DIASPORA: A la Courneuve, les Ivoiriens sans-abris sont «déterminés à aller jusqu’au bout»
Publié le mardi 19 juillet 2011 | Libération REPORTAGE - Un an après leur expulsion de la cité des 4000, plusieurs dizaines de familles ivoiriennes réclament un droit au logement, avec
le soutien des riverains mais sans celui de la mairie ni de la préfecture.
Publié le mardi 19 juillet 2011 | Libération REPORTAGE - Un an après leur expulsion de la cité des 4000, plusieurs dizaines de familles ivoiriennes réclament un droit au logement, avec
le soutien des riverains mais sans celui de la mairie ni de la préfecture.
«On est prêt à accepter tout ce qu’on nous demande pour dormir au chaud. Dormir au chaud, c’est tellement bon, tellement doux!» Sans-abri depuis trois mois, Diarrassouba Diouhadjé sourit en prononçant ces mots. Âgé de 33 ans, ce diplômé en télécommunications est, dit-il, «si grand» qu’il doit «se plier en trois» pour dormir dans sa tente verte, un habitat de fortune payé 45 euros de ses propres deniers.
Depuis trois mois, ce sont des dizaines de Quechua colorées qui campent le long de la place de la Fraternité, au pied de la cité des 4000 à la Courneuve (Seine Saint-Denis). «On s’est promené dans le quartier pour récupérer des matelas. Les associations ont apporté beaucoup: des couettes, des tentes, des couvertures pour tout le monde. On a le minimum pour subvenir à nos besoins», décrit le jeune homme.
Diarrassouba fait partie de ces 80 Ivoiriens, sans-papiers depuis leur arrivée en France, et sans-abris depuis le mois d’avril. Il vit seul à quelques pas du centre de santé, mais ses six frères vivent également dans le campement. L’histoire de ces expulsés ressemble, dit-il, à celle d’une grande famille. «Une chose est sûre, nous venons tous de Côte-d’Ivoire. Mais on s’est rencontrés là-bas, dans la tour Balzac», se souvient le jeune homme, pointant du doigt une barre HLM vide, sur le point d’être détruite. Selon Diarrassouba, la date est déjà fixée: ce sera mercredi, plus d’un an après leur expulsion de la grande tour.
D'une expulsion à l'autre
Le 8 juillet 2010, 186 personnes sont contraintes de quitter la barre Balzac, en plein coeur de la cité des 4000. Ces familles seront relogées dans plusieurs hôtels, aux quatre coins du 93 et des départements voisins. Sarcelles, Drancy, Saint-Ouen et Porte des Lilas. L’un d’entre eux, Bakary, a, à lui seul, changé quatre fois de logement en neuf mois. Avant le 18 avril 2011, date à laquelle la préfecture demande aux hôtels d’expulser ces sans-abris. Une quinzaine d’entre eux est relogée, dix sont régularisés.
Le reste revendique ces deux droits – logement et régularisation – sur la place publique, campant tant bien que mal jour et nuit. «Ce jour-là, on s’est tous retrouvés ici, presque par hasard, se souvient Diarrassouba. On vit en famille, dans le respect mutuel. Nous avons gagné le soutien des riverains».
En trois mois, les Courneuviens ont fait preuve d’une solidarité sans faille avec le groupe. «Ils nous donnent du lait, des couvertures et tapis de prière, des couches pour enfants», raconte Aboubakar Touré, porte-parole des familles. Des femmes, habitantes des environs ou autre, sont même venues, prêtes à prendre en charge les enfants du campement. «Hormis les associations, il n’y a qu’eux pour nous aider. Nous n’avons rien ni de la municipalité, ni de la préfecture», déplore t-il. Aboubakar raconte comment le maire de la Courneuve, Gilles Poux, adresse des courriers d’alarme aux habitants de la cité. «Il leur dit que nous sommes une gêne, alors que nous n’avons aucun problème avec eux.»
«La mairie ne fait toujours rien»
«Je peux me laver chez les voisines, ou à la Protection maternelle infantile (PMI)», relate Doumbia, dont la tente se situe à quelques mètres de celle de Diarrassouba. Enceinte de huit mois, la jeune Ivoirienne tient son premier enfant dans les bras. Il a deux ans, et joue entre les tentes des expulsés: «Le petit se lave là-bas aussi, mais il n’y a plus d’eau chaude depuis vendredi. Avec le froid, rester dehors est très difficile pour une femme enceinte de huit mois, qui plus est avec un enfant de deux ans», déplore Doumbia. «La mairie sait qu’il y a cinq femmes enceintes ici, et elle ne fait toujours rien.»
Cinq femmes enceintes, et pas moins de 25 enfants vivent actuellement au pied d’immeubles HLM, entre le centre de santé et la protection maternelle infantile. Depuis le 8 avril, la PMI leur offre un endroit où se laver, manger et jouer. Chaque jour, Fofana part y chercher de l’eau. S’y lave aussi, en semaine. Les week-ends, fermeture du centre oblige, elle est contrainte de se laver dehors, entre les buissons.
Il est un peu plus de midi ce lundi, quand Diarrassouba, Aboubakar et d’autres Ivoiriens s’apprêtent à quitter le campement. Femmes et enfants accompagnent, déterminés à s’en sortir. Depuis fin mai, la communauté d'agglomération, Plaine-Commune, porte plainte contre le groupe et requiert son expulsion, dénonçant un problème de salubrité public et une gêne pour le centre de santé. Un jugement a lieu ce lundi après-midi au Tribunal de grande instance de Bobigny, mais les expulsés sont sereins. «Incha’Allah, on va gagner», lance en souriant Aboubakar.
Faute d’un avocat pour le Droit au Logement (DAL), premier défenseur des sans-abris, le jugement est reporté au 14 septembre. «Ils vivent dans des conditions déplorables, mais Plaine Commune ne peut pas en être responsable», lançait l’avocate de la communauté d’agglomération ce lundi au tribunal, entourée d’une vingtaine d’expulsés, dans l’attente d’une issue.
«Elle dit qu’ils sont dans une situation de danger, alors qu’elle diligente une procédure d’expulsion de terrain», dénonce Jean-Baptiste Lecerf, leur défenseur au sein de DAL. «La préfecture estime que cela lui coûte trop cher de payer des chambres d’hôtel à ces sans-abris. Quant à cette plainte, elle satisfait une demande de la mairie, qui estime que ces 80 personnes ne sont pas courneuviennes», explique-t-il. «C’est outrancier de sa part de dire qu’ils salissent les lieux, ce n’est pas sale. On ne peut pas leur opposer un trouble à l’ordre public. Le trouble, c’est eux qui le subissent».
Par VALENTINE PASQUESOONE... suite de l'article sur Libération