CPI : Bosco Ntaganda répond devant la CPI d'une partie de ses crimes au Congo

LE MONDE | 27.03.2013 Par Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance).

La Cour pénale internationale (CPI) attendait depuis plus de six ans l'arrivée de Bosco Ntaganda à La Haye. Incarcéré depuis vendredi 22 mars au soir dans la prison des criminels de guerre, le milicien faisait l'objet de deux mandats d'arrêt pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis en 2002 et 2003 en Ituri, au nord-est de la République démocratique du Congo (RDC).
Il y a dix jours, Bosco Ntaganda combattait encore au sein du Mouvement du 23 mars (M23), l'une des nombreuses milices de la région, soutenue par le Rwanda et l'Ouganda qui convoitent âprement les richesses de RDC depuis plus de quinze ans. Mais le 18 mars, Washington, allié de Kigali, annonçait sa "reddition volontaire" à l'ambassade des Etats-Unis au Rwanda. Deux jours plus tôt, le Rwanda l'aurait "évacué par hélicoptère de RDC", selon un expert de la région, après des combats au sein du M23 alors que des pourparlers de paix sont en cours avec Kinshasa.
Pourquoi une telle reddition ? Le milicien a-t-il été lâché par le Rwanda ? A-t-il promis à Kigali de dédouaner le Rwanda de son implication dans les violences en RDC ? Quoi qu'il en soit, Bosco Ntaganda commencera, lors d'une audience mardi 26 mars, un face-à-face avec des juges internationaux qui devrait durer plusieurs années.
A La Haye, le milicien serait "un peu perdu", affirme une bonne source. Il y a pourtant retrouvé Thomas Lubanga, sous les ordres duquel il a combattu en 2002 et 2003, au sein de l'Union des patriotes congolais (UPC), commettant alors les faits qui lui sont aujourd'hui reprochés : meurtres, viols, attaques de civils, persécutions, pillages...
L'Ituri n'est qu'un chapitre dans la carrière sanglante du milicien. Après 2003, Bosco Ntaganda a continué à piller les sous-sols congolais et commis d'autres massacres. En 2006, "nous avions un plan pour l'arrêter mais quelqu'un de l'ONU l'a prévenu, raconte un ancien enquêteur. C'était un peu déprimant de voir ce type-là se promener librement." A la faveur d'un accord de paix signé en 2009, Bosco Ntaganda intègre l'armée congolaise avec le grade de général malgré le mandat émis par la CPI. L'officier coule des jours tranquilles à Goma, sous l'oeil de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc).

"CE N'EST PAS L'ARRESTATION DE NTAGANDA QUI VA RÉGLER LE PROBLÈME"

A ce jour, trois miliciens congolais ont comparu devant la Cour, mais leurs procès sont restés superficiels, ramenant à de simples conflits ethniques les drames de l'est du Congo. Les juges n'ont jamais appelé à la barre des responsables de Kampala, Kinshasa ou Kigali, pourtant mis en cause par les témoins. "Il faut aller au-delà des seigneurs de guerre locaux et poursuivre les hauts responsables qui les soutiennent", soutient Géraldine Mattioli-Zeltner de Human Rights Watch. En novembre, un rapport des Nations unies accusait le Rwanda de fournir "des armes, des munitions et des renseignements au M23 la chaîne de commandement dont fait partie Bosco Ntaganda a, à sa tête, le général James Kabarebe, ministre rwandais de la défense".
Il y a quelques années, le procureur avait commencé à enquêter pour arracher les racines du crime : le pillage du pays. Ce fut coûteux, mal mené et vite abandonné. D'autant que l'ancien procureur, Luis Moreno Ocampo, ne cachait pas son admiration pour le président rwandais.
Pourtant, dans l'est de la RDC, on estime que "ce n'est pas l'arrestation de Ntaganda qui va régler le problème". Lundi soir sur Radio Okapi, une radio congolaise, un auditeur s'inquiétait de l'attitude du Rwanda dans cette affaire : "Ils vont faire valoir à tout le monde qu'ils sont capables de coopérer. Mais le Rwanda est capable de produire encore un autre Ntaganda."
Sur la même radio, un autre regrettait que M. Ntaganda ne soit pas poursuivi "pour les crimes commis dans le Nord-Kivu". "Dans le dossier Ntaganda, nous en restons aux crimes commis en Ituri. Mais nous continuons nos enquêtes dans les Kivus", affirme Pascal Turlan, responsable de la coopération internationale au bureau du procureur. Beaucoup d'observateurs rappellent que le procureur, qui enquête déjà dans huit pays, a des moyens limités pour enquêter (moins d'un quart du budget de la CPI).
A l'ONU, le Conseil de sécurité débat de l'intégration d'une brigade d'intervention rapide au sein de la force de la Monuc lui donnant mandat d'intervenir contre les groupes armés. Pour plusieurs Etats réfractaires, la reddition de Bosco Ntaganda rend désormais le projet caduc.

Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)

Pourquoi le général congolais Bosco Ntaganda se livre à la justice

Le Monde.fr | 27.03.2013 Par Adrien Auxent

L'ex-général congolais Bosco Ntaganda, surnommé "le Terminator", s'est rendu, lundi 18 mars, à l'ambassade des Etats-Unis à Kigali, au Rwanda. Il a demandé à comparaître devant la Cour pénale internationale (CPI) et sera transféré à La Haye "dans les deux jours", a déclaré mercredi la procureure de la CPI, Fatou Bensouda.
La Cour pénale internationale souhaite le juger pour des crimes contre l'humanité commis dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC) en 2002 et 2003 et qui font l'objet de deux mandats d'arrêts depuis 2006 au sujet de meurtres, viols, pillages et enrôlements d'enfants-soldats. En novembre, la procureure de la CPI avait estimé que Bosco Ntaganda était l'un des "principaux instigateurs de l'instabilité qui prévaut sur l'ensemble de la région des Grands Lacs" et qu'il fallait l'arrêter "impérativement".

