Dans la galère des réfugiés ivoiriens au Ghana: Prostitution et petits commerces pour survivre
Publié le mardi 10 mai 2011 | L'Inter - Parfois, on a l`impression qu`en fuyant une réalité jugée catastrophique, on trouverait le mieux-être ailleurs. Mais l`aventure
nous réserve des surprises désagréables. En allant à la rencontre des Ivoiriens réfugiés souvent au Ghana, un refrain est entonné sur toutes les lèvres de tous ceux que nous avons rencontrés: les conditions de vie sont difficiles, et la tentation d`un retour au pays natal effleure des esprits, sous réserve de certaines conditions. Reportage!
Publié le mardi 10 mai 2011 | L'Inter - Parfois, on a l`impression qu`en fuyant une réalité jugée catastrophique, on trouverait le mieux-être ailleurs. Mais l`aventure
nous réserve des surprises désagréables. En allant à la rencontre des Ivoiriens réfugiés souvent au Ghana, un refrain est entonné sur toutes les lèvres de tous ceux que nous avons rencontrés: les conditions de vie sont difficiles, et la tentation d`un retour au pays natal effleure des esprits, sous réserve de certaines conditions. Reportage!
Première escale, Elubo. Ce gros village est la première localité ghanéenne qu`on trouve lorsqu`on franchit le pont qui relie la Côte d`Ivoire au Ghana via la ville frontalière de Noé. Du monde, il y en a en ce lieu. Beaucoup même. Point besoin de se poser des questions pour comprendre cette animation particulière. Noé, c`est d`abord le lieu de transit pour les voyageurs en partance vers les voisins de l`est de la Côte d`Ivoire. Ensuite, il y a le commerce qui s`est développé à cette frontière. Enfin, à Elubo, de nombreux Ivoiriens qui ont fui la guerre à Abidjan, ont trouvé refuge. Parmi les visages peu familiers que nous rencontrons (mon guide et moi), deux jeunes attirent notre attention. L`un se prénomme Ange et l`autre, Samuel. Ce sont des Ivoiriens. Habitant Yopougon, Ange et Samuel ont dû fuir les combats dans cette commune de la capitale économique ivoirienne. Pour ces jeunes, le destin a voulu qu`ils se retrouvent de l`autre côté de la frontière, en territoire inconnu. «Un bon matin je me suis levé très tôt et j`ai suivi un groupe de personnes qui allaient vers Bassam. Après deux jours de marche, je me suis retrouvé ici», raconte Samuel. «Il fallait quitter Abidjan parce qu`on nous prenait pour des miliciens, c`est ce que nous avons fait sans savoir exactement où nous partions», ajoute Ange. Un peu plus loin, Antoine nous accoste. C`est une vieille connaissance. A pas lents et dandinant comme dans un état d`ivresse, il s`approche de nous. Mais un constat se dégage: il est véritablement amaigri. Et pourtant, c`était à l`époque un colosse de 1,80m avec un poids qui avoisinait 110 kg. Car à Abidjan, Antoine assurait la garde rapprochée d`un puissant homme d`affaires. Il était toujours assis en avant d`une grosse cylindrée climatisée lors des différents déplacements du boss, dînant dans des restaurants huppés d`Abidjan et de Yamoussoukro. Mais il a été obligé d`abandonner cette vie paisible et enviée pour tenter de survivre de son refuge au Ghana. Qu`est-ce qu`on lui reproche exactement? «A Anono où j`habitais, on m`accusait d`entraîner un groupe de miliciens. Ce qui n`était pas vrai. Les menaces sur ma vie étaient telles que je ne pouvais plus prendre le risque de rester sur place », explique-t-il, sans grand souffle. Antoine n`avait, en effet, rien mangé depuis le matin, et il était 14 heures.
