Attaque de Taï : Les autochtones se terrent dans la brousse, les allogènes craignent pour leur vie
Le 09 mai 2012 par Fraternité matin - Le village de Sacré ressemble à un vaste champ de ruine après le passage des hommes armés non identifiés.Après trois heures passées dans un
Le 09 mai 2012 par Fraternité matin - Le village de Sacré ressemble à un vaste champ de ruine après le passage des hommes armés non identifiés.Après trois heures passées dans un
véhicule de transport pour parcourir l’axe poussiéreux Guiglo-Taï, long de 85 km, nous arrivons à Taï, ville devenue ventre mou de la sécurité en Côte d’Ivoire depuis la fin de la crise post-électorale. Notre objectif en ce jour de prière du dimanche 29 avril 2012 est d’atteindre le village de Sakré à 28 km, où un commando inconnu a tué 8 personnes dans la nuit du mardi 24 au mercredi 25 avril dernier.
Nous apprenons que pour s’y rendre, il nous faut une moto. Après d’âpres négociations, nous acceptons de débourser la somme de 15000 frs demandée par le conducteur d’une moto pour nous conduire à Sakré. Il est 10 h 05 mn lorsque nous quittons Taï. Chemin faisant, nous constatons que les sept premiers kilomètres viennent d’être reprofilés, un nouveau pont a vu le jour sur la rivière Zabo au niveau du campement de Kouadiokro. Les traces des engins porteurs de développement se sont arrêtées au niveau de ce campement et notre calvaire commence.
En effet, Daouda, le pilote nous avait encouragé et même dit que la saison étant sèche, la route était praticable et meilleure qu’en septembre dernier après l’attaque de Ziriglo. Lors du voyage, notre interlocuteur nous fait savoir que la route n’a pas été entretenue depuis des lustres au point qu’elle est dangereuse par endroits. «Le jour de l’attaque le char de l’Onuci qui partait en renfort aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire s’est embourbé pendant des heures ; obstruant la voie aux autres véhicules militaires », indique-t-il. Les obstacles sont en effet nombreux : des flaques d’eau, trous béants, de la poussière, des longues marches sur des kilomètres par endroits. Nous ne regrettons plus l’argent déboursé pour le voyage. Inquiet pour le retour ; mais l’envie de connaître la vérité nous donne cependant du tonus. « Vous comprenez maintenant pourquoi le transport est coûteux », lance mon « chauffeur » au moment où il franchit le dernier obstacle non loin de notre destination. Il est 14 h 26 mn quand nous arrivons à Sakré. Les soldats au corridor, sûrement fatigués par des jours de travail, ne remarquent pas notre passage, ils dorment tous. Le premier constat est effrayant, le village est quasiment désert. Deux éléments des Frci, armes au point, sont assis sous un manguier, un autre se repose.
Allogènes et allochtones accusent ...
En l’absence des autochtones, les allogènes que nous avons rencontrés, ne passent pas par quatre chemins pour accuser leurs tuteurs Oubis d’être de connivence avec les assaillants. « On a peur, les femmes dorment encore en brousse. Nous sommes très déçus de nos tuteurs ; certains sont partis 48 heures avant l’attaque. Nous leur faisions confiance. On dormait ensemble, on mangeait ensemble », boue de colère, Ouédraogo Abdoulaye. Il souligne que contrairement aux villages de Ziriglo et Nigré où les allogènes ont incendié les maisons des autochtones en représailles, alors qu’aucune maison d’autochtones n’a été touchée, sauf les trois villas du maire de Taï, l’ancien ministre Désiré Gnonkonté Gnonsoa brûlées, nous dit-on, par des mercenaires libériens. Pour Dole Jean Charles, habitant, qui nous a fait visiter le village, c’est aux environs d’1 heure du matin que les premiers tirs ont retenti. « Compte tenu des rumeurs d’attaques récurrentes, j’ai compris qu’il fallait mettre ma famille à l’abri. Ma femme est allée dans la brousse avec notre bébé. De ma maison je voyais des gens, parlant anglais et français, extraire le chef dozo Kambiré Ollemité de sa maison pour aller le tuer », raconte-t-il. Et de soutenir que les éléments des Frci ont été vite débordés par le grand nombre d’assaillants.
