Crimes économiques en Côte d’Ivoire : Le Copaci exige un audit de tous les gouvernements d’union nationale
Le 10 septembre 2011 par Autre presse - A l'occasion de la rentrée politique du Courant de Pensée et d'Action de Côte-d'Ivoire (COPACI), son
Président, Blaise Pascal Logbo, a bien voulu nous accorder une interview dans laquelle il exprime les positions de son parti sur des sujets de la politique ivoirienne. Avec le franc-parler qu'on lui reconnaît, Blaise Pascal Logbo dit ses vérités sur l'impunité, les crimes économiques, la réconciliation et Cour pénale internationale.
Quel commentaire faites-vous de la situation en Côte-d’Ivoire après le 11 avril dernier?
Le 10 septembre 2011 par Autre presse - A l'occasion de la rentrée politique du Courant de Pensée et d'Action de Côte-d'Ivoire (COPACI), son
Président, Blaise Pascal Logbo, a bien voulu nous accorder une interview dans laquelle il exprime les positions de son parti sur des sujets de la politique ivoirienne. Avec le franc-parler qu'on lui reconnaît, Blaise Pascal Logbo dit ses vérités sur l'impunité, les crimes économiques, la réconciliation et Cour pénale internationale.
Quel commentaire faites-vous de la situation en Côte-d’Ivoire après le 11 avril dernier?
Blaise Pascal Logbo: Notre pays vit des moments les plus tragiques de son histoire depuis le 19 septembre 2002. Cette tragédie, qui a atteint son paroxysme par la crise post-électorale, s'est soldée par la guerre et la chute du régime du FPI. Sur le plan politique, nous assistons à un recul spectaculaire de la démocratie et des droits de l’homme, orchestré par un pouvoir imposé par un coup d’État militaire de la France et des casques bleus de l’ONU, en lieu et place du dialogue politique qui nous aurait épargné des pertes en vies humaines et matérielles. Des ivoiriens sont persécutés et martyrisés pour leur appartenance politique et leurs patronymes devenus des délits. Les libertés et la démocratie sont confisquées. Nous assistons à des arrestations et détentions arbitraires de leaders politiques et à la dissolution de l’État de droit dans le feu des armes. Nous condamnons fermement cette tragédie politique, qui a causé une tragédie économique. Des entreprises ont été pillées ou détruites par des hordes de criminels. Quelle sécurité des entreprises, des biens et des personnes veut-on instaurer après avoir libéré des hors-la-loi, des prisonniers, pour mener une guerre et les intégrer dans une armée dite républicaine? Le coût du cacao est dramatique; et j’imagine la désillusion de nos braves paysans. Pendant qu’il était question de réduire la dette, les nouvelles autorités ont pris l’engagement de s’inscrire dans un nouveau cycle absurde d’endettement, cette chaîne invisible des États. Cette tragédie économique a eu pour corollaire une tragédie sociale. Des entreprises ont fermé ou sont en difficulté. Plusieurs ivoiriens ont perdus leurs emplois, le chômage s’est considérablement accru. Pour la majorité, le salaire ne suffit plus pour assurer le quotidien, à cause de l’énormité du coût de la vie. Tout est devenu très cher et des chairs en souffrent terriblement. De nombreuses familles sont plongées dans la désolation, elles vivent dans la précarité et dans l’incertitude du lendemain. La situation actuelle est déconcertante et révoltante.
Au vu de tout ce qui précède, est ce que votre parti reconnaît le pouvoir du régime Ouattara ?
B.P.L: Ce ne sont pas les partis politiques qui reconnaissent les présidents en Côte d'Ivoire. C'est la tâche du Conseil constitutionnel. Dans un pays de droit, la décision du Conseil constitutionnel s'impose à tous, même aux entités privées que sont les partis et groupements politiques. Mais notre seule interrogation au COPACI, est de savoir pourquoi ce Conseil constitutionnel a investi deux présidents pour un même mandat, malgré l'article 98 de notre constitution qui est clair sur cette question.
Que pensez-vous de la réconciliation nationale en cours en Côte d'Ivoire?
