Alerte Info/Urgent : Charges d’Ocampo contre Gbagbo à la CPI. Le dossier est vide (1)

Le 30 mai 2012 par IVOIREBUSINESS – Hier IvoireBusiness recevait copie integrale des preuves du procureur Luis Moreno Ocampo contre le Président Laurent Gbagbo à la CPI. C’est manifestement un dossier vide. Nous vous

le proposerons en deux parties.
La première partie qui vous est proposée aujourd’hui traite des preuves réunies par Ocampo pour accuser Laurent Gbagbo de crimes de sang et de crimes contre l’humanité, objet de son incarceration à la CPI.

CHRISTIAN VABE

LE PRESIDENT LAURENT GBAGBO.

Le 30 mai 2012 par IVOIREBUSINESS – Hier IvoireBusiness recevait copie integrale des preuves du procureur Luis Moreno Ocampo contre le Président Laurent Gbagbo à la CPI. C’est manifestement un dossier vide. Nous vous

le proposerons en deux parties.
La première partie qui vous est proposée aujourd’hui traite des preuves réunies par Ocampo pour accuser Laurent Gbagbo de crimes de sang et de crimes contre l’humanité, objet de son incarceration à la CPI.

CHRISTIAN VABE

DOCUMENT ICC-02/11-01/11 DATE 16 MAI 2012
SITUATION EN REPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE
AFFAIRE LE PROCUREUR LUIS MORENO OCAMPO CONTRE LAURENT GBAGBO
VERSION PUBLIQUE EXPURGEE – DOCUMENT DE NOTIFICATION DES CHARGES

A. INTRODUCTION

1.La présente affaire porte sur la responsabilité pénale de Laurent GBAGBO (GBAGBO) pour avoir élaboré et mis en oeuvre une politique visant à le maintenir par tous les moyens au pouvoir, en qualité de Président de la Côte d'Ivoire, notamment au travers d'attaques soutenues, minutieusement planifiées, meurtrières, généralisées et systématiques, lancées contre les civils qui s'opposaient à lui. GBAGBO était le fer de lance de cette politique et au coeur d'un groupe de personnes chargées d'y donner suite. De la période antérieure à novembre 2010 à son arrestation le 11 avril 2011, GBAGBO a conçu cette politique et a planifié, organisé, ordonné, encouragé, autorisé et permis diverses mesures et actions précises dans le cadre de sa mise en oeuvre.

En particulier, il s'est servi de l'appareil de l'État ivoirien, y compris les Forces de défense et de sécurité, renforcées par les Jeunes Miliciens et des mercenaires (les « forces pro- GBAGBO»), pour la mettre en oeuvre. Il a régulièrement rencontré ses commandants pour orchestrer l'exécution de cette politique et a ordonné aux forces pro-GBAGBO de mener des attaques contre des manifestants civils. Étant donné que ces offensives soutenues contre des civils s'inscrivaient dans le cadre des instructions qu'il a données et de la politique qu'il a menée, il s'est bien gardé par la suite de les dénoncer ou de demander une enquête et d'en punir les auteurs.

Des centaines de ses opposants civils ont été attaqués, tués, blessés ou victimes de viols dans le cadre de cette politique. GBAGBO est responsable des crimes qui lui sont reprochés dans le présent document en tant que coauteur indirect, ainsi qu'il est prévu à l'article 25-3-a du Statut de Rome.

B. L'ACCUSÉ

2. Laurent GBAGBO est né le 31 mai 1945 à Marna, un village de la sous-préfecture d'Ouragahio situé dans le département de Gagnoa, en Côte d'Ivoire. Il est de nationalité ivoirienne et membre de la tribu des Bété. GBAGBO est catholique et ICC-02/11-01/11 4/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 5/48 NM PT a deux épouses : il est marié légalement à Simone GBAGBO et traditionnellement à Nadiana BAMBA. Il est devenu Président de la Côte d'Ivoire en octobre 2000.

