CRISE UKRAINIENNE / SYLVAIN TAKOUÉ (3ème PARTIE ET FIN): « Que l’Afrique soutienne la Russie,… »

Par Ivoirebusiness- CRISE UKRAINIENNE - INTERVIEW DE SYLVAIN TAKOUÉ (3ème PARTIE ET FIN).

CRISE UKRAINIENNE
INTERVIEW DE SYLVAIN TAKOUÉ
(3ème PARTIE ET FIN)

« Que l’Afrique soutienne la Russie,
est l’appel de la nouvelle ère multipolaire de demain… »

Dans cette 3ème et dernière partie de son interview-vérité que nous publions sur son livre intitulé « Guerre en Ukraine : Poutine n’est pas le mal », l’écrivain ivoirien Sylvain Takoué jette encore ici le pavé dans la mare. Dans son analyse rigoureuse de la situation russe, il évoque surtout la position de l’Afrique…

Vous considérez-vous, en tant qu’écrivain ivoirien, donc africain, comme le porte-voix de l’Afrique intellectuelle dans la crise ukrainienne, par la publication de votre livre ?
Non. Ce serait trop prétentieux de ma part. Je ne suis qu’une modeste voix de cette « Afrique intellectuelle », dont vous parlez. À ce titre, mon livre de réflexions n’engage que moi. Mais c’est aussi un livre d’éclairage historique sur la question ukrainienne. À ce titre, il concerne donc tout le monde à la fois, pas seulement en Afrique. C’est le premier stade des choses. Ainsi, à la façon de la pierre jetée dans une rivière, mon livre crée nécessairement des cercles concentriques dans l’opinion africaine et ailleurs. On peut alors, dans l’Afrique intellectuelle, partager ou non, ma thèse sur la crise ukrainienne, thèse qui donne raison au Président Russe Vladimir Poutine. Le débat peut toujours avoir lieu à ce sujet. Un tel livre est d’ailleurs fait pour cela : appeler au débat, mais au débat utile et constructif. J’ai réfléchi et donné ma position sur cette question ukrainienne. À ceux qui y trouvent à redire, de faire aussi connaître leurs réflexions. Mais, à coup sûr, ce livre aura des soutiens intellectuels partout, pas seulement en Côte d’Ivoire, ou en Afrique.

Ne serait-il pas du côté de l’Afrique politique que votre livre pourrait être surtout perçu comme un gros pavé jeté dans la mare des dirigeants des Etats africains ?
Sans doute ! Parce que de côté-là, la vérité politique est toujours mal accueillie. Mais l’« Afrique politique » dont vous parlez, trouverait plutôt là, à mon avis, l’occasion de se réveiller enfin d’un long sommeil, qui est celui de l’inertie politique, une tare qui lui colle tant à la peau…
Qu’entendez-vous par-là ?
Qu’on cesse enfin de dormir sur notre propre intelligence en Afrique, sur tous les plans. C’est tout ! L’Afrique a connu l’esclavage et la traite négrière pendant cinq siècles, puis 200 ans de colonisation. Pour ce qui est, par exemple, de la colonisation brutale française en Afrique, on est passé d’une forme de décolonisation flagrante, à une autre forme plus subtile de colonialisme, faite par le moyen de la langue française : la Francophonie. Par ce moyen culturel savamment orchestré et distillé, l’Afrique francophone est encore maintenue dans le giron politique de la France d’hier à aujourd’hui, sous quelques évolutions qui ont toujours plus arrangé cet ancien colonisateur brutal. Donc, c’est du méli-mélo, le bonnet blanc et le blanc bonnet. La question centrale que les Africains doivent se poser en toute objectivité, est celle-ci : Est-ce que la dépendance continuelle de l’Afrique à la France arrange l’Afrique ? C’est une question épineuse. Mais c’est précisément cette épine qu’il faut que l’Afrique s’arrache du pied, quelle que soit la douleur que cela lui causera. C’est la manière d’y parvenir que l’Afrique recherche encore aujourd’hui. Voilà schématiquement présentées les choses.

