Après ses accusations sur RFI: Gbagbo démonte les mensonges de Bourgi

Par Aujourd'hui - Après ses accusations sur RFI, Gbagbo démonte les mensonges de Bourgi.

Après ses accusations sur RFI, Gbagbo démonte les mensonges de Bourgi.

Le contexte: Un extrait qui tombe à pic pourrait-on dire, puisque ce chapitre du livre de François Mat- téi intitulé : « Laurent Gbagbo selon Mattéi, pour la vérité et la jus- tice, Côte d’Ivoire : ré- vélations sur un scandale français », parle de l’entretien té- léphonique que le pré- sident Gbagbo a eu avec Robert Bourgi en décembre 2010 à la demande de celui-ci..
Enjeu: Cet entretien confirme les mensonges de Bourgi qui, à la demande de Nicolas Sarkozy, a tout essayé pour convaincre Gbagbo de quitter le pouvoir. Il m’a raccroché au nez, se plaint-il dans cette version certifiée par le président Gbagbo lui-même.

« Ces gens n’ont peur d’aucune ignominie »

A Marcoussis, d’après Christophe Notin, auteur de Le Crocodile et le Scorpion, un « officiel-officieux » de la campagne militaire de Sar- kozy à Cocody, Dominique de Villepin se serait autocongratulé d’un « J’ai fait un coup génial, j’ai donné la Défense et l’Intérieur aux rebelles qui vont donc être obligés de se désarmer eux-mêmes.» N’est- ce pas simplement du mépris à l’égard des Institutions ivoiriennes ? N’est-ce pas le refus de reconnaître l’existence d’un gouvernement élu par le peuple ivoirien ? Notin y voit là une avancée. Mais en prétendant que cette tentative de coup de force obéissait à une intention acceptable, celle d’obliger les rebelles à désarmer, il réécrit l’histoire.