Réfugiés et réfugiés
Deux catégories de réfugiés se rencontrent à Elubo. Il y a ceux qui sont pris en charge par l`Office international de l`immigration(OIM) et ceux qui décident de se loger soit dans des hôtels, soit dans des appartements pris en location. Pour la première catégorie, la situation est intenable. Un camp de transit a été aménagé pour accueillir ces réfugiés. Ils dorment sous des tentes, et la qualité de vie fait grogner de plus en plus les Ivoiriens. Mais leurs voix sont inaudibles devant les moyens limités des services d`immigration. «On nous sert de la nourriture au goût bizarre. Quand on se met dans le rang à 18 heures, tu peux y rester jusqu`à 22 heures», nous confie Nina, une lycéenne de 18 ans, de nationalité centrafricaine, sortie de la commune d`Abobo où elle vivait avant la guerre. En principe, quand vous arrivez au camp de transit, vous en ressortez au bout de quelques jours pour une autre destination, après votre identification. Mais des Ivoiriens se plaignent de leur présence prolongée au camp d`Elubo. «Cela fait un mois que nous sommes ici, mais l`on nous refuse le droit de partir à Ampain», s`emporte Ange. «Les gens nous prennent pour des miliciens et ont peur qu`on aille de l`autre côté», renchérit-il. «Ici, nous privilégions ceux qui arrivent en famille», se défend un agent des services d`immigration, sous le couvert de l`anonymat. Quant à l`autre catégorie d`Ivoiriens qu`on rencontre à Elubo, elle donne l`impression d`être mieux lotie. Mais la vie n`est pas aussi rose. Un confrère qui a occupé les fonctions de rédacteur en chef dans un quotidien proche de l`ancien régime, fait partie de ces exilés. Les conditions de vie, ajoutées aux soucis familiaux l`ont rendu méconnaissables. «J`ai franchi la frontière sans argent. J`ai reçu un mandat de mes frères qui se trouvent en Europe. Mais cet argent est fini. Ma femme était enceinte, mais elle a fait une fausse couche à cause des problèmes», nous confie-t-il, le regard plongé dans le vide. Logé dans un hôtel, ce dernier a dû, au bout d`un mois, déserter les lieux pour trouver refuge chez une vieille connaissance. «L`hôtel me revenait cher et c`est un ami qui a bien voulu m`héberger chez ses parents», explique le journaliste. Nous lui expliquons notre volonté d`échanger avec les autres Ivoiriens qui vivent comme lui. Ce sont pour la plupart des personnalités très connues de la politique ivoirienne, de la «galaxie patriotique» notamment. En effet, ces derniers ne sont pas très en vue à Elubo. Ils vivent dans des lieux tenus secrets. Pour les rencontrer, le journaliste réfugié décide de les convaincre. Le lendemain, il nous informe que sa démarche a échoué. «Dans leur grande majorité, ils ont décliné l`invitation. Ils ont peur pour leur sécurité», explique-t-il. A Eludo, nous apprenons que de jeunes ivoiriennes se livrent à la prostitution pour pouvoir joindre les deux bouts. Leurs principaux clients se rencontrent parmi les agents des services d`immigration. «Ces filles se livrent pour 1 Cedi ghanéen( Ndlra: environ 300 francs CFA)», révèle notre source, une étudiante ivoirienne qui se défend de ne pas s`adonner à de telles pratiques. Ce prix a doublé depuis quelques jours, nous informe-t-on. «La vie est trop chère ici. Donc, il faut réajuster les choses», ironise une jeune fille, sous le couvert de l`anonymat. Des jeunes garçons, pour leur part, se livrent à des activités beaucoup honorables. C`est le cas de Patrick et de Joseph. Depuis leur arrivée, respectivement le 20 et le 27 mars derniers dans le camp de transit, ils ont décidé de faire du petit commerce à l`effet d`avoir un peu d`argent. Avec des paquets de cigarettes en main, Patrick et Joseph sillonnent la route principale ainsi que le marché, à la recherche d`éventuels clients. On découvre d`autres Ivoiriens gérant de cabines téléphoniques. «Ça marche pour moi», se réjouit Vincent. «Avec ce que je gagne, je peux acheter de quoi manger pour mes parents qui n`ont pas d`autres ressources», ajoute-t-il.
