Côte d’Ivoire : l’indocilité face au système mondial de prédation
Le 23 avril 2011 par afrik.com - Le Professeur Franklin nathan Nyamsi, philosophe, livrait dans Le Crépuscule de Gbagbo, l’Aurore d’Ado et l’Horizon de la Côte d’Ivoire, son analyse de la chute du
Le 23 avril 2011 par afrik.com - Le Professeur Franklin nathan Nyamsi, philosophe, livrait dans Le Crépuscule de Gbagbo, l’Aurore d’Ado et l’Horizon de la Côte d’Ivoire, son analyse de la chute du
président ivoirien sortant et de l’avènement de son rival, Alassane Ouattara. Le philosophe Pascal Touoyem lui répond.
Le rapt à la mitraillette du Président Gbagbo par la force française, ce lundi du 11 avril 2011, révèle, pour le souligner avec force, toute la complexité qui sous-tend la problématique de la gouvernance en Afrique et du rapport maître/esclave par quoi Hegel définit le monde Noir et l’Occident. Dans sa célèbre Leçons sur la philosophie de l’histoire, Hegel énonce, péremptoire : « Le seul lien essentiel que les Nègres aient eu et ont encore avec les Européens, c’est celui de l’esclavage ».
Toussaint Louverture et Laurent Gbagbo sont pour ainsi dire, les deux figures extrêmes dans et par lesquelles se déploie cette confrontation maître/esclave. Toussaint Louverture inaugure à la fin du XVIIIème siècle à Saint-Domingue l’acte fondateur de cette confrontation, de cette bataille sanglante. Laurent Gbagbo clôt ce long procès historique dans et par une tradition de la résistance, une épistémologie de la transgression, une posture d’indocilité, conformément à notre mémoire d’insoumission qui est fondamentalement le refus de mourir.
Je le sais, il faudrait être sans cœur, ou avoir un cœur tout fait de marbre froid pour soutenir sans pincement cette image qui pudiquement étale sous nos yeux, l’homme d’Etat Gbagbo ( en tenue de corps), son épouse Ehivet et son fils Michel effondrés devant les caméras … pour « raison d’Etat » ou « acte de salubrité publique » ! Le scénario de l’enfumage de Gbagbo tel un rat dans son palais et le spectacle de son humiliation physique est poignant et nous interpelle.
Au-delà de l’émotion bien comprise, pourquoi en est-on arrivé là et comment réparer l’ignominie ? Quelle crédibilité peut-on accorder à des propos misérabilistes qui font des Africains des êtres fondamentalement traumatisés et incapables d’agir pour leur propre compte, en fonction de leurs intérêts bien compris ? Comment peut-on venir nous promettre une démocratie chimérique sans dire un mot sur les efforts internes de construction d’un cadre monétaire et économique unitaire africain, pré-condition pour notre désaliénation ?
Par-delà des jugements à l’emporte-pièce, des prises de position partiales, des instructions péremptoires et autres effusions émotives, il est important de dégager un post mortem objectif afin de tirer les enseignements pour la Côte d’Ivoire et pour l’Afrique. Dans cette tentative de restitution de la vérité historique, il s’agit, au-delà des formules imprécatoires et infériorisant, d’adopter les principes durkheimiens d’après lesquels, il faut traiter les faits sociaux comme les choses.
En réalité, de ce qui devait être des élections « parfaites » jusqu’à l’enlisement, j’ai identifié quelques écueils qui, à mon avis, ont entrainé des dysfonctionnements savamment montés menant à la recolonisation programmée actuelle de la CI. Il s’agit d’une stratégie froidement pensée et exécutée de sang froid par certains acteurs impliqués qu’ils soient nationaux ou internationaux.
Les faits : l’envers du décor de la quadrature du cercle
Le non-respect des accords signés qui prévoyaient notamment un cadre et un échéancier pour l’organisation et la tenue pacifiques des élections présidentielles. Ces modalités ont été stipulées dans le 4e Accord complémentaire à l’Accord politique de Ouagadougou qui dresse un canevas pour les opérations de démobilisation, de désarmement, de stockage des armes et précise les conditions de restauration de l’appareil d’Etat et de son administration dans le pays tout en prévoyant la sortie de la crise.