L’Etat français est entièrement mobilisé contre Gbagbo

En fait, il ne s’agit que de justifier a posteriori le rôle de la France dans ses mauvaises manières à l’encontre d’un Etat souverain. Historien du fait militaire, devenu le spécialiste de la crise ivoirienne vue de l’Elysée, Jean-Christophe Notin a été « encouragé » à s’intéresser au dossier alors qu’il ne possédait, selon ses dires, aucune connaissance, ni aucune attirance particulière pour l’affaire ivoirienne. Or, son livre a réponse à tout. On lui a donné en haut lieu les fiches concoctées par le gouvernement et les autorités militaires françaises de l’époque: sa page de remerciement est à cet égard édifiante. Y figurent au grand complet, comme au- tant de cosignataires fantômes, l’Etat-major de l’Elysée de Ni-
colas Sarkozy : de Claude Guéant à Jean-David Levitte, conseiller diplomatique, en passant par André Parant, le conseiller pour l’Afrique, le général Benoît Puga, chef d’Etat-major particulier du président de la République, et tous les membres du Quai d’Orsay, du Trésor public, de l’armée, etc., qui ont participé à l’offensive anti-Gbagbo. Signé à la pointe de l’épée, « un « S » qui veut dire Sarkozy » apparaît en filigrane derrière le nom de l’auteur. L’Etat français est entièrement mobilisé, comme s’il s’agissait de la «Grande Guerre». Dans l’exaltation de ce récit épique, un officier de Licorne va même jusqu’à comparer le courage de ses soldats, lors de l’assaut de la résidence de Gbagbo, à celui des poilus de 1914 ! Une allusion incongrue, insultante pour le million et demi de morts français de la Grande Guerre dont on célèbre en 2014 le centenaire. Nos héros sont tous revenus saints et saufs de leur assaut d’Abidjan, en 2010. « Zéro mort !» lance un officier, en fin d’opération. Dans un plan de communication millimétré, cette épopée de la crise ivoirienne a été visiblement conçue en haut lieu, dans l’optique d’une victoire à l’élection présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 ; Justification a posteriori de l’intervention française, notamment militaire, explication des liens étroits tissés à cette occasion par les responsables français civils et militaires avec les nouveaux maîtres d’Abidjan, mémoire de défense contre d’éventuelles poursuites judiciaires, mais surtout première véritable tentative de construction d’un récit global destiné à asseoir les accusations portées contre le président Gbagbo à La Haye. Le livre Le Crocodile et le Scorpion est tout cela à la fois.
Abidjan méritait autrefois le surnom de « Petit Paris ». La ville s’étend du boulevard Mitterand au pont Charles-de- Gaulle, du boulevard Valéry- Giscard-d’Estaing, au boulevard Angoulvant ( un administrateur colonial français), jusqu’à la commune de PortBouët ( le commandant Bouët- Villaumez fut envoyé par le roi de France en 1837 pour négocier des accords avec des autorités locales). La toponymie de la capitale est truffée de noms français. On en rencontre partout, en zone 4 en particulier. On comprend qu’un français s’y sente un peu chez lui. Pendant ses dix années à la présidence, Laurent Gbagbo n’a pas débaptisé une seule rue, une seule place, un seul pont, pour en remplacer le nom, comme ce fut fait partout ailleurs après les indépendances, par un nom africain. Le noter au passage eût sans doute adouci le caractère anti- Français volontairement prêté à Gbagbo pour mieux le stigmatiser et le faire détester. On découvre, en revanche, dans le livre de Notin au rang des«révélations », quelques énormités. A propos de Mamadou Koulibaly, il est raconté qu’il aurait voulu soudoyer les participants à la conférence de Marcoussis. Ceux qui le connaissent et apprécient l’ancien président de l’Assemblée nationale, comme ceux qui le détestent, y compris dans l’entourage de Laurent Gbagbo, partent d’un même rire inextinguible. Car s’il est un défaut que l’ex-numéro 2 de Gbagbo ne possède pas c’est le goût pour la combinazione. Mamadou Koulibaly, que je connais bien, voit dans tout compromis le risque d’une compromission. Cette intransigeance sur les valeurs républicaines, trop peu politicienne au goût de ses détracteurs, lui a d’ail- leurs souvent été reprochée.
Le procureur de La Haye, Fatou Bensouda, qui n’aura pas manqué de lire Le Crocodile et le Scorpion, reconnaîtra sans doute les pleins et déliés de sa propre calligraphie du drame ivoirien. Jean-Christophe Notin met tout en œuvre pour tenter de faire croire que Gbagbo était un dictateur. Par conséquent, l’auteur fait feu de tout bois. Problème : il n’a interrogé aucun de ceux qui au- raient donner à voir une autre réalité que celle véhiculée par les officiels et les médias français. Or, cette version de l’histoire a été mise à mal depuis la chute de Gbagbo par les chercheurs, et surtout par l’équipe de défense du président Gbagbo, menée par l’avocat international Emmanuel Altit, à La Haye, devant la cour pénale internationale. Pour crédibiliser sa thèse, Notin n’épargne aucun détail : réunions politiques secrètes, commentaires d’officiels français, mouvements de troupes. Toute la rhétorique se fonde sur un fourmillement de précisions concernant l’action sur le terrain, de 1993 à 2011. Comment mettre en doute le texte où le nom et le prénom du moindre officier, la topographie des lieux, l’identification des matériels employés, le calendrier des dates, les heures des événements sont si exactement consignés ? Des informations habilement parsemées dans l’ouvrage visent à légitimer l’action française, afin de répondre point par point aux objections, et, en prime, à discréditer définitivement Laurent Gbagbo. Dans l’exercice du portrait, Jean-Christophe Notin lâche le clavier, et se met à la peinture au pistolet :«(…) tel Charlie Chaplin jouant avec un globe terrestre dans le Dictateur, le Président actionne, lui, une « galaxie », dite patriotique, un ensemble d’associations de jeunes ivoiriens désœuvrés, auxquels ses discours colonialistes ont fait oublier leur misère. » Mais parfois le discours présente des failles et la vérité transparaît. Ainsi, quand Notin cite l’ambassadeur de France à Abidjan, Renaud Vignal ( 2001-2002) qui avait écrit dans son rapport :«Nous disposons avec Gbagbo d’un des meilleurs chefs d’Etat que ce pays peut actuellement avoir.» Allez comprendre… Laurent Gbagbo se souvient du revire- ment de l’ambassadeur.

Après la défaite de Lionel jospin en 2000, et la victoire de jacques Chirac, suivie de la prise en main du dossier ivoirien par Dominique de Villepin, tout a changé, et Renaud Vignal n’a plus été le même vis-à-vis de moi.

Jean-Christophe Notin « peo- polise » sa démonstration par des révélations croustillantes. Après l’arrestation du Prési- dent : (…) des Français s’en vont fouiller la résidence de Gbagbo. Sont ainsi découverts les «classiques» des despotes en goguette, cigares et grands crus, des centaines de paires de chaussures et de tenues, mais aussi un stock consé-quent de pilules de viagra pour Monsieur et d’héroïne brune pour Madame. »
Simone Gbagbo a été si déconsidérée dans les médias français, qu’aucune limite n’est plus respectée à son égard. Même si l’auteur indique, par une note de bas de page discrète, ignorer si c’est pour sa consommation personnelle ou celle de ses proches». Traitée tour à tour de folle de Dieu, de sorcière dirigeant«des escadrons de la mort », on la découvre finalement droguée, ou au mieux, dealer. Ceux qui ont approché Simone Gbagbo, amis ou adversaires, savent que cette révélation n’est pas crédible. La drogue n’a jamais fait partie de l’univers de Simone Gbagbo. Si tel avait été le cas, comment cela aurait-il pu échapper à tous ceux qui l’ont scrutée sans aucune indulgence pendant dix ans ? Alors que la bulle Gbagbo était infiltrée de toutes parts…
En ce qui concerne la cave du chef de l’Etat, elle ne contenait rien de plus, et plutôt moins, que celle de ses homologues, pour les invitations et réceptions, à savoir cave à vins et cigares.