Environ 7000 personnes venues de la Côte d`Ivoire dans le camp d`Ampain
Lundi, nous décidons de prendre la direction de Takoradi, une ville ghanéenne située à 133 km d`Elubo. En cours de route, montent deux jeunes ivoiriens dont l`âge tourne autour de 25 ans. Ce sont des réfugiés. Ils venaient de faire le marché dans un village. Le contact est très vite établi, et une causerie s`engage entre nous. Pendant le voyage, ils nous expliquent les causes de leur présence en terre ghanéenne, liées à la situation qui prévalait à Abidjan. « A Gesco où nous résidons, c`était la chasse aux miliciens de Gbagbo. Quand tu as la tête rasée comme moi, on t`identifie à un milicien de Gbagbo. Des amis à moi sont portés disparus. La vie était insupportable», me confie l`un d`entre eux. Quand l`autre jeune dit ne pas avoir de nouvelles de ses parents restés à Yopougon d`où les échos de violents combats entre groupes armés sont parvenus à lui. « Ils ne savent pas où je me trouve; et moi, je n`ai aucune information sur leur situation », s`inquiète-t-il, les yeux embués de larmes. Après une distance de 57 Km, nous voici à Ampain. En bordure de route, un commerce se développe. Des grillades, des friperies et des denrées alimentaires sont proposés à la vente. De l`anglais parlé par certains, de l`Ashanti par d`autres ou du français par d`autres encore..., toutes les langues sont bonnes pour communiquer.
Ampain sort progressivement de l`anonymat. Car c`est là que se dresse l`un plus grands camps de réfugiés du pays, après celui de Budumbura( à 44 km d’Accra) qui accueille 11 mille réfugiés libériens, situé dans le district de Gomoa. Environ 7000 personnes venues de la Côte d`Ivoire y sont installées. Mais avant d`être pris en compte dans ce camp, il faut d`abord passer par celui d`Elubo que nous avons visité la veille. Selon les personnes que nous avons interrogées, le processus de sélection fait grincer beaucoup de dents. « Le HCR privilégie les familles, avant de s`occuper des autres cas », indique Flavien, arrivé là il y a seulement deux jours. « J`ai eu beaucoup de chance parce que je suis malade », fait-il savoir. Si de nombreux Ivoiriens décrient le mauvais traitement au camp d`Elubo, à Ampain, les choses ne sont pas aussi meilleures: les réfugies disent manquer du minimum. Bonne ou mauvaise foi? Les différents témoignages recueillis sur les lieux convergent toujours. « Lorsque tu arrives, le HCR te donne un kit comprenant un drap, une natte ainsi que du savon. Pour ce qui concerne les vivres, juste quelques kilos de graines de haricot pour deux semaines seulement. C`est très peu comme ration alimentaire », s`indigne un déplacé. « Pour l`eau, nous parcourons plus d`un kilomètre pour nous en approvisionner », ajoute-t-il. D`autres réfugiés racontent que de nombreux déplacés préfèrent la destination Togo. Les gens y seraient mieux traités. Cette nouvelle n`aurait pas fait plaisir aux autorités ghanéennes. D`où cette décision: « Nous avons appris que le chef de l`Etat du Ghana n`est pas très content de ce qui nous arrive. C`est pourquoi, il est annoncé dans les jours à venir pour une visite afin de s`imprégner de nos conditions de vie », révèle une source.
