que la personne qui a parlé s’appelle Louis Gaston Mayila. Lorsque M. Emmanuel NZE BEKALE a dit cela, nous n’avons enregistré aucune protestation ni de la part de l’Union Nation, ni d’aucun parti politique de l’opposition. S’il fallait le démontrer, c’est l’homme Mayila qui dérange.
L'opposition gabonaise semble souffrir d'une pluralité de leaders. Quelles peuvent être les conséquences de cette situation? Qui est le véritable chef de file de l'Union de l'opposition gabonaise aujourd'hui?
J’assiste depuis que je suis dans l’opposition à des appels répétés et incessants à l’union de l’opposition. Mais en dehors de l’Angleterre, dans quel pays l’opposition est-elle unie ? Regardez la France, notre colonisateur, l’opposition ne peut être que plurielle et composite. Il y a plusieurs partis politiques, donc plusieurs leaders, chaque parti ayant son leader. Mais le mérite d’une opposition c’est de savoir s’unir autour des revendications qui conditionnent l’avenir du pays. Par exemple, l’exigence d’une élection à deux tours quand il s’agit d’une élection uninominale. Par exemple, la transparence électorale d’où la mise en place de la biométrie. Par exemple la limitation des mandats du Président de la République, redéfinir les missions de la Cour Constitutionnelle dans la gestion des élections dans notre pays. Cette liste n’est pas exhaustive. Ceux qui rêvent d’une opposition unie pour un oui ou pour un non n’avaient qu’à constituer un parti unique de l’opposition et le leader de ce parti serait un leader de l’opposition. Pour le moment ce n’est pas le cas. Et tous ceux qui ne sont pas d’accord avec le pouvoir en place sont de l’opposition.
L'opposition réclame la tenue d'une Conférence nationale souveraine. Quel est le sens de cette démarche? A quoi peut servir cette conférence nationale souveraine alors que les institutions gabonaises ne semblent pas menacées?
Je pense qu’il y aurait un abus de langage que de dire que l’opposition Gabonaise dans son ensemble réclame une Conférence Nationale Souveraine. Avant les Assises de Mouila, j’ai tenu une conférence de presse à la Chambre de Commerce de Libreville où j’ai démontré que le Gabon était en crise et que pour sortir de cette crise, le Gabon ne pouvait plus faire l’économie d’une rencontre au sommet. On peut appeler cette rencontre Conférence Nationale. On peut l’appeler vérité et réconciliation. Peu importe le nom ou le titre, l’essentiel est que les Gabonais se parlent et discutent du devenir de leur pays. Et j’ai indiqué le modus opérandi, c'est-à-dire que l’opposition désignerait dix (10) cadres, la majorité désignerait dix (10) cadres. Ces vingt (20) cadres auraient à travailler sur le projet d’ordre du jour qui sera proposé par les deux camps. A la suite d’une navette, l’ordre du jour sera arrêté d’accords parties et c’est seulement à la suite de cela que le Chef de l’Etat, parce que c’est son rôle et il ne peut pas se dérober, aura à convoquer toutes les forces vives de la nation pour débattre de notre vouloir vivre ensemble, et notre vouloir continuer ensemble, pour un futur commun pour ce pays que nous n’héritons pas de nos ancêtres mais que nous empruntons à nos enfants.
Quel est le projet de l'Union des Forces du Changement, l'UFC, dont vous êtes le fondateur pour améliorer la vie quotidienne des Gabonais?
Je suis cofondateur de l’UFC. Dans un avenir proche, l’UFC rendra public son projet qui sera la somme de tous les projets de société des partis politiques qui la composent avec en toile de fond l’amélioration des conditions de vie des Gabonais sur tous les plans et dans tous les domaines, l’alternance démocratique au pouvoir par le canal d’élections crédibles, transparentes et dont les résultats seront acceptés par tous et feront la fierté du Gabon comme c’est le cas actuellement pour le Sénégal et pour le Ghana.
Le Président Ali Bongo Ondimba défend et promet l'idée d'un Gabon émergent à l'horizon 2025. Quel regard portez-vous sur cette vision du chef de l'Etat gabonais?
Le Président Ali BONGO ONDIMBA a le don des déclarations à l’emporte-pièces. Il gouverne par effets d’annonce et c’est regrettable pour le Gabon et pour les Gabonais.
Dans l’entendement du commun des mortels, les pays émergents c’est la Chine, c’est l’Inde, c’est le Brésil, les Emirats Arabes Unis etc. Est-ce que sans perdre la raison, on peut affirmer que le Gabon égalera ces pays en 2025 ?
Je ne le crois pas ! Et je suis conforté dans ce doute par la manière dont le pays est gouverné aujourd’hui. Le Président Ali Bongo Ondimba a lui-même fantômatisé son Gouvernement. Les ministres n’ont aucune once de responsabilité. La totalité du pouvoir se trouve entre les mains des agences, elles mêmes dirigées par des étrangers, et dont les budgets se chiffrent par milliers de milliards de Francs CFA. La moindre structure que le Président Ali BONGO ONDIMBA met en place dans ce pays a à sa tête un étranger. Prenons l’exemple de son Conseil pour l’émergence. Qui peut avoir la naïveté de penser que cet homme veut le bien de ce pays ?
Réalisé par Jansee à Paris