Condamnation avec sursis des militants PPA-CI : Pourquoi il faut aller en cassation, Par Pr Félix Tano
Par Ivoirebusiness- Condamnation avec sursis des militants PPA-CI. Pourquoi il faut aller en cassation, Par Pr Félix Tano.
A l’occasion de l’audience à la Cour d’appel du mercredi 22 mars, 26 militants du PPA-CI ont été condamnés à deux ans de prison avec sursis. Ce qui signifie qu’ils ne devraient plus être incarcérés. Désormais libres, ils ont regagné leur domicile dès le jeudi. C’est le minimum qu’on pouvait attendre de cette justice qui s’est complètement fourvoyée en première instance.
L’avocat général a cru pouvoir justifier cette réformation du jugement par « une attitude républicaine des militants du PPA-CI » notée à l’occasion de la deuxième audition de Damana Adia Pickas, le secrétaire général de du PPA-CI : « l’instruction s’est déroulée en l’absence d’attroupements des militants du PPA-CI ». Ainsi, c’est le comportement global des militants PPA-CI, qui a déterminé la décharge de peine accordée aux prévenus. Me Micheline Bamba a donc eu raison d’affirmer qu’« on les a arrêté parce qu’ils ont affiché leur militantisme ». Nous sommes loin du droit pénal qui sanctionne la faute personnelle du délinquant.
En dépit de cette mesure de dispense de peine, les prévenus demeurent condamnés, avec des conséquences : l’inscription de la condamnation au casier judiciaire, la possibilité d’une exécution de la peine dans l’intervalle de cinq ans s’ils sont condamnés à nouveau dans une autre affaire, l’absence d’effet du sursis sur les peines complémentaires et les déchéances éventuelles, comme la privation de droits civiques.
C’est pour toutes ces raisons que la condamnation avec sursis n’était pas la bonne solution dans ce procès, surtout que rien n’était reproché aux prévenus.
En effet, l’avocat général a eu du mal, devant la qualité de la plaidoirie de la défense (Me Sylvain Tapi, Me Toussaint Dakaud, Me Micheline Bamba et Me Jonas Zadi), à justifier cette condamnation. Les débats ont fait ressortir des éléments pertinents dont la prise en compte aurait pu conduire à l’acquittement des prévenus. Les procès-verbaux d’enquête préliminaire ne mentionnaient aucun acte susceptible de troubler l’ordre public. En dépit d’une caméra au lieu du supposé attroupement, la police n’a pu produire le film des évènements. Et pourtant, cette preuve aurait été irréfutable pour montrer les actes reprochés aux prévenus. De fait il n’y a pas eu d’actes matériels imputés à chacun des prévenus. Or, l’art 179 du code pénal sur le fondement duquel la condamnation a été prononcée exige des « actes ou … manœuvres » (« de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles graves à l’ordre public »).
Pour l’avocat général l’acte délictueux imputé aux prévenus résidait dans « la présence massive des militants du PPA-CI » qui ont « convergé en un endroit précis, en un temps précis, un jour précis ». Du point de vue du droit pénal, cette position se défend difficilement dans la mesure ou l’une des conséquences du principe de la responsabilité personnelle, c’est qu’il interdit de retenir une responsabilité pénale collective. Il faut toujours rechercher une faute personnelle pour chacun des membres d’un groupe, dans l’hypothèse d’un dommage causé et imputé à l’action dudit groupe.
Au lieu d’exposer les actes précis de chacun des prévenus, l’avocat général s’est plutôt focalisé sur le membre de phrase « de nature à compromettre la sécurité publique ou à occasionner des troubles graves à l’ordre public ». Car, pour lui, « la présence massive des militants du PPA-CI » pouvait entrainer des vols ou provoquer des accidents. Or, la seule éventualité de survenance desdits actes à l’occasion d’un attroupement ne peut suffire. Autrement les participants aux processions qui accompagnent les défunts au cimetière, les attroupements religieux sur la voie publique en fin de semaine ou encore le déferlement des supporters des éléphants vers le stade Alassane Ouattara tomberaient sous le coup de l’article 179 du code pénal. Cette motivation est donc dangereuse pour la tranquillité publique et la paix sociale.
Ainsi, n’étant pas juridiquement fondée, cette décision devrait encourir la cassation afin de donner la possibilité à une autre juridiction de réexaminer cette affaire au fond. De surcroit, elle n’est pas de nature à réconcilier les ivoiriens avec leur justice qui, au nom de son indépendance, doit faire preuve d’impartialité, et ne pas conforter la population dans la fâcheuse impression qu’elle est instrumentalisée par le pouvoir en place.
Félix TANO
Maitre de conférences en Droit
Université de Bouaké