C. EXPOSÉ DES FAITS

3. En 2002, un coup d'État manqué a entraîné la fragmentation des forces armées ivoiriennes et s'est terminé par une division de la Côte d'Ivoire en une zone sud tenue par le Gouvernement et une zone nord contrôlée par les rebelles. En 2007, un gouvernement de coalition a été établi et le processus de paix qui avait été entamé, a abouti à l'élection présidentielle de 2010, la première depuis octobre 2000. La communauté internationale a déployé des efforts considérables afin d'aider les autorités ivoiriennes à garantir un processus électoral impartial et équitable.

4. GBAGBO était déterminé à rester au pouvoir. Quelque temps avant l'élection de 2010, aidé par des membres de son entourage immédiat, parmi lesquels Simone GBAGBO et Charles BLÉ GOUDÉ, il a adopté une politique visant à attaquer son rival politique Alassane Dramane OUATTARA (OUATTARA) ainsi que des membres du cercle politique de celui-ci et des civils considérés comme ses partisans, dans le but de conserver le pouvoir par tous les moyens y compris la force létale (la « Politique »). La Politique a été mise en oeuvre par les forces pro-GBAGBO, lesquelles, sous l'autorité et le contrôle conjointement exercés par celui-ci et son entourage immédiat, ont perpétré des attaques systématiques et généralisées contre des civils, et notamment les crimes reprochés dans le présent document.

5. Avant l'élection, GBAGBO a pris des dispositions dans la poursuite de la Politique pour faire en sorte de se maintenir au pouvoir en cas de défaite électorale. Il a consolidé son autorité absolue ainsi que le contrôle qu'il exerçait sur les Forces de défense et de sécurité ivoiriennes (FDS). Celles-ci étaient constituées de cinq composantes principales qui ont pris part à la commission ICC-02/11-01/11 5/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 6/48 NM PT des crimes : les forces armées (FANCI), la gendarmerie, la garde républicaine, le Centre de commandement des opérations de sécurité (CeCOS) et la police. Elles étaient commandées par des personnes fidèles à GBAGBO. Lors de la crise postélectorale, sur ordre de GBAGBO, leurs opérations ont été coordonnées par le chef de l'état-major des forces armées, le général Philippe MANGOU. Ce dernier a, en outre, renforcé les FDS, en recrutant systématiquement des Jeunes Miliciens et des mercenaires, qu'il a intégrés dans la chaîne de commandement des FDS. Il s'est également assuré que les forces qui lui étaient restées loyales étaient entraînées, financées et armées convenablement.

6. Le premier tour de l'élection présidentielle a eu lieu le 31 octobre 2010. Les favoris étaient GBAGBO, pour la Majorité présidentielle (LMP), une alliance entre son Front populaire ivoirien (FPI) et d'autres partis politiques, et OUATTARA, pour le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Le RHDP est une alliance formée par le Rassemblement des républicains (RDR) - dirigé par OUATTARA -, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) et d'autres partis politiques.

7. Le second tour de l'élection présidentielle a commencé le 28 novembre 2010 et le scrutin a été clôturé le 1er décembre 2010. Le 2 décembre, le Président de la Commission électorale indépendante (CEI) a annoncé les résultats provisoires et déclaré que OUATTARA avait remporté 54,1 % des voix et GBAGBO 45,9 %. Le 3 décembre, le Président du Conseil constitutionnel, un allié de GBAGBO, a invalidé la décision de la CEI et annoncé la victoire de celui-ci. Les deux candidats se sont proclamés simultanément Président de la Côte d'Ivoire. Cependant, le 3 décembre, le Conseil constitutionnel a fait prêter serment à GBAGBO pour un nouveau mandat présidentiel. Peu après, OUATTARA prêtait serment par écrit en tant que Président de la République. Les deux camps ont alors formé leur gouvemement respectif. ICC-02/11-01/11 6/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 7/48 NM PT

8. Lors de la crise postélectorale, des milliers de partisans de OUATTARA se sont rassemblés dans les rues d'Abidjan et dans d'autres parties du pays pour réclamer la démission de GBAGBO. La communauté internationale, dont l'ONU, l'Union africaine, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union européenne, a également reconnu la victoire de OUATTARA et exhorté GBAGBO à céder le pouvoir.