A l’en croire, il leur est difficile de vivre sans leurs tuteurs qui ont tous déserté le village, craignant pour leur vie. La majorité des personnes interrogées souhaitent le retour rapide de leurs tuteurs qui ont fui non sans demander leur sincérité et leur collaboration pour lutter ensemble contre les agresseurs. « Nous ne sommes pas heureux sans nos tuteurs. Le seul problème c’est que certains sont complices des assaillants », fait remarquer Dole Charles qui pense que les attaques répétés ont des origines politiques et foncières. « On les entendait dire qu’ils brûleront la maison du de Gnonkonté », qu’ils note-t-il.
Dame Kambiré Déflè, l’épouse du chef Dozo assassiné, est encore sous le choc et la psychose s’est emparée de la famille. A ses dires, les criminels avaient identifié d’avance les cibles à attaquer. Elle explique que son mari, après leur avoir remis une forte somme d’argent, a été tué sous ses yeux. Avant d’ajouter qu’elle entendait leur chef donner des ordres pour les prochaines cibles. Si elle se déclare prête à pardonner, elle souhaite que justice soit rendue car son mari laisse une dizaine d’enfants à sa charge.
Les mercenaires libériens et des caciques de Lmp accusés
La première personne rencontrée à la mission protestante de Taï où des déplacés de Sakré et des autres villages voisins, échangent, est le 1er adjoint au maire de la commune de Taï, Téré Téhé. Il s’insurge d’emblée contre les mercenaires libériens qui continuent d’attaquer les populations avec l’aide des miliciens et caciques de Lmp (La majorité présidentielle). « La Côte d’Ivoire n’est pas en guerre contre le Liberia. Pourquoi donc agressent-ils les pauvres paysans ?», s’interroge-t-il. Pour lui les assaillants ont un seul objectif : mettre en conflit les supposés militants du Rhdp qui ont refusé de les rejoindre au Liberia, les allogènes et les allochtones dont ils ont tenté de spolier de leurs plantations sous Gbagbo. Ouro Louise, belle-mère du ministre Gnonkonté, une rescapée de l’attaque encore sous le choc, affirme avoir formellement identifié les assaillants. Elle relate qu’à 1 heure dans la nuit du 24 au 25 avril dernier, elle a été réveillée par un grand bruit venant du salon. Dès qu’elle s’y est précipitée pour savoir ce qui s’y passait, elle s’est trouvée face à face avec des gens armés qui avaient déjà fracturé la porte. La vieille dame explique qu’un homme en arme lui a dit, qu’ils sont venus ‘’tuer Gnonkonté, le traître qui suit le Rhdp’’, ensuite il s’est éclairé le visage en disant : « C’est moi Gninizi Bawé, celui qui est garçon qu’il vienne, je vais le tuer. Où est Gnonkonté ? Je suis venu le tuer ! Demande à tout le monde de sortir, ensuite déshabillez vous », a lancé l’homme à dame Louise. Au dire de celle-ci, elle a reconnu formellement cet homme car il est l’auteur de l’attaque de la ville de Taï en 1995 qui avait coûté la vie à 3 douaniers et 10 autres personnes. Une fois les occupants de la maison neutralisés, révèle dame Ouro Louise, les hommes sont ligotés et enmenés par d’autres assaillants. La maison, elle, a été pillée.
“ Les Frci nous ont sauvé la vie ”
Le frère cadet du maire de Taï, Gnonkonté Issa Vivien, porte encore les stigmates des coups de cross et de cordelettes. Il continue de louer Dieu qui, selon lui, l’a tiré des griffes de ces personnes sans foi ni loi. Arrêté en même temps qu’Ouro Louise et enfermé avec d’autres frères et amis dans une maison, il dit avoir entendu des miliciens chanter des chansons patriotiques « C’est comment comment les vrais Ivoiriens sont de retour sur le terrain ». Lui aussi dit avoir reconnu le chef de guerre libérien Gninizi Bawé avant de conclure : ‘’vu leur grand nombre, ces assaillants n’étaient pas venus pour une simple attaque mais pour implanter une rébellion.’’ ‘’C’est dans cette situation de peur panique que les Frci sont arrivées et nous ont sauvé de la mort », relate un autre habitant. « Si Bawé est arrêté, les attaques prendront fin et les miliciens seront neutralisés », nous a-t-il dit.
Les autochtones accusés régulièrement par les allogènes ont tous fui leurs villages malgré la présence des Frci. Seule une autorité préfectorale pourra ressouder les morceaux pour une paix durable, selon des habitants car pour eux un double drame se joue. Sans les autochtones dans leurs villages, les étrangers vivront toujours la peur au ventre.
Saint-Tra Bi
Correspondant Régional