Ainsi l’Accord complémentaire, dans son Article 3, stipule « afin de favoriser l’organisation des élections dans de bonnes conditions, les deux Parties ont convenu de relancer, sans délai et sous la conduite du CCI [Centre de Commandement Intégré]et la supervision des Forces impartiales, le désarmement, le stockage des armes des deux Forces ex belligérantes, ainsi que la démobilisation des ex combattants des Forces nouvelles. En tout état de cause, ces opérations devront être achevées au plus tard deux mois avant la date fixée pour l’élection présidentielle. »
L’Accord complémentaire prévoit également le regroupement et le cantonnement des forces rebelles, le démantèlement des milices, le paiement de primes de démobilisation le tout « devant être achevé au plus tard deux mois avant les élections présidentielles. » En outre l’article 8 du même Accord complémentaire reconnaît « que la non réunification du pays et les lenteurs accusées dans la normalisation institutionnelle et politique constituent de sérieux obstacles à l’organisation d’élections justes, transparentes et démocratiques. »
Il apparaît que les clauses ci-dessus, absolument essentielles à la tenue d’élections ouvertes, n’ont pas été respectées, les rebelles refusant de désarmer et rendant aléatoire le redéploiement de l’administration et la récupération par l’Etat de ses recettes fiscales et douanières. Or l’expérience récente (Irak, Afghanistan) a montré qu’il était illusoire de prétendre tenir des élections libres et transparentes dans des zones contrôlées par des rebelles en armes.
Pourquoi diable la « communauté internationale » n’a-t-elle pas exigé des rebelles qu’ils se conforment à l’Accord politique d’Ouagadougou et ses quatre Accords complémentaires qu’ils ont eux-mêmes signés ? Pourquoi le Conseil dit de sécurité (en réalité d’insécurité) des Nations Unies n’a-t-il pas donné instruction aux rebelles de désarmer tel que prévu dans l’Accord d’Ouagadougou que le Conseil a entériné ? Pourquoi le fameux parrain du processus de Ouagadougou n’a-t-il pas exercé les pressions nécessaires pour faire respecter cette clause essentielle ? Et enfin pourquoi les rebelles et leur chef politique, le Premier Ministre Guillaume Soro, ont-ils refusé de désarmer alors qu’ils étaient signataires de l’Accord ?
Ce manquement primordial au processus électoral élaboré laborieusement ouvrait fatalement la possibilité de violences, d’intimidations et de fraudes à haute échelle dans des zones CENO contrôlées de fait par des groupes d’opposition armés dans le Centre, dans le Nord et dans l’Ouest du pays.
Aucune grille de déchiffrage si objective soit-elle, ne peut éluder le poids du contexte politique tant africain qu’international dans cette tragédie. Complot contre les institutions de la République ? Aucun doute ici n’est permis.
Prêtant serment au palais présidentiel le 25 février 2010 devant le Conseil Constitutionnel et en présence du représentant du Facilitateur et du représentant des Nations Unies, les membres de la CEI s’étaient « engagés à remplir leur mission dans le respect de la Constitution et en toute impartialité ».
Or cette Commission est composée de 31 membres dont 11 représentant les corps constitués et 20 venant des partis politiques et groupes rebelles. Fait probablement unique en Afrique sur les 20 représentants des partis politiques et groupes rebelles dans la Commission, l’opposition compte 18 représentants et le parti au pouvoir 2 ! A supposer même que les représentants des corps constitués (11) soient tous proches du pouvoir, cela ne ferait jamais que 13 en face de 18. En quelque sorte la Commission « indépendante » est bel et bien contrôlée par l’opposition ! D’ailleurs son Président est un membre éminent membre de la coalition de l’opposition et ancien ministre PDCI dans le gouvernement Gbagbo. Fait curieux, tous ces membres ont été nommés par décret présidentiel ! Et parmi les 18 membres de l’opposition, on en retrouve 6 qui représentent 3 groupes rebelles (MPCI, MPIGO et MJP) ayant depuis longtemps fusionné dans les Forces nouvelles, et 8 issus de 4 partis politiques d’opposition (PIT,UDPCI, MFA et UDCY) dont le score combiné au 1er tour de la présidentielle s’est élevé à 3,5% des voix exprimées, les 4 autres représentant le RDR et le PDCI…Du jamais vu en Afrique … ou ailleurs !
Et pourtant la loi électorale promulguée en 2001 ne prévoyait que « deux représentants de chaque parti ou groupement politique ayant au moins un Député à l’Assemblée Nationale ou ayant remporté au moins une élection municipale [1] ».
