Blé Blé Charles : “Je ne peux pas rejoindre la position d’Allou ”
Publié le vendredi 7 octobre 2011 | Notre Voie - Ancien cadre du Front populaire ivoirien (FPI), Blé Blé Charles
Publié le vendredi 7 octobre 2011 | Notre Voie - Ancien cadre du Front populaire ivoirien (FPI), Blé Blé Charles
dirige aujourd’hui son propre parti, la Nouvelle alliance démocratique de Côte d’Ivoire pour la justice, le développement et la paix (NADCI-JDP). A la veille de l’inauguration du siège de son parti à Angré, il se prononce sur l’actualité nationale.
Notre Voie : M. Blé, dans une récente interview à un confrère, vous avez déclaré que les partisans de Laurent Gbagbo ont les yeux bandés. Que voulez-vous dire par là ?
Blé Blé Charles : Vous savez, ce genre de propos ne me ressemble pas. Je pense avoir dit textuellement qu’il faut avoir les yeux bandés pour ne pas savoir que nous avons changé de régime. Mais ça, ce n’est pas une insulte à quelqu’un ou une méprise par rapport à ce que je suis moi-même.
N.V : Le même journal auquel vous avez accordé l’interview a estimé qu’ayant dit cela, vous avez rejoint M. Eugène Allou qui ne rate aucune occasion pour brocarder certains de ses camarades du Fpi. Qu’en dites-vous ?
BBC : Non, non ! Je ne peux pas rejoindre la position d’Allou. Ce n’est pas une façon de rejoindre quelqu’un. Je pense qu’on n’a aucun intérêt à vilipender ce que nous avons été nous-mêmes. On n’a aucun intérêt non plus à mépriser les frères qui sont en exil, parce que cela aurait pu nous arriver aussi. Je me sens très inscrit dans ce que Laurent Gbagbo a fait parce qu’au début, j’étais là. Et c’est cette action qui produit ce que nous avons eu comme résultat. La manière de gérer le pouvoir n’était pas conforme à ce que nous avions dit au départ. Mais Gbagbo n’est pas le seul responsable, il a travaillé avec des personnes qui auraient pu aider à corriger ces choses-là. Mais de là à attaquer les personnes, tous ceux qui ont travaillé pour Gbagbo ou autour de Gbagbo, je pense que c’est irresponsable. Et dire qu’on était blanc et qu’on était bien alors qu’on a été au centre de ce régime, ça ne fait pas non plus sérieux.
N.V : Que pensez-vous de l’enquête que la Cour pénale internationale vient d’autoriser à propos des crimes qui auraient été commis en Côte d’Ivoire pendant la crise postélectorale ?
BBC : D’abord, il faut comprendre que c’est un échec de la société ivoirienne. Que dans une famille, on ne soit pas capable de s’asseoir pour régler nos problèmes et qu’on les confie à des juridictions extérieures, je pense que c’est une très mauvaise brèche qui vient d’être ouverte. Parce que n’importe qui pourra être appelé demain à aller pour être jugé par cette cour. La politique de façon générale permet une alternance et quand ça évolue on peut se retrouver dans la position de ceux qui ne sont pas là aujourd’hui. Donc, il faut beaucoup de sagesse. Je pense que nous ne prenons pas la juste mesure des choses. Quand les enquêteurs de la Cpi viendront, ils vont faire leur travail et des gens qui pensent qu’ils n’ont rien à voir avec ça pourraient se retrouver aussi au centre de ce jeu. Et je pense que ce n’est pas bien pour la Côte d’Ivoire.
N.V : Mais le gouvernement estime que la justice ivoirienne n’est pas outillée pour ce genre d’affaires…
BBC : C’est un argument que je ne prends pas. Si la justice ivoirienne veut se donner les moyens d’enquêter et de juger les Ivoiriens, elle peut le faire. Prenez un pays comme les Etats-Unis, quels que soient les crimes que leurs ressortissants commettent, ils ont décidé qu’aucune juridiction internationale ne peut juger un citoyen américain. Donc, c’est une volonté politique. Nous sommes devant une volonté politique qui est qu’après cette guerre, il faut que certains citoyens soient jugés par l’extérieur, nous allons voir ce que ça va donner comme résultat. Est-ce que c’est ça qui va nous ressouder ? Est-ce que c’est ça qui va faire que nous allons retrouver la grandeur de notre nation ? Moi, j’attends de voir et je jugerai au résultat.