9. Dès la fin du processus électoral, GBAGBO a mobilisé les forces qui lui étaient subordonnées et leur a donné l'ordre de coordonner leurs activités dans le but d'appliquer la Politique. Il a autorisé l'usage de la force létale à l'encontre des civils.

10. OUATTARA et des membres de son gouvernement nouvellement élu étaient basés au Golf Hôtel de Cocody, un quartier d'Abidjan. Ils se trouvaient sous la protection des forces de maintien de la paix de l'ONUCI. Dès l'annonce des résultats provisoires de l'élection par la CEI, GBAGBO a donné l'ordre à ses forces armées d'assiéger le Golf Hôtel et ses résidents. Ce siège, qui a été maintenu pendant toute la durée de la crise postélectorale, s'est notamment traduit par le harcèlement des soldats de l'ONU, de violentes offensives dirigées à l’encontre des partisans présumés de OUATTARA dans les environs du Golf Hôtel et l'attaque de ce bâtiment à l'arme lourde.

11. Tout au long de la crise postélectorale, GBAGBO a tenu des réunions et maintenu un contact régulier avec son entourage immédiat, dont Simone GBAGBO, Charles BLÉ GOUDÉ et les principaux commandants des FDS, afin de faire le point sur la Politique et d'en coordonner la mise en oeuvre. Il a également donné à ses subordonnés des instructions pour appliquer la Politique et a été tenu au courant des réunions organisées par ceux-ci à cet effet. Simone GBAGBO et d'autres membres de l'entourage immédiat de GBAGBO ont également donné des consignes concernant l'application de la Politique. Cependant, ces dernières ICC-02/11-01/11 7/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 8/48 NM PT étaient toujours communiquées au vu ou au su de GBAGBO et avec son autorisation.

12. Les ordres de GBAGBO et des membres de son entourage immédiat étaient transmis par les commandants des FDS à leurs subordonnés respectifs et exécutés par les forces pro-GBAGBO. Celles-ci ont fait usage du « répertoire complet de ce que les militaires [avaient] » y compris les « armes de guerre » pour disperser les manifestants.

13. En conséquence, la mise en oeuvre coordonnée de la Politique a abouti à des attaques systématiques et généralisées à l'encontre des civils pris pour des partisans de OUATTARA, et aux crimes reprochés en l'espèce. Du 28 novembre 2010 au 8 mai 2011, les forces pro-GBAGBO ont attaqué les civils considérés comme partisans de OUATTARA. Elles ont tué entre 706 et 1059 personnes, en ont violé plus de 35, en ont arbitrairement arrêté au moins 520 et ont infligé à 90 personnes au moins de grandes souffrances et des atteintes graves à l'intégrité physique. Ces crimes ont été commis avec une intention discriminatoire pour des motifs d'ordre politique, national, ethnique et religieux.

14. Le 25 février 2011, la Côte d'Ivoire était devenu le théâtre d'un conflit armé ne revêtant pas un caractère international entre les forces pro-GBAGBO et les forces fidèles à OUATTARA. Ces dernières comprenaient les Forces nouvelles (rebaptisées par la suite Forces républicaines de Côte d'Ivoire - FRCI) et disposaient du soutien d'un groupe de défense issu de tribus et appelé les dozos, et d'un groupe de miliciens burkinabé. Les FRCI avançaient du nord au sud de la Côte d'Ivoire pour atteindre Abidjan le 31 mars 2011. À partir de ce moment-là, un grand nombre d'officiers des FDS ont déserté, et GBAGBO et les membres de son entourage immédiat en sont venus à s'appuyer de plus en plus sur les Jeunes Miliciens et les mercenaires pour mettre en oeuvre la Politique. ICC-02/11-01/11 8/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 9/48 NM PT