C’est qu’entre-temps il y a eu une tentative de coup d’Etat, une rébellion armée, l’envoi par la France et les Nations Unies des forces d’interposition et le début du ballet politico diplomatique menant de Marcoussis à Ouagadougou en passant par Accra et Pretoria. C’est à Marcoussis qu’une telle composition de la Commission a été concoctée au mépris de la Constitution ivoirienne adoptée deux ans plus tôt par une large majorité des Ivoiriens et au mépris des règles d’équité les plus élémentaires.
En plus de cette composition pour le moins insolite (et sans doute pour en atténuer un peu les conséquences) on y ajoute une modalité de prise de décision qui va nécessairement mener au blocage : le consensus. Ce blocage a découlé du différend concernant le sort à réserver aux résultats de plusieurs départements dans le Nord du pays, de l’opportunité de prononcer des résultats provisoires compte tenu du manque de consensus et du dessaisissement de la Commission électorale par le Conseil constitutionnel. C’est suite à ce dessaisissement que le Président de la CEI, membre de l’opposition, a procédé dans la précipitation et la plus grande confusion à une déclaration de résultats provisoires non consolidés et encore moins validés par l’ensemble des commissaires centraux de la CEI et, fait inédit, depuis le QG de campagne du candidat de l’opposition, en d’autres termes de son candidat !
Il est donc avéré que la Commission électorale n’a pas respecté son serment d’impartialité et de respect de la Constitution. Mais pouvait-il en être autrement au vu de sa composition, de son mode opératoire et des enjeux ? Peut-on être à la fois juge et partie ? Pourquoi devrait-on estimer que les résultats collectés et promulgués par le seul Président de la Commission (la Commission n’ayant pas statuée à ce jour) reflètent fidèlement le souhait de la majorité des électeurs ? Et surtout pourquoi diantre avoir imposé une telle composition de commission électorale ?
En tout état de cause l’ordonnance de 2008 portant ajustement au code électoral pour les élections de sortie de crise indique que la proclamation définitive des résultats relève de la compétence exclusive du Conseil constitutionnel, la proclamation des résultats provisoires par la CEI ne constituant qu’une étape dans le processus électoral.
Autre incongruité de la « Communauté internationale » : En Afrique il y a eu au cours de ces dix dernières années maintes contestations de résultats d’élections. Seules les décisions prises par les organes judiciaires suprêmes ont conféré la victoire à l’un des candidats. Cela aurait donc dû être le cas également en Côte d’Ivoire, à moins de récuser la légitimité de son Conseil constitutionnel, ce qui serait contraire à l’ensemble des résolutions du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire qui commencent toutes par : « Réaffirmant son ferme attachement au respect de la souveraineté, de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et de l’unité de la Côte d’Ivoire, et rappelant l’importance des principes de bon voisinage, de non-ingérence et de coopération régionale ». La supervision exercée par les Nations Unies ne suspend en aucune manière la Constitution ivoirienne. La précipitation du Certificateur à déclarer un vainqueur a certainement contribué à la forfaiture actuelle.
Tous ces dysfonctionnements voulus et bien d’autres manipulations françaises et onusiennes, ont précipité la Côte d’Ivoire dans le chaos indescriptible actuel.
Pour comprendre le drame qui se joue en CI, il ne faut pas hésiter de renverser la sémantique et ensuite, la lire à l’envers dans un contexte où l’élite médiatique occidentale s’est résolument alignée sur les positions de l’Elysée par une incroyable désinformation sur l’Afrique. La morale ici, cesse d’être une bonne grille de lecture pour devenir un vernis de plaisance. C’est là justement une modalité d’embastillement et d’encanaillement de l’imaginaire, facteur de momification des consciences ; modalité par laquelle la médiacratie occidentale et ses avatars est arrivé à un traitement réactionnel, émotif et finalement jouissif se traduisant par un surinvestissement imago-phobique sur la CI.
La démocratie falciforme, manipulatoire et les stratégies discursives d’encanaillement
Alors qu’en Afrique 50 ans après les indépendances dès que l’Occident aboie, l’Afrique s’emballe, convulsionne et s’étrangle de stupeur, il a fallu que Gbagbo telle la vague jaune déferle, s’ébranle et s’exhale (pendant quatre mois) comme l’agent orange pour que la France sursaute et s’ébroue enfin !
