Education: Reportage sept mois après la fermeture des universités, Les étudiants entre galère et angoisse
Publié le mercredi 30 novembre 2011 | Le Patriote - Ils vivent pour la majorité un véritable spleen après la fermeture des amphis et des résidences universitaires au lendemain de la terrible
crise postélectorale. Sept mois après la décision du gouvernement qui a chassé les occupants des résidences universitaires pour des travaux d’urgence de réhabilitation et de restauration des bâtiments, nous avons fait une immersion dans l’univers de cette élite, visiblement aux abois, qui patauge entre ennui, angoisse et galère. Un récit qui retrace leur quotidien de plus en plus dramatique.
Publié le mercredi 30 novembre 2011 | Le Patriote - Ils vivent pour la majorité un véritable spleen après la fermeture des amphis et des résidences universitaires au lendemain de la terrible
crise postélectorale. Sept mois après la décision du gouvernement qui a chassé les occupants des résidences universitaires pour des travaux d’urgence de réhabilitation et de restauration des bâtiments, nous avons fait une immersion dans l’univers de cette élite, visiblement aux abois, qui patauge entre ennui, angoisse et galère. Un récit qui retrace leur quotidien de plus en plus dramatique.
Ce soir, il affiche une mine grise. Le jeune homme, que nous découvrons sanglé dans une chemise grise défraichie, est visiblement noyé dans les soucis. Zionné Kpan Lazare est étudiant en année de licence de Sociologie à l’Université de Cocody. Depuis la fermeture des universités publiques et des résidences universitaires le 20 avril dernier, il est dans le désarroi. Amaigri, il est visiblement tourmenté comme il ne l’a jamais été. Nous le rencontrons au moment où était retransmis à la télé nationale, le tirage au sort des phases finales de la 28ème édition de la Coupe d’Afrique des Nations, à Sipopo, en Guinée équatoriale, qui devait déterminer les adversaires de Didier Drogba et ses coéquipiers. Alors que cet événement avait vidé les rues d’Abidjan, Zionné Kpan, qui squatte une baraque en bois dans la commune d’Attécoubé, n’avait pour tout et en tout, après deux nuits passées le ventre vide, qu’une part d’avocat au dîner. « C’est terrible, depuis qu’on nous a chassés des cités universitaires, pour nous qui sommes issus des couches défavorisées et n’ont pas de parents proches dans la capitale économique, c’est plus que l’enfer», confie t-il d’une voix étreinte par la tristesse. La vie, à ses yeux, n’a aucun sens. Et le jeune homme, visiblement affamé, de poursuivre : « Par moments, il m’arrive de penser que la seule solution à ma portée est de mettre fin à mes jours».
Les étudiants entre
petits métiers et oisiveté
Sept mois après la fin de la crise postélectorale et la mesure de fermeture qui frappe les universités et résidences universitaires d’Abidjan, la majorité des étudiants de Cocody et d’Abobo-Adjamé rencontrés vivent un véritable spleen. Ils sont pour la majorité d’entre eux, dans la tourmente. L’ennui, l’angoisse et la galère se lisent sur les visages. Si la plupart se tourne les pouces dans les salons des oncles et parents, d’autres plus audacieux et courageux s’adonnent aux petits métiers. C’est le cas de Kpan Zionné Lazare, dont la galère a poussé à embrasser le métier d’« Aide –maçon », malgré une licence obtenue avec brio en Sociologie. « Je gérais une cabine téléphonique à la cité Mermoz. C’est avec les économies de la cabine, lorsqu’on a été chassé des résidences universitaires, que j’ai aménagé dans la baraque où présentement je passe mes nuits. N’ayant plus rien, je suis devenu journalier auprès des maçons pour des travaux qu’on désigne dans le jargon sous le sobriquet « d’attaka dit », et cela me rapporte 1000 à 1500 FCFA, la journée», indique-t-il. Avant de préciser : « Ce n’est pas tous les jours que j’ai la chance d’être sur la liste des recrus du jour et tenez-vous bien, quand je parcours les chantiers à la recherche du job, je ne décline pas mon identité. Une fois, je l’ai fait, celui qui s’occupait du recrutement m’a carrément chassé en me lançant à la figure : ‘’je n’ai pas besoin de ceux qui ont brûlé vif des humains au plus fort de la crise’’, tout simplement parce que je me suis présenté comme un étudiant». Le jeune étudiant qui vit dans le ghetto et broie le noir, poursuit : « Je me lève à 5h du matin pour aller sur les chantiers en construction repérés la veille. Au bout de trois à cinq chantiers, avec un peu de chance, je suis retenu. Mais cela fait aujourd’hui plus de deux semaines que je me promène sans rien trouver». Quand on l’interroge sur la situation de ses parents, il a du mal à cacher sa tristesse. Il fond en larmes : « ma famille est à l’ouest, précisément à Niambly. A la faveur de la crise postélectorale, elle a été complètement décimée, mon père et mes deux frères, les seuls soutiens véritables que j’avais, ont perdu la vie. A l’heure où je vous parle, il n’y a que ma mère et mes deux petites sœurs, elles-mêmes aux soins des organisations humanitaires dans un camp de réfugiés à Duékoué».