Il y a bien longtemps que je ne fume plus. Du vin, du champagne et des cigares pour les réceptions, il y en avait certainement cent fois moins, qu’il y en a à l’Elysée. Les cigares, ce sont les visiteurs qui me les offraient, la plupart du temps. Et je les offrais à mon tour aux amateurs. Quant à moi, je vois trop bien ce que cette attaque signifie. Pour l’alcool, voyez Ouattara, qui est un buveur de scotch, ou Bédié, qui est plutôt cognac… En revanche, l’évocation de la découverte de viagra et d’héroïne, j’y vois le summum de l’expression de la pensée politique française sous nicolas Sarkozy… Ces gens n’ont peur d’aucune ignominie, et les voir à l’œuvre en Afrique montre seulement de quoi ils sont capables… Chez nous ils ont montré leur vrai visage ; Ce qu’ils devraient dire, ce qui est vrai, c’est que j’avais sans doute la plus belle bibliothèque de livres classiques français de toute l’Afrique, et qu’ils me l’ont entièrement détruite avec leurs bombes incendiaires.

Le livre de Notin s’attachant à démontrer la légitimité et l’efficacité de la campagne militaire d’Abidjan du chef d’armée Nicolas Sarkozy, on apprend, entre autres choses, la mise d’un officier de la DGSE, pour l’écriture de ses discours de guerre pendant la crise. Ceux-ci furent retransmis par une télévision satellitaire entièrement fournie, installée, et payée par Paris. Comme le fut la note de l’hôtel du Golf, où Ouattara, Soro, leur gouvernement et quelques centaines d’hommes en armes séjournèrent pendant plus de cinq mois, alimentés et transportés par nos hélicoptères et ceux de l’ONU. Jean-Christophe Notin, qui a le souci de la précision, et se veut exhaustif, a peut-être eu accès au montant total de la facture de l’expédition. En cette période de crise, cet aspect budgétaire intéresserait beaucoup de Français, et éclairerait sans doute sur le prix accordé par Nicolas Sarkozy à la victoire de son ami Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. Certainement beaucoup plus qu’un simple recomptage des voix. Mais ce détail ne figure nulle part dans ce pavé de 441 pages. Précisons, donc, que Jean-Michel Fourgous, alors rapporteur du budget de la défense à l’Assemblée nationale, chiffrait officiellement à 65 millions d’euros le coût de l’intervention en Côte d’Ivoire. Le coût annuel de la présence militaire française étant estimé en 2010 par certains à 150 millions, pour d’autres à 200 millions d’euros. L’auteur reste malheureusement discret sur le montant de la facture et son détail en ce qui concerne l’intervention des services spéciaux.