Si de nombreux réfugiés passent le temps sous leurs tentes, d`autres par contre passent leur journée dans le village. Là, nous avons aperçu des femmes faisant la lessive ou la cuisine. Certaines familles sont couchées sous des arbres. Pour les élèves du primaire et de secondaire, ils ont repris le chemin des classes. « C`est très réconfortant pour ces enfants», se satisfait un parent. La soirée, les activités s`organisent autrement. «A 18 heures, nous devons être tous dans le camp. C`est la consigne », indique un réfugié. A l`intérieur, la vie s`organise. Après le dîner qui s`obtient au prix de hautes luttes, les réfugiés passent leur temps entre des séances de prière et des causeries de tout genre. Les Ivoiriens sont devenus très croyants depuis leur arrivée au Ghana, surtout dans un pays où pullulent de nombreuses églises à forte dominante évangélique. « Tous les dimanches, des églises mettent gracieusement des minibus à notre disposition pour nous convoyer à des lieux de culte », explique une dame. Pour les débats, ils tournent autour de la Côte d`Ivoire. Les informations en provenance du pays leur parviennent via le téléphone mobile.« Nous n`avons pas de poste téléviseur pour nous informer», se plaint Achille. Mais selon eux, les nouvelles ne sont pas encore rassurantes. Et les réfugiés continuent d`affluer. « Chaque jour, un véhicule de 70 places convoie à deux reprises des Ivoiriens en provenance du camp d`Elubo», indique l`un des étudiants que nous avons rencontré dans le taxi. A la fin de notre mission, nous décidons de rentrer. Sur la route du retour, nous arrivons à la frontière ivoiro-ghanénne. Au poste de police tenu par les Forces ivoiriennes, une dizaine de cars sont immobilisés. Les occupants des véhicules remplissent les formalités pour poursuivre leurs voyages sur Abidjan. Renseignement pris, ce sont au moins 300 ressortissants nigérians qui rentrent en Côte d`Ivoire, après avoir quitté le pays il y a environ trois mois. « Il n`y a plus de raison de rester longtemps chez nous parce que nous pensons que la paix est revenue à Abidjan », indique un voyageur. « La Côte d`Ivoire est notre source de richesse », ajoute-t-il, avant d`embarquer à nouveau dans le car. A Noé, nous prenons place à bord du véhicule. Destination, Abidjan. Nous retrouvons Nina et sa cousine Stéphanie. Réfugiées à Elubo depuis des semaines, elles rentrent à Abidjan rejoindre leurs parents restés sur place. « C`est vrai, j`ai hâte de retrouver mes parents et camarades, mais je suis un peu anxieuse à cause ce que nous avons vécu à Abidjan», se confesse Nina. Deux jours après leur arrivée, une fête a été organisée à leur intention. Ces retrouvailles leur ont fait oublier la galère passée en terre étrangère. Pourvu que cette paix soit définitive.
Bertrand GUEU (Envoyé spécial au Ghana)
Le profil des réfugiés et leurs conditions pour revenir au pays
Publié le mardi 10 mai 2011 | L'Inter
Selon la majorité des Ivoiriens réfugiés au Ghana, la question de leur retour reste liée à l'évolution de la situation sécuritaire en Côte d'Ivoire. Si la plupart de ces déplacés ont dû fuir le pays en raison de menaces qui pesaient sur leur intégrité physique, ils estiment que le risque n'est pas pour l'instant écarté. «Les nouvelles qui nous parviennent d'Abidjan ne nous rassurent pas», s'inquiète Antoine. Une visite menée dans les deux camps de réfugiés a fait ressortir un profil alarmant. Ces personnes déplacés sont majoritairement d'ethnie Guéré, Bété, Attié et Abbey. Ils viennent soit d'Abobo, soit de Yopougon, les communes où les combats ont été les plus intenses et où certaines populations ont été ciblées par des forces armées. Ce sont également des élèves et étudiants généralement considérés comme appartenant à une milice pro-Gbagbo. «Tant que nous ne verrons pas la police et la gendarmerie revenir en première ligne dans les opérations de sécurisation, nous ne retournerons pas en Côte d'Ivoire », ajoute-t-il. Tout en prenant acte du changement de régime à Abidjan, les réfugiés encouragent les nouvelles autorités ivoiriennes à s'engager pleinement dans le processus de réconciliation nationale, lequel doit prendre en compte la diversité d'opinion. « On ne peut pas être 100% Ouattara ou 100% Gbagbo dans un pays. Il faut que les gens comprennent cela si nous voulons avancer et construire la Côte d'Ivoire », estime Patrick. En outre, des réfugiés sont tentés par l'exil vers l'Europe ou l'Amérique. D'où leur souhait d'avoir la carte de réfugiés délivrée par le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés(HCR). Mais la procédure est complexe.
B. GUEU