Frappes chirurgicales à la résidence présidentielle avec effets collatéraux sur le bouclier humain constitué à cet effet autour du palais, tueries rituelles à Duékoué, chasse à l’homme, viols, bavures, embargo sur les médicaments, bref, barbarisme d’un autre âge qui plonge le début de ce millénaire dans l’amertume et la désespérance en l’homme et s’érige en norme des relations internationales. L’expansionnisme marchand s’accommode ainsi avec le vidange physique et mental des indociles, la liquidation massive des vies humaines, question de faire fructifier l’industrie de l’armement et le business de l’humanitaire qui aujourd’hui charrie de gros intérêts. Qui donc de Gbagbo, de l’Onuci / Licorne constitue le monstre froid ?
Pour l’humaniste et l’idéaliste éthique que je suis, il s’agit là de vingt siècles pour rien. L’humanité en est restée au stade angoissée de la prédation, cette époque-là (le paléolithique inférieur) où l’homme-proie, pathologiquement anxiogène, s’est mué en homme-carnivore-assoiffé-de-sang.
L’Afrique doit s’interroger au-delà de la démocratie-diversion de cette fameuse communauté internationale, véritable antichambre de la pensée u(i)nique et d’enregistrement des oukases US et France. Le conseil de sécurité, structurellement corrompu et belliciste n’appartient qu’au plus fort ; c’est la codification et l’érection de la jungle en normes internationales. Qu’entre usurpateurs l’on se serre les coudes, c’est normal. Seulement, la CI ne mérite pas une fois de plus cette insulte ultime même sous la forme de « président reconnu par la communauté internationale ».
Que des âmes soit- disant « civilisées » par auto-conviction ou par matraquage ou conditionnement médiatico-cérébral en viennent à « capturer » un chef d’Etat en exercice démocratiquement élu et le brandir comme trophée de guerre – ce qui ferait honte aux émules et aux inconditionnels des pires épopées victoriennes ou napoléoniennes – témoigne ainsi du grand triomphe d’un hitlérisme version soft sur le droit des peuples africains à l’auto-détermination tout court et sur la liberté de pensée.
Ce morceau de bravoure anachronique caractérise ce début de siècle comme la période au cours de laquelle l’humanité aura produit le plus de médiocrité et de résidu en termes de carence d’abstraction et d’élévation. « Président reconnue par la communauté internationale » ; vous avez deviné ? C’est une expression qui heurte et chagrine même les âmes les plus insensibles. Cette tendance pathologique à la veulerie et à l’attentisme qui consiste à attendre tout de l’étranger est une réaction de frustration qui trahit une jouissance manquée. C’est en fait une attitude provoquée par une jouissance de plus en plus problématique. Prouesse d’un dégénéré, d’un démagogue malhabile ou du complexe de colonisé ? Dans l’un ou l’autre cas, l’on réprime difficilement l’envie de dégobiller. Malheur pour l’Afrique en général et pour la CI en particulier, si ce sous-préfet de la France en CI croit sérieusement incarner l’alternance pour ce pays. Par cette forfaiture, ADO commet l’inceste en violant sa propre maman c’est-à-dire la constitution dont la sacralité est pourtant établie. Sur le plan anthropologique, l’indispensable rite de passage pour accéder à la légitimité passe par une prestation de serment en bonne et due forme ; une prestation de serment par sms est une nègrerie de plus. Toute cette fantasmatique du pouvoir à tout prix, trouve son explication dans un triple pôle : désir, puissance, jouissance.
Il y a une lutte pour le pouvoir en CI aujourd’hui, qui au-delà des clivages nationaux, ethniques et religieux apparents oppose deux projets de société qui voient s’affronter deux dirigeants tenants d’un libéralisme mondialisé sans foi ni loi et l’autre qui incarne un panafricanisme souverain et socialisant.
Enfin, après tout ce que le commun des mortels a pu voir et entendre depuis une dizaine de jours de bombardements aveugles, d’exécutions sommaires et de la mise à nue du ROI ; comment distinguer le salaud entre ADO et l’Alliance des prédateurs ? Quelle cause à défendre, quel acte à réprimer pour autoriser de telles indécences, de telles abominations, de telles primitivismes ! Devant tant de barbaries, notre devoir, n’est-ce pas notre pouvoir de dire NON ! Et ça suffit, arrêtez la connerie.