B.P.L: C'est une bonne chose que l'on pense à réconcilier le peuple après une guerre, mais une telle initiative s'accompagne de grands gestes. Quelle réconciliation veut-on avec toutes ces frustrations dont sont victimes de nombreux ivoiriens, avec tous ces prisonniers politiques, arbitrairement détenus dans des conditions inacceptables? Si réconcilier c'est remettre d'accord des personnes en désaccord, je pense que la réconciliation sera possible, si les principaux acteurs politiques ivoiriens sortent du jeu d'hypocrisie et abordent les problèmes de fond. En maintenant des principaux acteurs politiques du précédent régime en prison, tout porte à penser que la réconciliation, dont il est question, ne concernent pas l'ensemble de la classe politique ivoirienne. Car pour réconcilier, par exemple, Gbagbo et Ouattara, il faut bien que l'autre soit en liberté pour qu'ils puissent dialoguer, s'accorder et s'embrasser pour marquer leur réconciliation. S'il s'agit de reconcilier une partie du peuple avec la classe politique dirigeante, j'estime encore que la libération des prisonniers politiques s'impose, sans oublier l'instauration d'un Etat de droit et le dédommagement de toutes les victimes de guerre et d'exactions. Les militants du FPI pourront-ils se réconcilier avec le nouveau régime, pendant que celui-ci détient arbitrairement ses leaders? S'il s'agit de réconcilier le peuple avec lui-même pour mettre fin à ses divisions politico-tribales, s'impose, là encore, la libération des prisonniers politiques, ainsi qu'une véritable éducation à la démocratie, à la citoyenneté et à la République pour y parvenir. Il ne faut pas que la réconciliation soit conduite comme un jeu de loterie nationale où tout le peuple gagne ou perd. C'est pourquoi, il faudra apporter de vraies solutions aux vrais problèmes pour obtenir une réconciliation certaine. Malheureusement, il faut faire remarquer, que le radicalisme politique dans notre pays plonge toujours dans l'incertitude toute entreprise de réconciliation nationale. Nous en avons eu une preuve en 2001 avec le Forum pour la réconciliation nationale, organisé par le président Gbagbo, qui n'a pu empêcher la rébellion du 19 septembre 2002.
Le nouveau pouvoir a fixé les élections législatives au mois de décembre, votre parti y participera t -il ?
B.P.L: Oui si la réconciliation devient une vraie réalité d'ici là, et si toutes les conditions sécuritaires sont totalement réunies. Sinon quelle élection veut-on organiser avec des armes? C'est encore conduire le peuple à l'abattoir. Surtout, qu'on ne fasse pas de ces élections un autre rendez-vous de légitimation forcée du pouvoir en place.
Le 14 juillet dernier, votre Parti a organisé une manifestation devant la Cour pénale internationale, sans manquer de lui adresser une motion. Quelles sont les motivations de vos actions à la CPI?
B.P.L: Tout démocrate sérieux doit mener le combat pour la justice. La véritable justice garantit l’État de droit et la paix, qui sont deux facteurs essentiels à la promotion de la démocratie. La Côte-d’Ivoire a vécu des moments de rébellion depuis le 19 septembre 2002. Cette situation a causé de graves violations des droits de l’homme, accompagnées de crimes économiques. Pendant cette crise politico-militaire, la démocratie n’a pas eu droit de cité et le pays a traversé une situation socio-économique des plus difficiles, plongeant la majorité des ivoiriens dans le désarroi. Pour toutes ces raisons nous estimons que le pays ne peut connaître une paix durable sans qu’une véritable justice ne punisse les coupables et responsables des ces graves violations des droits de l’homme. Car l’impunité, dit-on, est la mère des crimes futurs, donc ennemie d'une paix durable. L’expérience ivoirienne montre d'ailleurs bien qu’aucune démocratie ne peut être construite et promue sans la paix. Vous devriez donc comprendre que vouloir la démocratie, c’est vouloir la paix, et qu'il n'y a pas de paix durable sans justice. Nous voulons que les rebellions, les coups- d’État et les violations des droits de l’homme n’aient plus droit de cité en Côte d’Ivoire. Mais pour y parvenir, il faut bien une véritable justice pour punir les coupables et responsables de tels actes. Le régime Gbagbo s’était engagé dans la voix du dialogue politique pour régler la crise, au détriment de la justice. La justice ivoirienne, pour diverses raisons, n’a pu être saisie ou n’a pu se saisir pour enquêter et juger tous les crimes graves commis depuis le 19 septembre 2002. Dans ces conditions, la Cour Pénale internationale restaient la seule voie qui s’offrait à nous. C’est pourquoi, sans nous substituer aux victimes et sans jouer le rôle des Organisations et Associations de défense des droits de l’homme, nous avons demandé depuis octobre 2008, en tant que parti politique, au Procureur de la CPI de faire une auto-saisine en vertu de l’article 15 du Statut de Rome. Mais constatant que la CPI a tendance à devenir un instrument au service de l’impérialisme occidental, nous ne cessons d’y mener des actions pour l’interpeller sur la nécessité de son indépendance et de son impartialité, pour ne pas qu’elle soit le laboratoire d’une alchimie judiciaire.