15. Le 11 avril 2011, à la suite d'opérations militaires menées par des forces fidèles à OUATTARA et soutenues par l'ONUCI et les troupes françaises de l'opération Licorne, GBAGBO fut arrêté par le gouvernement de OUATTARA et assigné à résidence. Les forces pro-GBAGBO ont continué de commettre des crimes contre les civils pris pour des partisans de OUATTARA jusqu'au 8 mai 2011 au moins. Les crimes en question s'inscrivaient dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique menée contre la population civile à l'initiative de GBAGBO et de son entourage immédiat dans la poursuite de la Politique. D. COMPÉTENCES RATIONE LOCI, RATIONE TEMPOEUS ET RATIONE MATERIAE

16. La République de Côte d'Ivoire n'est pas un État partie au Statut de Rome. Cependant, le 1 octobre 2003, par déclaration datée du 18 avril de cette même année, le Gouvernement de la Côte d'Ivoire a reconnu la compétence de la Cour pour juger les crimes commis sur le territoire ivoirien à compter du 19 septembre 2002. Cette déclaration autorise donc la Cour à exercer sa compétence conformément à l'article 12-3 du Statut de Rome.

17. Le 14 décembre 2010, le Procureur, le Président et le Greffier de la Cour ont reçu une lettre de M. OUATTARA, en sa qualité de Président de la Côte d'Ivoire, confirmant la prorogation de la validité de la Déclaration du 18 avril 2003. Une deuxième lettre à cet effet a été reçue le 4 mai 2011.

18. Le 23 juin 2011, l'Accusation, ayant conclu qu'il existait une base raisonnable pour ouvrir une enquête, a demandé à la Chambre préliminaire III l'autorisation d'enquêter sur la situation en Côte d'Ivoire à compter du 28 novembre 2010, au titre de l'article 15-3 du Statut de Rome. Le 3 octobre 2011, la Chambre préliminaire a autorisé l'Accusation à enquêter sur les crimes relevant de la compétence de la Cour commis depuis le 28 novembre 2010 dans le cadre de cette situation. ICC-02/11-01/11 9/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 10/48 NM PT

19. Tous les crimes reprochés en l'espèce ont eu lieu sur le territoire de la Côte d'Ivoire après le 28 novembre 2010. Le meurtre, le viol et autres formes de violence sexuelle, la persécution et d'autres actes inhumains constituent des crimes contre l'humanité définis à l'article 7 du Statut. E. EXPOSÉ DES FAITS EN CAUSE AU REGARD DES ÉLÉMENTS DU CHAPEAU DE L'ARTICLE 7 1. Attaque contre une population civile

20. Entre le 28 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les forces pro-GBAGBO ont dirigé contre des civils pris pour des partisans de OUATTARA des attaques durant lesquelles elles ont tué de 706 à 1059 personnes, en ont violé plus de 35, en ont arbitrairement arrêté au moins 520 et ont infligé à 90 personnes au moins de grandes souffrances et des atteintes graves à l'intégrité physique. Ces attaques comprennent les quatre événements visés dans le présent document ainsi que d'autres énoncés dans la présente partie.

21. Les forces pro-GBAGBO ont pris pour cible les habitants des quartiers d'Abidjan considérés comme des bastions de OUATTARA (notamment Abobo, Adjamé, Koumassi et Treichville), ainsi que ceux des nombreuses communautés de l'ouest de la Côte d'Ivoire traditionnellement acquises à la cause de ce dernier. Par ailleurs, les cibles étaient souvent choisies pour des motifs ethniques (Baoulé, Dioula, Mossi, Malinké, Sénofou), religieux (musulmans) ou nationaux (des citoyens d'États ouest-africains tels que le Mali, le Burkina Faso ou le Nigeria ainsi que des Ivoiriens d'ascendance ouest-africaine), car les membres de ces groupes étaient considérés comme des partisans de OUATTARA. Les maisons de ces derniers étaient souvent marquées, soit avec les lettres D (Dioula) ou B (Baoulé) à la craie blanche, soit avec une croix peinte en noir, pour que les assaillants puissent les identifier. De même, les forces pro-GBAGBO et, en particulier, les Jeunes Miliciens identifiaient souvent les cibles de ces attaques en ICC-02/11-01/11 10/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 11/48 NM PT procédant à des contrôles d'identité aux barrages routiers installés illicitement et attaquaient les quartiers ou les institutions religieuses généralement fréquentés par les partisans de OUATTARA.

