Caravane de la paix et de la réconciliation: 824 millions du contribuable gaspillés / Une foire à la gabegie / L’absence remarquée de la Cdvr

Le 12 novembre 2012 par Notre voie - Des artistes favorables à l’actuel régime ont organisé, du 20 octobre au 3 novembre dernier, une caravane sur fonds publics. La réconciliation était un prétexte brandi par le pouvoir pour récompenser des artistes qui l’on

Caravane de la paix.

Le 12 novembre 2012 par Notre voie - Des artistes favorables à l’actuel régime ont organisé, du 20 octobre au 3 novembre dernier, une caravane sur fonds publics. La réconciliation était un prétexte brandi par le pouvoir pour récompenser des artistes qui l’on

soutenu en vérité. 824 millions fcfa, c’est la faramineuse somme injectée, par le régime Ouattara, dans l’organisation d’une caravane nationale dite de sensibilisation à la paix et à la réconciliation. Au grand dam du contribuable ivoirien ravagé par la misère, l’insécurité, la flambée des prix des denrées de première nécessité et l’incertitude du lendemain. Selon la star du reggae, Alpha Blondy, qui revendique la paternité de cet événement, c’est un budget de 1,2 milliard fcfa, validé par l’actuel chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara, qui était initialement prévu. Mais il se trouve que le ministre de l’Economie et des Finances, Charles Diby Koffi, n’a pu disposer que de 824 millions fcfa. Sur ce montant, 45% ont été alloués au cachet des artistes. Ce qui équivaut à 370 millions fcfa. Des indiscrétions attestent que sur cette cagnotte, Alpha Blondy s’est vu remettre 120 millions fcfa pour les 6 étapes. Tiken Jah a perçu, lui, 80 millions fcfa. Pendant que, par exemple, Fadal Dey s’en est sorti
avec 2,4 millions fcfa, soit 400.000 fcfa par étape. Ismaël Isaac a obtenu 1 million fcfa par étape, soit 4 millions fcfa pour les 4 étapes auxquelles il a pris part. Billy Billy a eu comme cachet 300.000 fcfa par étape, soit 1,8 million fcfa pour l’ensemble de la caravane. Ken Adamo, avec l’Unartci (Union nationale des artistes de Côte d’Ivoire), s’occupait des artistes qui prestaient en première partie. Pour ce faire, il lui a été affecté 20 millions fcfa pour « gérer » ses collègues. Certains artistes se plaignaient que Ken Adamo leur ait remis, pour la plupart d’entre eux, 50.000 fcfa comme cachet par étape. Et ce sont 20 artistes convoyés par l’Unartci qui ouvraient les spectacles par étape. S’il l’on fait le calcul, l’artiste Ken Adamo a eu donc à débourser en moyenne 6 millions fcfa. Fait curieux, pour la caravane, les organisateurs ont commis 6 orchestres dont tous les membres ont été pris en charge. Il s’agit des orchestres : Les Vieux Môgôs, Famien Groove, l’ensemble d’Alpha Blondy, celui de Tiken Jah, le ZoGang de Meiway et l’orchestre qui accompagne le groupe Magic System. 35% des 824 millions fcfa ont été affectés à la logistique (transport, hébergement, restauration, location de sono, etc.). Soit 288,4 millions fcfa pour cet aspect de l’organisation de la caravane. Chose étonnante, c’est la structure de Tiken Jah, Canta Productions, qui gérait l’hébergement et la restauration durant toutes les étapes. Pourtant, tout le monde n’ignore pas que la structure de Tiken Jah n’est pas spécialisée dans l’hébergement ni la restauration.
Une foire à la gabegie
L’ex-chef rebelle Issiaka Ouattara dit Wattao, actuel commandant en second de la Garde républicaine, a fait louer par la caravane sa sonorisation de 120 mille watts à 35 millions fcfa par étape, selon une source crédible. Soit 105 millions fcfa pour les 3 étapes de Gagnoa, Korhogo et Abidjan. Les 20% restants des 824 millions fcfa ont été consacrés au volet social, en marge de la caravane musicale.