POURSUIVI POUR CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ

Né au Rwanda, Bosco Ntaganda a rejoint en 1990, alors qu'il avait 17 ans, le Front patriotique rwandais de l'actuel président Paul Kagame. En 1996, alors que l'armée rwandaise envahit le Congo, le rôle tenu par M. Ntaganda au sein des milices locales ne cesse de grandir. Il rejoint en 2002 l'Union des patriotes congolais (UPC), un groupe rebelle congolais dirigé par Thomas Lubanga, dans le district de l'Ituri. Pendant trois ans, il sera le chef des opérations militaires de la branche militaire de l'UPC, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC).
Selon le procureur de la CPI, cité dans le mandat d'arrêt délivré contre M. Ntaganda, il a "planifié et commandé de nombreuses attaques militaires coordonnées contre les populations Lendu et autres tribus non-Hema" dans le but de les exclure du territoire de l'Ituri et de les "éliminer".
Le mode opératoire des FPLC consistait à encercler un village et à le bombarder à l'artillerie lourde avant de l'attaquer, tuer "ceux perçus comme des ennemis" à l'aide de machettes, armes à feu et couteaux, piller puis brûler le village en question et enlever les femmes pour les violer, selon le document de la CPI. Au moins 800 civils ont été tués et plus de 140 000 autres déplacés.
D'autres plaintes pour viols, assassinats et persécution pour motifs ethniques et ciblage délibéré de civils ont été ajoutées en mai 2012, fondées sur des preuves présentées pendant le procès de son co-accusé et ancien patron, Thomas Lubanga. Ce dernier a été condamné, le 10 mars 2012, par la CPI – qui prononçait sa première condamnation depuis son entrée en fonction à La Haye en 2003 –, à quatorze ans de prison pour l'enrôlement d'enfants soldats.

Bosco Ntaganda a été intégré comme général dans l'armée congolaise, après un accord de paix signé le 23 mars 2009 avec Kinshasa. Mais il a fait défection au printemps 2012 et est depuis accusé par de nombreux experts de jouer un rôle de premier plan au sein de la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23). Le M23, qui a toujours réfuté l'implication de Bosco Ntaganda au sein du mouvement, s'est scindé fin février en deux factions rivales qui se sont affrontées dans l'est de la RDC.
LÂCHÉ PAR LE RWANDA
Les raisons pour lesquelles Bosco Ntaganda s'est soudain rendu à l'ambassade des Etats-Unis et a demandé à être déféré devant la CPI ne sont pas claires. Sa reddition pourrait avoir un lien avec les récents affrontements armés, dans l'est de la RDC, entre les factions du M23.
La situation de Bosco Ntanga pourrait aussi être le résultat de la perte du soutien de la part des autorités rwandaises. Kigali a récemment été accusé par des experts de l'ONU, malgré ses dénégations, de soutenir le M23. Mais le Rwanda, comme dix autres pays de la région, a paraphé fin février un accord-cadre régional destiné à ramener la paix dans l'est de la RDC, dont les signataires s'engagent à ne pas accueillir d'individus recherchés par la justice internationale.
Kinshasa a affirmé dimanche 17 mars que Bosco Ntaganda a franchi la frontière entre l'est de la RDC et le Rwanda, dans la foulée de centaines de combattants de la faction mise en déroute qu'il est accusé de diriger. Selon Tony Gambino, ancien président du programme américain Usaid au Congo "la meilleure supposition est que ses solutions se sont réduites à [choisir entre] La Haye ou se faire tuer".
Comme le rappelle l'ONG Human Rights Watch dans un communiqué, "les Etats-Unis ont depuis plusieurs années appelé à l'arrestation de Ntaganda et son transfert à la CPI". Mais un responsable de l'ambassade des Etats-Unis disait, mardi 20 mars : "Je ne crois pas que nous ayons la moindre idée précise de la suite des événements. On cherche encore à savoir comment ça va se passer."
QUELLES SUITES ?
Bosco Ntaganda est accusé d'avoir participé à de nombreuses rébellions soutenues par le Rwanda dans l'est de la RDC et sa comparution devant la CPI pourrait se révéler embarrassante pour le président rwandais, Paul Kagamé, proche allié de Washington. Ni le Rwanda ni les Etats-Unis ne sont signataires du Statut de Rome, traité fondateur de la CPI. En conséquence, aucun de ces deux pays n'a obligation de transférer Bosco Ntaganda à la CPI, basée à La Haye (Pays-Bas).
Fadi El-Abdallah, porte-parole de la CPI, a déclaré lundi soir à La Haye que "rien n'empêche un Etat qui n'est pas partie au Statut de Rome de coopérer avec la Cour sur une base volontaire" et que "la Cour prendra les dispositions nécessaires en vue du transfert de M. Ntaganda à La Haye". La ministre des affaires étrangères rwandaise, Louise Mushikiwabo, a assuré mardi ne pas avoir à se mêler de l'éventuel transfert de M. Ntaganda à la CPI, estimant que "cette affaire est entre les Etats-Unis qui détiennent le suspect, la RDC – pays de nationalité du suspect – et la CPI qui recherche le suspect".

Adrien Auxent