Certains vous reprochent de ne pas mentionner dans vos demandes et vos motions les graves crimes antérieurs au 19 septembre 2002, notamment ceux de 2000. Que leur répondez-vous?
B.P.L: Nous comprenons leur reproche mais il faut dire qu’il n’est pas fondé en droit. Nous aurions bien voulu remonter à tous les graves crimes impunis commis depuis 1960 et même durant la période coloniale, si cela était possible en droit. Mais il faut comprendre que la CPI, selon l’article 11 de son Statut, n’est compétente que pour juger les crimes graves commis à compter de la date de son entrée en vigueur, à savoir le 1 er juillet 2002. Il ne nous revient pas de demander à la CPI d’opérer une usurpation de compétence. D’ailleurs nous aurons une autre manifestation à la CPI le 17 septembre prochain à laquelle nous invitons tous les démocrates et toutes les personnes d'ici et d'ailleurs, éprises de justice et de paix.
Lors de sa visite aux Etats-Unis, le président Alassane Ouattara a affirmé qu’il ne pouvait pas poursuivre son premier ministre Soro Guillaume et les autres chefs de la rébellion ivoiriennes, désormais membres des FRCI, parce qu’ils bénéficient d’une loi d’amnistie. Quel commentaire faites-vous des ses propos?
B.P.L: Ce n'est pas vrai d’affirmer que les chefs de la rébellion ont eu un droit à l’impunité absolue par la loi d’amnistie du 8 août 2003 et l’ordonnance d’amnistie du 12 avril 2007. Cette loi et cette ordonnance d’amnistie ne s’appliquent nullement aux infractions économiques et aux violations des droits de l’homme. Lisez bien l’article 4 de cette loi et l’article 3 de cette ordonnance. Cette loi et cette ordonnance d’amnistie concernait des crimes commis entre septembre 2000 et la date de leur signature. Et même si la loi et l’ordonnance d’amnistie couvraient tous les crimes commis durant cette période, Alassane Ouattara peut-il dire que ces hommes dont il a décidé de consacrer l’impunité ne sont pas directement ou indirectement impliqués dans les graves violations des droits de l’homme commis depuis le 28 novembre 2010? Les faits, les témoins et les différents rapports des Organisations des droits de l’homme contredisent Ouattara. Pour nous, il n’a fait que l’aveu de son impuissance à poursuivre les criminels de son camp et de son engagement pour une justice sélective, pour la justice des vainqueurs. Nous assistons à un recul des droits de l’homme. Et c’est bien dommage.
Le président Gbagbo et son épouse sont inculpés de crimes économiques qu'en dit votre parti ?
B.P.L: Le COPACI, mène un combat pour la justice en Côte d'ivoire, mais pour une justice impartiale et indépendante. Nous sommes donc d'accord que les crimes économiques soient jugés dans notre pays, mais faut-il que la justice fasse d'abord un audit de tous les gouvernements d'union nationale successivement dirigés depuis Marcoussis, par Seydou Diarra, Konan Banny et Guillaume Soro actuel premier Ministre de Mr Dramane Ouattara, pour que le peuple ivoirien sache la vérité. Pour nous, ils ont gouverné ensemble la côte d'Ivoire depuis les accords de Marcoussis jusqu'aux élections de 2010. Les ivoiriens ne doivent pas oublier que les plus graves crimes économiques en Côte d'Ivoire depuis le 19 septembre 2002 sont aussi les cambriolages des agences de la BCEAO à Man, Bouaké et Korhogo. Il ne faudra pas non plus oublier de faire la lumière sur le dossier Sagem qui a eu la palme d'or d'avoir organisé l'élection la plus chère du monde dans un pays en crise, l'exploitation illicite du diamant, de l'or de Tortiya et les trafiques illicite du coton et du cacao ivoiriens vers le Burkina Faso. Voilà ce que le COPACI attend du procureur de la république et non les coups d'éclat juridiques.
Comment voyez-vous l’avenir du pays?
B.P.L: Je le vois grand et très prospère, à condition que sa souveraineté soit une réalité, que la légalité constitutionnelle et le jeu démocratique soient respectés par tous, sans oublier les efforts que doit faire chaque citoyen de ce pays au profit de l’intérêt général. J'ai espoir en mon pays, tout cela va passer et il restera la Côte d'Ivoire. Et dans cette Côte d'Ivoire qui restera, notre devoir sera de restaurer la nation que nous voulons pour notre génération.
Interview réalisée par ZEKA TOGUI