Que l’historien et homme d’Etat Gbagbo ait vaincu plus d’un péril pour accéder à la magistrature suprême ne fait aucun doute. Mais jamais à notre avis, la tradition de l’indocilité incarnée par Gbagbo, n’aura été aussi menacée. Se dresse donc face à ce système-monde liberticide et aliénant, un impressionnant défi à relever : la privatisation du sens du monde par l’expansionnisme marchand et conquérant.
Plus que le péril jaune ou rouge, l’hégémonie d’un Occident saoul de sa puissance, de sa prééminence sur la scène internationale, à la fois réactionnaire et conquérante telle qu’incarnée par la démocratie du canon, doit être combattue et neutralisée par toute la communauté des humains qui se refuse de se laisser phagocyter par la déferlante ruse du capital, version rambo et sarko. L’axe américano-français qui se dessine à cette occasion (pour le contrôle du Golfe de Guinée) doit marquer historiquement la césure, le point de démarcation où devra se cristalliser et s’ancrer toute la puissance, que dis-je, l’onde de choc de la Résistance africaine contre le cynisme ambiant de la Real-politik internationale.
Dans ce contexte de forte tension, le monde ne nous prendra pas au sérieux de sitôt. Un « président de l’étranger » toujours hanté par les fantômes de ses victimes, ne peut davantage crédibiliser les institutions républicaines, après avoir usurpé le pouvoir dans les conditions que l’on sait : politique de la terre brûlée dans les zones de résistance et extermination systématique au vu et au su de la soi-dite communauté internationale. Les forces d’ADO exécutent ainsi un holocauste, la solution finale. Comment certains prétexteraient ou appelleraient cela ? De l’épuration ethnique pardi ! Le TPI doit pouvoir agir ! A moins que cette épuration-là, n’arrange des intérêts bien compris. La communauté des bien-portant doit s’assurer que toute allégation de violation de droits humains fasse l’objet d’enquêtes judiciaires nationales et internationales impartiales et de sanctions rapides et appropriées. A qui fera-t-on croire qu’il n’existe pas de responsabilité morale pour des actes perpétrés en CI par la communauté internationale ? À qui fera-t-on croire que pour créer un monde humain, il faut évacuer la morale et l’éthique au nom des intérêts sacrés puisque dans ce bas monde, il n’existe ni justice des plaintes, ni justice des causes ?
La politique deux poids, deux mesures en matière d’ « ingérence » et du « droit de protéger » est un gisement potentiellement crisogène en voie de constitution sur les théâtres d’opération des conflits comme en CI et en Libye en proie au système mondial de prédation. Il est donc compréhensible que plus de la moitié du pays qui a soutenu le Président Laurent Gbagbo et qui incarne la nouvelle résistance, ait une légitime attitude de ras-le-bol, de mépris et de défiance vis-à-vis de ce président de la communauté internationale et de cette France qui s’est empressée de reconnaître des résultats provisoires faisant fi du processus démocratique et des règles constitutionnelles du pays. Pire, les instructions et injonctions et la chasse à l’homme actuellement en cours en CI ne feront que cristalliser la déchirure qui continue à frapper le pays. On aura également vu en Cote d’Ivoire un fonctionnaire des Nations Unies se considérer au-dessus de l’institution constitutionnelle ; il s’agit là d’une entreprise cruelle, abjecte et à tout le moins infâme renvoyant à la situation anté-rousseauiste du droit du plus fort.
Et la fameuse Union Africaine qui ne cessera jamais d’étonner et dont l’incohérence et l’incompétence diplomatique sont avérées ! Et le fameux quintet des chefs d’Etat (à en mourir de rires !), écœuré, il s’est lassé de retenir de ses entrailles en ébullition, le magma visqueux de l’agenouillement face au maître blanc. Phénomène naturel scientifiquement démontrable[2], coup de semonce ou fait prémonitoire de l’effondrement de ce cartel des satrapes ? Chacun y va de sa grille de lisibilité. Lorsque le président Sud-Africain Zuma déclare que Ouattara n’a pas gagné les élections et change à 180° disant le contraire après une petite visite de 8 heures à Paris, on peut se demander ce que valent ces dirigeants de pacotilles qui représentent et parlent au nom de 1 milliard d’Africains. Peut-on encore rendre cette UA politiquement viable quand elle reconnaît la victoire de Ouattara sans même tenir compte des conclusions contraires de ses propres observateurs envoyés sur le terrain, juste pour faire plaisir au maître blanc ? Comment la transformer en valeur idéologique positive ? Vers quel espace épistémo-politique et axiologique la diriger à l’ère des grandes révisions géostratégiques dans le monde ? A cette série de questions, nous pensons qu’il faut esquisser une anthropologie politique de la transgression plus audacieuse et critique.