Ce qui revient à 164,8 millions fcfa. On a constaté qu’à chaque étape, c’était en moyenne 6 à 7 personnes parmi les victimes de guerre à qui le comité d’organisation remettait des enveloppes de 100.000 fcfa. Pas plus de 5 millions fcfa ont ainsi été perçus par ces victimes de guerre sur les 164 millions Fcfa qui leur étaient destinés. Le rideau est tombé, samedi dernier, sur la caravane nationale de sensibilisation à la paix et à la réconciliation par le concert final tenu à Abidjan. Pendant deux semaines, du 20 octobre au 3 novembre, des artistes Ivoiriens ont sillonné 5 villes de l’intérieur du pays : San Pedro, Gagnoa, Man, Korhogo et Abengourou, et ont achevé leur périple à Abidjan. A l’heure du bilan, on peut se demander si cette campagne en faveur de la paix et de la réconciliation a atteint ses objectifs. Et ce, à la lumière de certains éléments. Notamment l’intérêt des populations pour la Caravane et l’implication de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr).
Les populations quasi indifférentes
Il y a eu affluence dans les différents stades pour les spectacles. Dans les villes visitées, les populations sont sorties pour voir chanter Meiway, Magic System, Tiken Jah, Alpha Blondy etc. Point barre. Mais en ce qui concerne la réconciliation et la paix à proprement dit, les populations ne se sont pas véritablement senties concernées. L’artiste-rappeur Bily Billy l’a reconnu, avec honnêteté, lors de son intervention en direct sur la première chaîne de télévision de la Rti, le dimanche 28 octobre dernier. « Mon point de vue est certes positif, en ce sens qu’il y a une partie de la Côte d’Ivoire qui croit en cette réconciliation, mais je reste un peu sur ma faim, car des stades que Billy Billy seul peut remplir ne peuvent l’être avec tous ces artistes réunis. Je pense qu’il y a une partie de la population qui ne se sent pas impliquée. Et cela est mon inquiétude », a-t-il déclaré. Avant de poursuivre : « Nous avons eu la chance de rencontrer les populations à San Pedro, Man, Duékoué etc. Les mêmes préoccupations reviennent. Les gens nous disent : c’est vrai, on se réconcilie, mais nos enfants sont en prison, on fait comment ? Les populations demandent l’amnistie pour tous les prisonniers, la libération des prisonniers. Moi, je pense que si la Côte d’Ivoire est une famille de 16 millions d’habitants et que 10.000 membres de cette famille ne sont pas là, la famille n’est pas au complet ». Selon Billy Billy, les populations souhaitent «…donc l’implication de tous, celle du président et de tous nos dirigeants afin que chacun fasse sa part de sacrifice et d’effort. Elles demandent le retour des exilés, l’amnistie de tous ceux qu’il faut amnistier ». La vedette Frédéric Ehui Meiway a abondé dans le même sens. Dans une interview qu’il a accordée à Notre Voie à Korhogo, le lundi 29 octobre dernier, Meiway a indiqué que « ce sont deux personnes en face qu’on réconcilie, deux interlocuteurs. Il y a aujourd’hui un interlocuteur au pouvoir : le groupement politique Rhdp. Je me rends compte que les vrais interlocuteurs, dans le cas d’espèce, sont en exil ou en prison. Je fais allusion aux membres de Lmp. On prêche donc un peu dans le désert aujourd’hui concernant le processus de réconciliation nationale. On n’est pas obligé de se dire bonjour, mais on est obligé de vivre ensemble et donc dans une certaine atmosphère ». A cela, il faut ajouter le fait que d’autres vedettes comme Gadji Celi et John Yalley en exil en France ont demandé la libération des prisonniers pro-Gbagbo avant toute participation à cette caravane. Pour tout dire, non seulement les populations n’étaient pas intéressées par la caravane, mais également, les artistes étaient divisés sur la question. Autre fait marquant, l’implication de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) dirigée par l’ex-Premier ministre, Charles Konan Banny.
L’absence remarquée de la Cdvr
