CULTURE & STYLE D'AFRIQUE: Chérif Douamba, le mannequin qui veut « montrer la beauté de la Côte d’Ivoire »

CULTURE & STYLE D'AFRIQUE. Chérif Douamba, le mannequin qui veut « montrer la beauté de la Côte d’Ivoire ».

Le mannequin ivoirien Chérif Douamba. DR.

Agé de 28 ans, le modèle au physique longiligne a défilé pour Dior, Fendi ou Valentino. Fort de son succès, il tente d’épauler les jeunes talents du continent et de donner de la visibilité aux créateurs ouest-africains.

Par Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)

Classé dans le top 10 des mannequins hommes ayant marqué l’année 2021 par Vogue France, nominé en 2022 (pour la troisième fois) dans la section masculine « Model of the Year » par Models.com, habitué des « fashion weeks » et des défilés Dior, Fendi ou Valentino… A 28 ans, l’Ivoirien Chérif Douamba peut se targuer d’un joli palmarès dans une carrière qu’il n’avait jamais envisagée.

Adolescent, ce jeune homme issu de la classe moyenne abidjanaise aimait surtout l’art et la peinture. La mode ne l’intéressait guère. Quand un chasseur sud-africain de nouveaux talents – un « scout », dans le jargon du mannequinat – le repère sur Instagram en 2016, il décline d’abord sa proposition. Alors étudiant en troisième année de droit, il a entendu trop d’histoires de trafic humain et de prostitution forcée. Et en Côte d’Ivoire, la mode a mauvaise presse. « Pour mon père, le mannequinat était synonyme de vice, reconnaît-il. La plupart des Africains considèrent que la mode n’est pas un vrai travail. »

Après un an de tergiversations, rassuré par ses amis et encouragé par la perspective d’améliorer son niveau de vie, il se lance finalement : le scout sud-africain l’envoie au Ghana, où il décroche un premier contrat avec une agence de mannequinat. « Le secteur est mieux organisé et mieux considéré dans les pays africains anglophones, même si certains pays francophones, comme le Sénégal, parviennent à se démarquer, explique-t-il. Mais si je voulais une carrière internationale, il fallait que j’apprenne l’anglais. » Son physique, qu’il qualifie d’« atypique », plaît. Une silhouette immense et longiligne, des épaules carrées, des traits affûtés.

« Sans visa, on ne peut pas travailler »
A Accra, il apprend l’anglais et les rudiments du « catwalk ». Puis sa carrière explose : en janvier 2019, il défile à la Fashion Week de Milan pour Ermenegildo Zegna, puis à Paris la semaine suivante. Puis viendra, en janvier, le show de Pharrell Williams pour Louis Vuitton, dont la star américaine est le nouveau directeur créatif homme. « En ce moment, les peaux ébène comme la mienne sont en vogue », se félicite Chérif Douamba, qui partage désormais les podiums avec des mannequins sénégalais, maliens ou nigérians. Peu d’Ivoiriens défilent en revanche, à l’exception notable de l’Ivoiro-Canadien Adonis Bosso et, plus récemment, du jeune Samuel Elie.

Pour Chérif Douamba, comme pour la plupart de ses collègues du continent, la première difficulté à surmonter pour exercer son métier est administrative. « A chaque fois que je me retrouve en backstage à discuter avec des agents, ils me demandent comment j’en suis arrivé là… Et je leur explique que l’obstacle majeur entre nous et cette profession, c’est le visa. Les trois quarts de notre travail se passent à l’étranger. Sans visa, on ne peut pas travailler. » Pour les mannequins débutants venus d’Afrique subsaharienne, tout se joue à la chance ou aux contacts. Et la procédure, de plusieurs centaines d’euros, est à leurs frais.

Pour que celle-ci se simplifie, Chérif Douamba a dû attendre de rencontrer un début de notoriété afin que les marques avec lesquelles il collabore lui signent des lettres d’invitation. Mais, lassé de devoir quitter le territoire européen tous les trois mois en raison des limitations du visa Schengen, il choisit finalement de s’installer à Londres. S’il aimerait voir la France, en tant que « capitale mondiale de la mode », développer un visa spécial aligné sur la durée du contrat des modèles avec leur agence, la destination la plus difficile à rejoindre reste encore les Etats-Unis. « Il fallait que j’aie 70 recommandations de directeurs de casting, photographes, stylistes, make-up artists… Sauf que généralement, tu n’as pas de contact direct avec eux, parce que c’est ton agence qui te booke et t’envoie faire le travail. »

Des agences aux pratiques frauduleuses
Chérif Douamba consacre désormais une partie de son temps à aider ceux qui rêvent d’une carrière dans le mannequinat et à jouer les intermédiaires avec les agences. « Beaucoup de gens m’écrivent sur Instagram. J’essaie de partager mon expérience au maximum, donner des conseils pour le visa, le choix des marques… » Un ex-modèle ivoirien passé à la photographie et répondant au surnom de « Perfect Black » salue en lui « une source d’inspiration, l’un des seuls Africains dans le top 50 mondial et un modèle pour tous les aspirants mannequins ivoiriens ».

Engagé, le jeune homme voudrait également préserver les plus jeunes des pratiques frauduleuses des agences. « Elles peuvent te prêter de l’argent pour le visa ou les billets d’avion et se rembourser ensuite sur ton salaire avec de gros intérêts, relate-t-il. On rencontre des mannequins qui font une saison exceptionnelle en Europe ou aux Etats-Unis, qu’on voit partout, et à la fin de la saison ils se retrouvent avec les poches vides parce que leur agence en Afrique leur a tout pris. »

Si le mannequinat reste son activité principale, Chérif Douamba s’est aussi tourné vers la photographie et la direction artistique. « Je pense avoir des choses à dire, montrer ma beauté physique ne me suffit pas, explique-t-il. Je veux aussi montrer celle de la Côte d’Ivoire et du Ghana. » Et, à l’occasion, donner de la visibilité aux jeunes créateurs ouest-africains. Pendant l’entretien téléphonique, auquel il répond depuis Paris, il porte un pantalon Djainin, tient-il à préciser, une jeune griffe appréciée des élégants abidjanais.

En septembre, Chérif Douamba est revenu en Côte d’Ivoire pour tourner à Grand-Bassam, près d’Abidjan, son premier court-métrage. Un récit initiatique inspiré de son enfance et de celle de son meilleur ami. La sortie est prévue pour la fin de l’année.

Marine Jeannin(Abidjan, correspondance)