Et donc, vous pensez à la Russie pour arracher cette épine au pied de l’Afrique…
Je pense au moyen qu’offre la Russie. Ce moyen, ce n’est pas la dépendance comme avec la France, mais la clé de l’indépendance mentale et physique de l’Afrique. C’est en cela que le discours pour l’avènement d’un monde multipolaire, que la Russie traduit, par le biais de la crise ukrainienne, devra fortement intéresser l’Afrique politique. Que l’Afrique comprenne clairement ce discours, serait déjà formidable en soi, pour elle et son avenir. Mais que l’Afrique politique s’engage surtout dans l’élan d’un monde multipolaire, est la clé pour se débarrasser des chaînes cadenassées de sa dépendance totale à la France et à l’Occident.

Votre réflexion ne va certainement pas plaire aux voix autorisées…
Mais c’est pourtant la vérité à dire et la voie à suivre. C’est le sacrifice nécessaire à faire. Sinon, le statu quo de la dépendance totale de l’Afrique à l’Occident restera le même. Je ne connais pas un seul gourmand au monde, qui ne se plaindrait pas de n’avoir plus son repas de goinfre habituel. (Rires). Plus sérieusement, l’Afrique, pour la énième et ultime fois, devra se regarder dans le miroir et se demander : « Quelle est ma situation économique et politique actuelle ? » De ce point de vue, les gens d’esprit, tels que nous, lui répondront clairement ceci : - « Ta situation économique et politique est encore celle de la femme esclave tombée amoureuse de son maître. Ou de Sisyphe condamné à porter la pierre jusqu’à un sommet qu’il n’atteindra pas » !

Vous enfoncez ainsi le clou là où cela ferait mal…
Oui, mais pour que cela réveille l’esprit, plutôt que de laisser toujours conter fleurette aux oreilles de nos dirigeants africains. J’entends souvent dire, de la bouche de certains Africains, dont des journalistes professionnels, que la crise ukrainienne est loin des préoccupations de l’Afrique. C’est une incroyable aberration de leur part. Et c’est même toxique. D’autres encore, comme s’ils avaient le cerveau à l’envers, ont carrément fustigé le fait que le président d’Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa, soit allé, à la tête d’une délégation constituée de six autres chefs d’Etat africains, faire une médiation dans cette crise ukrainienne.

N’ont-ils pas raison de le penser ?
Si vous pensez comme eux, vous vous égarez. Ils ont notamment évoqué des cas de crises armées en Afrique, notamment au Soudan et ailleurs, qui n’ont pas reçu ce type de médiation africaine initiée à la sauvette. Mais les crises intestines en Afrique, ne sont que les effets des manipulations politiques orchestrées depuis leurs capitales dorées, par les puissances hégémoniques, dont ne font absolument pas partie ni la Russie ni la Chine, par exemple. Ni la Russie ni la Chine n’ont cette tradition inhumaine de soumettre à elles d’autres peuples du monde. Citez-moi une seule colonie de la Russie ou de la Chine en Afrique. Citez-moi aussi un seul pays en Afrique, qui ait subi une ingérence politique de la Russie ou de la Chine. Par ailleurs, il faut savoir que l’initiateur de cette médiation africaine dans la crise ukrainienne, Cyril Ramaphosa, est le président de l’Afrique du Sud, un pays membre du bloc des BRICS, dont fait aussi partie la Russie. Or, les BRICS sont le creuset du futur monde multipolaire, qui est en train de se mettre en place progressivement. Cette « médiation Ramaphosa » que les gens fustigent sans rien en savoir, s’est passée avant le Sommet des BRICS, qui a eu lieu en août 2023, à Johannesburg, en Afrique du Sud. Le président Poutine ne pouvant participer en personne à ce Sommet, à cause du mandat d’arrêt illégitime et impopulaire de la CPI, qui pèse sur lui, il était tout à fait indiqué, pour son homologue Ramaphosa, d’aller s’entretenir directement avec lui à Moscou, dans un contexte de médiation. Où est le problème de ceux qui ont pensé que c’était une médiation impie ?