Tous les participants et organisateurs l’auront remarqué, la Cdvr de Charles Konan Banny qui a en charge le processus de réconciliation nationale, était totalement absente pendant toute la caravane. Aucun de ses membres n’a pris part à une seule étape des manifestations. Pour certains observateurs, la Cdvr n’a été ni invitée, ni associée. Pour d’autres, ils auraient boudé l’initiative des artistes. Des sources introduites au sein de la Cdvr affirment que Charles Konan Banny est très remonté contre les organisateurs de la caravane. A savoir Mediacom qui représentait les intérêts d’Alpha Blondy, Canta Productions ceux de Tiken Jah Fakoly et Voodoo Communication pour l’organisation pratique et la communication de l’évènement. Autre grief, le refus des organisateurs de prendre en charge l’équipe de la Cdvr pendant toute la durée de la caravane alors qu’un budget important était disponible pour faire face à tout cela, at-on appris. L’argent semble être au centre du désamour entre la Cdvr et les organisateurs de la caravane. Le porte-parole de la Cdvr, Franck Sran Kouassi, l’a d’ailleurs indiqué dans des propos relayés par le quotidien L’Expression du mardi 6 novembre dernier. « (…) Et puis le lendemain du séminaire correspondait au début de la caravane. Avant cela, nous avons eu des divergences avec les organisateurs, des difficultés financières pour un tel projet qui nécessitait la prise en charge d’une partie de la Cdvr pour faire le tour avec l’ensemble des artistes. Déjà, avec le séminaire, c’était difficile parce que la Cdvr ne l’avait pas prévu. Le séminaire a été tenu au forceps. Les organisateurs nous ont dit qu’il n’y avait pas de budget prévu pour cela. Ce n’était pas possible pour eux de prendre en charge le déplacement d’un responsable de la Cdvr », a-t-il relevé.
La charrue avant les boeufs
Vu les exigences des populations et les divergences avec la Cdvr, la caravane est apparue comme une initiative organisée dans la précipitation. Une sorte de charrue avant les bœufs. De l’avis de plusieurs observateurs crédibles, il aurait fallu d’abord apaiser les cœurs, désarmer les esprits en créant un climat apaisé avec la libération des prisonniers pro-Gbagbo et le retour d’exil des proches du Président Laurent Gbagbo. Il fallait surtout créer une plateforme de dialogue avec l’opposition. Une réconciliation qui se veut sincère à partir d’une caravane sans l’implication des politiques était vouée à l’échec. On ne peut chanter et danser pour la paix et la réconciliation, pendant que des leaders croupissent en prison ou sont contraints à l’exil. Pour les populations que nous avons rencontrées durant cette caravane, la paix et la réconciliation ne peuvent être obtenues de la sorte. En tout cas, pas avec une caravane organisée dans la « précipitation », comme le reconnaît d’ailleurs Alpha Blondy.
Récompenser les artistes qui ont soutenu Ouattara
L’actuel chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara, parvenu au pouvoir dans des conditions que l’on sait, a visiblement voulu, à travers cette caravane, récompenser les artistes qui l’ont soutenu durant sa croisade politique et militaire. Le ministre de la Culture et de la Francophonie, Maurice Kouakou Bandaman, l’a dit pendant la conférence de presse qu’il a animée, le vendredi 19 octobre dernier, à
son cabinet. Selon lui, Alpha Blondy, Tiken Jah, Meiway et les membres du groupe Magic System se sont rendus pendant la campagne et la crise postélectorale chez Ouattara, puis chez Bédié. Ces artistes ont signifié qu’une fois qu’Alassane Dramane Ouattara serait bien installé, ils allaient organiser une caravane pour célébrer la paix et la réconciliation (?). C’est ce qui a été fait. Mais à y voir de près,
c’était plutôt une initiative pour artistes pro-Ouattara. Dans de telles conditions exit donc la réconciliation des Ivoiriens.

Un dossier réalisé par Marcellin Boguy