La tradition de l’indocilité qu’inaugure le Président Gbagbo, s’inscrit irréversiblement dans le projet historico-politique pensé par l’Homme d’Etat Nkrumah et systématiquement formulé par Cheikh Anta Diop. Pour ces ancêtres de l’avenir, l’Afrique doit redevenir pour nous et pour nos passions, une idée rectrice, fondatrice et téléologique. Aujourd’hui, y compris parmi les Africains francophones dont la servilité à l’égard de la France est presque pathologique et qui sont séduits par les sirènes de la condition victimaire, beaucoup d’esprits savent pertinemment que le sort du continent ne dépend pas de la France. A l’ère post cinquantenaire des indépendances, les jeunes générations ont appris que de la France, tout comme des autres puissances mondiales, il ne faut pas attendre grand-chose. Les Africains se sauveront eux-mêmes ou ils périront.
C’est pourquoi ADO dont servilité vis-à-vis de la France est avérée ne sera jamais pour nous un Homme d’Etat. Il n’en a ni la vertu, ni la lumière, ni l’étoffe. Il sera au mieux chef de clan. ADO, c’est l’anti-modèle, le paradigme de ce qu’un nègre ne devrait ni imiter, ni faire, encore moins assumer. Au service du néocolonialisme, il apparaît comme l’une des pièces maîtresses à vocation stratégique de l’appareil idéologique de brouillage des repères et, à dessein, d’auto-illusionnement du noir.
Il va manquer certainement à ce dernier le crédit moral qui lui permettrait de parler avec autorité. L’avilissement, l’encanaillement n’est-ce pas autre chose que ce qui reste à un individu qui s’est refusé à être celui qu’il fut ? Son être authentique n’en meurt pas pour cela c’est vrai ; mais il se constitue en fantôme qui lui rappelle constamment l’infériorité de l’existence qu’il mène en l’opposant à celle qu’il aurait dû mener et ipso-facto, la précarité dont il jouit. L’avilit est un suicidé qui se survit. Tel est le titillement quotidien qui va tarauder l’inconscient psychique du « président de l’étranger » et fera peser sur ce dernier, à chaque instant, une névrose d’abandon qu’éprouve l’enfant lorsqu’il se rend compte que l’attention est plus portée sur l’autre. De l’homme politique, l’Afrique retient que notre atypique de sa névrose obsessionnelle pour le pouvoir conclut à l’incapacité atavique de l’Africain à la maturité et à la responsabilité.
Les greffes des systèmes politiques et de socialisation, héritées de la culture dominante dans sa visée expansionniste, les appareils idéologiques et leurs systèmes répressifs, les médias et les clubs à caractère prétendument humanitaires, sont au cœur des systèmes démocratiques de pacotille décrétées en Afrique noire comme modèles d’accès à la performance sociale et économique collective.
L’Afrique indocile, l’Afrique profonde, rebelle mais authentique n’aura pas trouvé son compte dans cette énième nègrerie ayant pour enjeu le déterminisme de toute la gente nègre. ADO n’a pas grandi la CI en faisant de ce pays la fille aînée de la France en Afrique ; il n’aura pas grandi l’Afrique non plus. Ainsi vécue, la crise post-électorale en CI consacrera pour l’Afrique sans doute, l’ère des guerres civiles d’obédience géostratégique à effets ambivalents : destructo-restructurants. De la logique de ces guerres, inévitables malheureusement, émergera en filigrane, pour se consubstantialiser, une nouvelle Afrique, mieux pensée parce que forgée dans l’horreur de la césarienne et de la vivisection de ses fils immolés et certainement mieux dessinée parce que sortie victorieuse de la seconde guerre de libération, de la seconde indépendance de l’Afrique. Une Afrique enfin émancipée. L’auto-institution des communautés historiques s’impose comme critère d’émergence de la Nation ou alors, l’Afrique ne sera plus… ou plutôt, sera un champ de génocides. Pour cela, il nous faut entrer dans l’ère du travail de la pensée.
Une tribune de Blaise Pascal Touoyem, philosophe camerounais
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