Oui, car on a l’Union Africaine qui est là, qui est quand même l’organisation dont la voix de médiation pouvait plus porter que celle de Ramaphosa et son petit groupe…
L’Union Africaine ? (Rires). C’est plutôt à elle que ceux qui ont invectivé la médiation du président Ramaphosa, devrait se tourner pour lui montrer les foyers de crises armées disséminées en Afrique. Elle peine à éteindre ces foyers de feu. De plus, pour sa grande proximité avec les tenants de l’Occident qui fait la guerre à la Russie et à Poutine en Ukraine, cette organisation ne peut aller valablement donner raison à la Russie, sans se faire taper sur les doigts par l’Occident. Or, le Président Vladimir Poutine, je le répète, a raison dans cette crise ukrainienne. Quand les dirigeants de l’Union Africaine sont tout de même allés, avec le dos rond, voir Poutine à Moscou, on a bien vu qu’ils ne pouvaient qu’avoir un demi-sourire teinté de la gêne de ne savoir quoi dire au juste, de cette crise ukrainienne. Ils n’ont pas eu les coudées franches, ni la voix audible pour trancher en faveur de celui qui a pourtant raison dans cette crise ukrainienne, c’est-à-dire Vladimir Poutine.

Votre argument, à coup sûr, ne plaira pas à ceux qui ne l’entendront pas de cette oreille…
Écoutez, je ne suis pas en train de faire la cour à une femme à qui il faut que je plaise à tout prix. Donc, plaire ou ne pas plaire, n’est pas le problème de fond ici. Il s’agit de dire et défendre le droit international dans la question ukrainienne. Regardez ce qui se passe actuellement en Afrique de l’Ouest – la Guinée, le Mali, le Burkina Faso, le Niger. Ce n’est pas de la complaisance, mais une recomposition morale qui est en marche, parce que ce monde africain resté longtemps soumis à l’Occident, en a marre. J’initie en ce moment, sur la base de ce carré ouest-africain du Burkina, du Niger, du Mali et de la Guinée, le mouvement « SOTOVPOA » (Soutien Total à Vladimir Poutine en Afrique). Regardez aussi ce qui s’est passé en août dernier au récent Sommet des BRICS en Afrique du Sud : 6 pays – l’Arabie saoudite, l’Iran, l’Egypte, les Emirats Arabes unis, l’Ethiopie et l’Argentine – sont annoncés en janvier 2024 au sein des BRICS. La liste des autres pays qui frappent aux portes des BRICS est longue comme une autoroute. Voilà ce que nous espérons que l’Afrique regarde avec lucidité. L’avenir n’est pas dans le sérail ancien. Il est ailleurs. Mais c’est précisément cela qui fait si peur aux fieffés tenants de l’ancien ordre mondial.

Qu’attendez-vous donc finalement de l’Afrique ?
Que l’Afrique soit pragmatique ! Et qu’elle fasse le choix légitime, entre continuer à subir les règles méprisantes de l’ordre mondial ancien, qui dicte ses lois iniques aux plus faibles, et où la prospérité économique n’appartient qu’aux plus puissants occidentaux, ou bien appartenir à la nouvelle ère multipolaire qui clarifie le droit international et parle d’avenir économique florissant partagé en toute équité, au sein des BRICS promus par la Russie et la Chine. Voilà le pragmatisme dont nous parlons. Cela ne demande pas d’être spécialement plus intelligent ni plus sage que le biblique fameux roi Salomon. Que l’Afrique soutienne aujourd’hui la Russie, est l’appel de la nouvelle ère multipolaire de demain…

Interview réalisée à Abidjan
Par Omer BOTI