N.V : Que dites-vous quand le pouvoir Ouattara dit que son action se situe dans le cadre de la lutte contre l’impunité ?
BBC : Mais nul ne peut dire que dans ce gouvernement, on ne peut pas trouver des gens qui ont fait exactement ce qu’on est en train de reprouver ou qui ont fait pire. Est-ce qu’on sera suffisamment fort pour donner les mêmes châtiments à tout le monde. Et c’est là, qu’on crée l’injustice.
N.V : Comment jugez-vous le processus de réconciliation engagé par le pouvoir ?
BBC : Il faut une volonté affirmée. Il ne faudrait pas que ce soit une volonté pour bien se présenter. Pour aller à la réconciliation après les moments graves qu’on a vécus, il faut associer tout le monde. Mais si dans une guerre qui a fait 3000 morts, on dit qu’il n’y a qu’un seul qui soit responsable, je dis quand même, soyons sérieux. Donc, il faut savoir trouver le juste milieu. La réconciliation nationale ne se fera qu’à ce prix.
N.V : Entre ceux qui posent la libération de Gbagbo comme condition à la réconciliation et ceux qui disent autre chose, où vous situez-vous ?
BBC : Moi, je respecte la vie. Si c’est pour tuer Gbagbo pour qu’on soit content, ça ne règle pas le problème. Si je dis aussi que je veux que Gbagbo soit exempt de tout compte, je ne suis pas sérieux parce que quand on décide d’être un homme politique, on gère un pays, on est responsable de ce que le pays devient à un moment donné. Chacun doit assumer sa part de responsabilité dans ce qui est arrivé. Une seule partie n’est pas l’unique responsable de ce qui est arrivé. S’il y a des gens qui pensent que tout ce qui est arrivé, c’est une seule personne, tel que je connais Laurent Gbagbo, je pense qu’on est en train de prendre le mauvais chemin.
N.V : Vous avez été cadre et élu du Fpi, maintenant vous avez votre parti, qu’est-ce que vous proposez de différent ?
BBC : Ce que je propose de différent, c’est que nous avons commis des erreurs. Si nous ne disons pas aux militants, le comportement qu’ils doivent avoir. Si nous-mêmes, nous nous énervons, le militant de base prend cela et se comporte de façon plus grave. Je ne renie pas le Fpi puisque j’étais au début de ce parti, mais je pense que nous pouvons faire autrement. Si nous ne disons pas à nos frères jusqu’où on va en politique, ils peuvent corrompre notre action. Et l’action du Fpi a été corrompue parce que chacun décide de ce qu’il va faire. Un parti politique n’est pas une porte ouverte à n’importe quel comportement. Quand on prend le pouvoir, c’est pour apporter des résultats très concrets au peuple de Côte d’Ivoire : la santé, l’éducation etc. Je ne tolérerai pas que les gens prennent les biens de l’Etat et qu’ils soient riches là où ils doivent produire des biens pour les redistribuer parce que nous sommes de gauche.
N.V : Il y a bientôt les élections législatives, est-ce que votre parti y est engagé ?
BBC : La première valeur d’une démocratie, c’est que la consultation électorale soit claire et transparente. Moi, je ne vois pas une élection qui est claire et transparente quand je vois des gens qui sont toujours en armes. Laurent Gbagbo a commis l’erreur d’aller à des élections avec des gens qui étaient encore en armes, mais il n’est pas question que j’aille à des élections législatives quand dans mon propre village, je vois des gens qui sont en armes. Donc il appartient au pouvoir de créer les conditions qui feront que celui qui va gagner les élections représente tout le monde dans la circonscription. Et tant que j’ai des parents qui sont en brousse à cause des hommes en armes et qui ne peuvent pas venir alors qu’ils sont inscrits sur la liste, je dis que la consultation n’est pas normale. Donc, comme le Fpi a posé des problèmes, j’attends les réponses qu’on va lui donner et ça va me servir à déterminer ma position. Ceci dit, à l’occasion de l’inauguration de notre siège, le 8 octobre, j’animerai une conférence de presse au cours de laquelle, je me prononcerai sur les sujets politiques.
Interview réalisée par
Augustin Kouyo