Des toits pour se loger,
l’un des principaux soucis
Malgré ce drame, il essaie tant bien que mal de s’accrocher à la vie. Comme Zionné Kpan Lazare, beaucoup d’étudiants souffrent également de la fermeture des universités d’Abidjan. C’est le cas de Félicité Adou et Bamba Mariam, étudiantes en maîtrise de droit à Cocody. « Ma copine et moi avons perdu presque toutes nos affaires, le 20 avril dernier lors de la fermeture des cités. Nous n’avons pu rien sauver parce que nous n’étions pas à Abidjan, même nos diplômes obtenus après de pénibles années d’études dans des conditions extrêmement difficiles. A l’heure où je vous parle, à y penser, j’ai des céphalées», témoigne presqu’en larmes, Bamba Mariam. Les deux jeunes filles qui disent attendre la rentrée universitaire avec impatience, louent un petit studio à 25000 FCFA dans la commune de Marcory dont elles se partagent les charges. « Pour vivre, nous allons au marché de Belleville à Treichville pour faire des tresses. Par jour, en terminant les bouts des tresses des professionnels du milieu, nous pouvons avoir la somme de 1500 à 2000 F FCFA, quand ça marche. Ce n’est pas facile. Il vaut mieux faire cela que de se livrer à la prostitution. Aujourd’hui, nous accusons deux mois d’arriérés de loyer » renchérit, toute soucieuse, Adou Félicité.
Pour Landry Gbê, étudiant en 3ème année de médecine, il n’est pas normal, bien que les universités soient fermées, que les nouvelles autorités ne paient pas la bourse des étudiants, alors que le personnel technique et administratif ainsi que les enseignants quoique ne travaillant pas, perçoivent leur salaire. « Pourquoi ce sont les étudiants qu’on veut affamer en ne payant pas leur bourse ? La commission de renouvellement et d’attribution des bourses avait déjà siégé sur certains dossiers, avant le second tour de l’élection présidentielle. Il faut que les bourses soient payées. Si les enseignants perçoivent leur salaire, il faut aussi que la bourse des étudiants leur soit payée » réclame tout en colère, le jeune Landry que nous trouvons assis auprès de sa mère qui semble s’inquiéter pour l’avenir de son fils unique. « Pourquoi le pouvoir en place ne traite pas avec diligence la question de l’ouverture des universités ? Au moment où on fait tout pour sauver au niveau du secondaire, l’année scolaire. Les universités restent fermées. A quoi obéit cette logique ?», s’interroge, la mère de Landry. Pour cette mère de famille qui avoue avoir à sa charge, quatre étudiants, la situation est intenable. « Ils n’ont rien à faire. Ils passent le clair de leur temps à regarder la télévision et attendre le repas. Les factures d’eau et d’électricité ne cessent d’augmenter. Il faut qu’on pense rapidement à l’ouverture des amphis et des cités. Les militaires et gendarmes qui se sont livrés bataille vivent aujourd’hui en harmonie. Pourquoi a –t-on tant peur des étudiants», se demande-t-elle, oubliant peut-être que les résidences universitaires, étaient devenues des zones d’hébergement de miliciens et que des étudiants, à travers leur organisation syndicale, la FESCI, s’étaient également transformés en bras armés et séculiers du régime de l’ex-président Laurent Gbagbo. La mère du jeune étudiant, qui est aux abois, ne cesse de se lamenter : « Nos enfants ont sacrifié 10 ans de leur vie sous Gbagbo, voilà qu’avec l’espoir né avec le changement de régime, ils sont des laissés pour compte. Six mois déjà, rien n’est fait pour que les enfants rejoignent les Amphis».
Présence encombrant,
les foyers se lamentent
Bien plus, elle accuse le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de laxisme.
Trois semaines, après notre rencontre, nous retrouvons cette fois à Adjamé, Kpan Zionné Lazare, l’homme à la mine toujours renfrognée, mais pas trop triste aujourd’hui. Il a renoué avec son petit métier qu’il exerçait, il y a un peu plus de trois ans : gérant de cabine téléphonique. « Ça me permet de garder le contact avec les amis et la famille même si je gagne 500 Fcfa/jour» explique, l’étudiant en Sociologie qui dit attendre avec impatience l’ouverture des amphis et/ou les promesses d’emplois jeunes du président Alassane Ouattara. Ils sont nombreux, ces étudiants qui dorment aujourd’hui dans les salons de leurs parents proches ou lointains. Si certains ont rejoint la famille au village ou au campement, les plus chanceux ont pu aller poursuivre leurs études dans des universités de la sous-région. En espérant des lendemains meilleurs et surtout en fuyant l’incertitude ivoirienne.
Moussa Keita