CPI - Les charges contre Gbagbo sont confirmées: Une indécente décision politique
Par Le Nouveau Courrier - Les charges contre Gbagbo sont confirmées. Une indécente décision politique, par Théophile Kouamouo.
Alors que Fatou Bensouda n’a pas vraiment amélioré son document de notification des charges, au-delà que quelques effets cosmétiques, le juge allemand Hans-Peter Kaul a changé d’avis quant à la solidité de ses preuves. Ouvrant la voie à un procès. Et maintenant Gbagbo éloigné du « terrain des opérations » ivoirien.
Bien entendu, les observateurs les
mieux informés sur le fonctionnement
de ce qu'il est convenu d'appeler «la
justice internationale» savaient que la décision de confirmation ou d'infirmation des
charges contre le président Laurent Gbagbo
ne serait pas le fruit d'une pure logique juridique
affranchie de toute considération politique.
Mais ils s'interrogeaient sur les
moyens que trouveraient les juges de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale
internationale (CPI) pour satisfaire les
grandes puissances qui influencent et financent
l'institution qui les paie... sans pour
autant se discréditer totalement. A la lecture
de la décision rendue hier, l'on doit se rendre
à l'évidence : les magistrats siégeant à
La Haye ont préféré remplir la «mission politique
» qui leur était plus ou moins subtilement assignée. Pour une certaine idée de
l'équité, vous repasserez !
Gbagbo ira en jugement et devra répondre de
quatre chefs de «crimes contre l'humanité»
soit le meurtre, le viol, les autres actes inhumains
ou – à titre subsidiaire – la tentative
de meurtre et la persécution. Un homme a
rendu possible l'issue que nous connaissons.
Il est Allemand et il s'appelle Hans-
Peter Kaul. En effet, alors que lors du premier
round au bout duquel Fatou Bensouda et son bureau avaient été appelés à revoir
leur copie, il était d'avis avec sa collègue
belge sur le caractère «insuffisant» des
charges présentées par l'Accusation, contre
la juge-présidente, l'Argentine Silvia Fernandez de Gurmendi, qui se trouvait donc
en minorité. Cette fois-ci, il a tourné
casaque alors que sa collègue belge,
Christine Van den Wyngaert, est restée
constante et a refusé de valider ce qu'elle
considère visiblement comme une imposture
juridique. On brûle naturellement de
poser une question à Hans-Peter Kaul :
qu'est-ce qui, dans le dossier de notification
de charges remanié fourni par l'Accusation,
a fondamentalement changé au point que vous changiez d'avis ?
A la lecture de la décision d'hier, on a du mal à répondre à cette lourde interrogation. La
Chambre préliminaire I adopte de manière
assez spectaculaire l'analyse du bureau du
procureur, et se fonde surtout sur des arguments
qui avaient déjà été largement développées
dans le DNC retoqué l'année dernière.
Tout ça pour ça ? On croit rêver. La Chambre préliminaire I se fonde surtout sur des déclarations d'ordre général auquel elle
donne une interprétation élargie et faussée
– notamment des propos de Simone Gbagbo
appelant à «rester debout» et une déclaration
d'Ahoua Don Mello demandant aux
Ivoiriens de poursuivre «la résistance». Elle
va jusqu'à valider des fausses informations
démontrées comme telles selon lesquelles
les maisons des pro-Ouattara étaient «marquées
» durant la crise post-électorale. En
gros, elle se contente aujourd'hui d'éléments
de preuve qui avaient été jugés insuffisants
hier. Pourquoi ? Seul le juge allemand
Hans Kaul, qui a fait basculer la situation, le sait. Il faut retourner à la décision rendue le 3 juin
2013 qui désavouait Bensouda sans pour autant ordonner la libération de Gbagbo pour
se rendre compte de l'ampleur d'un reniement.
Ce 3 juin 2013, les juges demandaient
des éléments précis à l'Accusation. Des éléments
qui n'ont pas été véritablement apportés. Par exemple, les juges demandaient que la procureure leur donne, les
«positions, mouvements et activités de tous les groupes armés» engagés contre les
«forces pro-Gbagbo», afin de pouvoir établir si la riposte des militaires ivoiriens visait à
circonscrire des attaques armées ou à s'attaquer
aux civils. Au lieu d'introduire ces
éléments dans le récit des différents événements
auxquels elle s'est référée, Fatou
Bensouda les a isolés dans une annexe à
part, ce qui rendait bien entendu difficilement
évaluables les rapports de cause à
effet militaires. Les juges n'ont pas sanctionné
cette ruse.
Les juges voulaient savoir quand, où, par qui
et comment a été prise la décision de s'attaquer
aux civils pro-Ouattara et «la manière
dont l’existence et la teneur de cette politique
ou ce plan ont été communiquées aux membres des «forces pro-Gbagbo» sur le
terrain ou portées à leur connaissance une fois adoptés». Bensouda n'a pas répondu à
ces interrogations, se contentant de généralités.
Qualifiant les événements de la RTI et
de Yopougon de «complexes», les juges
avaient souhaité disposer d'éléments de
preuve «plus précis» ou «plus détaillés»
pour les allégations de violences sexuelles notamment. Au sujet de la «marche des
femmes» et du «bombardement d'Abobo», ils demandaient des preuves d'ordre
médico-légal établissant «qui a tiré les
munitions et quelle était la cible visée». En
dehors de certificats de décès douteux et
souvent contradictoires, Bensouda n'a rien
apporté de nouveau à ce sujet. Il n'empêche
: les charges ont été confirmées. Maintenir
Gbagbo loin de son pays et le neutraliser
politiquement valait bien quelques reniements.
Au final, le compromis qui avait consisté, en juin 2013, à «couper la poire en deux» en
demandant à Bensouda de revoir sa copie a des allures de vaste manoeuvre contre
Gbagbo. Bensouda a eu l'opportunité de gommer les carences techniques les plus
grossières de son dossier, et qui ne pouvaient
être validées en raison de diverses jurisprudences internes à la CPI. Pendant un
an, les milieux diplomatiques qui ont conduit Gbagbo à La Haye et entendent l'y
maintenir ont pu «travailler au corps» ceux
qui devaient l'être et ainsi vaincre certaines réticences. Plus important, lors du second
round de l'affrontement qui opposait le procureur auprès de la CPI à Laurent Gbagbo, l'Accusation a réussi à éviter l'humiliation
d'une audience publique. L'échange de longs documents écrits et souvent hermétiques
a été la règle. L'opinion publique internationale a donc été d'une certaine manière découragée. Ce qui a aussi contribué
à diminuer la pression qui pesait sur les épaules des juges.
Théophile Kouamouo