Les vraies confidences de Bourgi sur son propre entretien avec Gbagbo en 2010

Enfin le récit, par Notin d’une conversation téléphonique tenue entre Laurent Gbagbo et Robert Bourgi installé dans le bureau de Guéant à l’Elysée en présence de ce dernier, me laisse perplexe. L’avocat et intermédiaire franco-africain m’a confirmé l’existence de cette conversation. Mais contrairement à Notin, il ne dit pas que Laurent Gbagbo aurait adopté un ton ou des propos menaçants. Notin, peut-être pour crédibiliser le portrait sans nuance qu’il fait de Laurent Gbagbo, lui attribue les propos suivants :«Tu diras à Sarkozy que je serai son Mugabé ! Je ne laisserai jamais la Côte d’Ivoire à Ouattara, je la baignerai dans le sang !»
Après l’alcool, la drogue, le « bain de sang ». Robert Bourgi, intermédiaire influent dans les relations entre la France et«son» Afrique, m’a reçu dans son cabinet de la rue Pierre-1er-de-Serbie, à Paris, le 29 novembre 2012. Entouré de dessins de sa fille Clarence, filleule de Laurent Gbagbo, des reliques napoléoniennes qui font ressembler son bureau à un musée impérial, de photos encadrées d’Omar Bongo, De Gaulle, et d’une de lui avec Laurent Gbagbo en chemise blanche, il me relate ce fameux entretien téléphonique. Il a appelé Laurent Gbagbo, début décembre 2010, à la demande Nicolas Sarkozy. Acteur consommé, il reproduit le dialogue qu’il a eu pendant quelques secondes avec Gbagbo, haut-parleur ouvert, alors qu’il se trouve à l’Elysée, avec le président de la République française, et son secrétaire général, Claude Guéant.
« Je t’en supplie Laurent, laisse la place. Cinq ans, c’est vite passé. Tu te représenteras, et tu gagneras haut la main. Tu auras un statut de chef d’Etat, une chaire d’enseignement, tu pourras aller et venir entre Paris et Abidjan, et voyager dans le monde où bon te semblera. Ecoute-moi, tu sais, nous avons le même âge !» « Non, tu es plus âgé que moi d’un mois », m’a répondu en riant Laurent Gbagbo. J’ai argumenté, supplié. Il m’a dit qu’il ne flancherait pas. Il a fini par me raccrocher au nez… J’ai fondu en larmes. Le président m’a raccompagné jusqu’à l’escalier d’honneur. « Nicolas, tu ne peux pas faire ça, tu ne peux pas », lui ai-je dit. «Si Bongo était encore vivant, tu n’oserais pas ! » ai-je ajouté sur un ton plein de sous-entendus. Nicolas m’a regardé et m’a dit, au moment de se quitter :«c’est plié, Ro- bert, et je ne changerai rien aux cours des choses. »
D’après ce témoignage, Nicolas Sarkozy avait déjà arrêté sa position sur le dossier ivoirien, et probablement décidé de l’intervention militaire, dès le mois de décembre 2010. Une analyse partagée par un homme politique ivoirien d’Abidjan, qui venait souvent à Paris. Il y vit toujours, d’où cet anonymat :«Mes amis du Quai d’Orsay m’avaient clairement dit, dès fin novembre 2010, que le but de l’Elysée était de chasser Gbagbo. Les élections n’étaient que le prétexte. L’Etat-major des armées, et toute la machine de l’Etat français se préparaient déjà à l’action ».
J’ai rapporté à Laurent Gbagbo les propos de Robert Bourgi. Il s’est contenté de hausser les épaules: Quand on me demande si je connais Bourgi, je réponds toujours que je n’en connais qu’un: Albert. Professeur d’université, politologue, et frère de l’autre, Albert Bourgi a toujours soutenu Laurent Gbagbo de façon désintéressée. Robert, visiblement, n’inspire plus confiance à un Gbagbo boudeur, qui imite d’une main louvoyante l’ondulation d’une créature insaisissable.
La version de Jean-Christophe Notin est invraisemblable : Laurent Gbagbo, même aux pires moments de sa vie, même sous les bombes, même en prison, ne s’est jamais fait menaçant ni discourtois. Robert Bourgi le sait mieux que personne : son frère Albert, professeur d’université à Reims, n’aurait pas entretenu trente années de relations amicales, quasi fraternelles, avec un homme qui mangerait de ce pain-là. Pour en terminer avec cet échantillon du ramassis de mensonges paramétrés comme des tirs de mortier, le récit de la mort de Désiré Tagro par Christophe Notin fera date. Une nouvelle définition de l’expression « passage à tabac ». L’assassinat de l’ex- ministre de l’Intérieur de Laurent Gbagbo, la mâchoire éclatée par un tir à bout touchant alors qu’il s’était rendu aux rebelles avec un drapeau blanc pour parlementer, perdant son sang pendant qu’on l’emmène à l’hôtel du Golf, où il va mourir, devient pour Notin un incident de commissariat de quartier :«ayant été tabassé, il succombera le lendemain à ses blessures ». Délicat euphémisme. Pourtant Tagro avait reçu des assurances des responsables des forces spéciales françaises qui assiégeaient et bombardaient la résidence présidentielle. Il a été abattu sous les yeux des soldats français.
Deux confidences que m’a livrées Notin, prouvent qu’il n’est pas dépourvu de sensibilité. Je lui demande s’il a vu la photo de Simone Gbagbo agenouillée lors de son arrestation, tenue comme un animal par quelques soudards qui posent comme on le fait avec le gibier après la chasse. Il me répond avoir vu bien d’autres photos beaucoup plus affligeantes dans les dossiers qu’on lui a confiés, qui prouvent que Simone Gbagbo, comme d’autres, après leur capture, aurait subi de la part des rebelles des violences in- qualifiables. Les caméras de l’armée française ont tout filmé, avant, pendant et après l’attaque de la résidence du président Gbagbo. Notin n’a- t-il pas vu les photos du corps de Tagro ? N’a-t-il pas vu les images de tous ceux qui furent capturés dans la résidence du Président et assassinés dans les heures suivantes? Certains des civils qui allaient être exécutés furent, disons-le au pas- sage, sauvés par des soldats français.

Source : Laurent Gbagbo selon François Mattéi, Pour la vérité et la justice, Côte d’Ivoire : révélations sur un scandale français, édition du Moment