22. Bien que les FDS aient parfois participé à des opérations militaires contre le prétendu commando invisible, groupe armé basé à Abobo et censé être acquis à la cause de OUATTARA, les attaques dont il est question en l'espèce ont été commises à l'encontre de civils dans le cadre de la Politique, qui consistait à attaquer les partisans présumés de OUATTARA afin de maintenir GBAGBO au pouvoir coûte que coûte. Ainsi qu'il est précisé dans d'autres parties du présent document, les attaques ont été orchestrées et dirigées par GBAGBO et ses proches.

23. Ces attaques ont commencé au premier jour du second tour de l'élection. Les 28 et 29 novembre 2010, les FDS ont violemment réprimé des manifestations menées à Abobo par les jeunes du RHDP pour protester contre le couvre-feu, faisant 12 morts. Durant la même période, les Jeunes Miliciens ont tué un immigré malien à un barrage routier après l'avoir accusé d'avoir voté pour OUATTARA.

24. Le 1 décembre 2010, des éléments du CeCOS ont fait irruption au quartier général du RDR à Wassakara (Yopougon) et ouvert le feu sur des partisans du RHDP réunis dans le bâtiment, faisant six morts et 14 blessés. Ils en ont également arrêté et détenu sept autres. Le 2 décembre 2010, des éléments de la gendarmerie ont attaqué le quartier général du RHDP à Abidjan, faisant huit morts et plus de 20 blessés. Le 3 décembre 2010, des éléments des FDS, dont des membres de la police, ont ouvert le feu sur des civils dans le quartier d'Abobo, faisant trois morts. Le lendemain, les FDS ont abattu deux civils à Port-Bouët. Le 25 décembre 2010, des jeunes miliciens, aidés par des éléments des FDS, ont mené une opération contre le quartier général du PDCI - allié politique du quartier général de OUATTARA - blessant 11 personnes, dont trois par balle. ICC-02/11-01/11 11/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 12/48 NM PT

25. Durant tout le mois de janvier 2011, les forces pro-GBAGBO ont violemment attaqué les partisans de OUATTARA à Abidjan ainsi que dans d'autres parties du pays, dont Gagnoa, Divo et Daoukro. Le 4 janvier 2011, par exemple, la police et les gendarmes ont utilisé des balles réelles et des gaz lacrymogènes contre des personnes non armées qui se trouvaient à l'intérieur des bureaux du PDCI à Abidjan. Ils ont alors tué un militant de ce parti et en ont blessé grièvement quatre autres. Ils ont également arrêté 136 partisans du RHDP et leurs familles, dont 19 femmes et plusieurs enfants.

Entre les 11 et 12 janvier, des éléments des FDS ont attaqué le quartier connu sous le nom de PKI8, à Abobo, à bord de véhicules de la police et du CeCOS, faisant au moins neuf morts. Le 12 janvier, un groupe de Jeunes Patriotes a battu à mort trois ressortissants maliens à Abobo. Le 13 janvier, de Jeunes Patriotes qui tenaient un poste de contrôle ont tué deux jeunes partisans du RHDP. Le 20 janvier, des soldats des FDS ont ouvert le feu, sans faire preuve de discernement, sur des civils non armés dans la ville de Gagnoa, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, tuant et blessant de nombreuses personnes. Le 18 janvier 2011, en réaction à un appel du RHDP à la désobéissance civile dans tout le pays, les forces pro-GBAGBO ont brutalement réprimé des manifestations. Le 19 janvier 2011, par exemple, des gardes républicains ont tué deux partisans du RHDP et en ont blessé 17 dans les communes d'Attécoubé et d'Adjamé. Le 25 février, à Abobo, des forces pro- GBAGBO ont violé neuf femmes politiquement engagées en faveur de OUATTARA. Ce même jour, des Jeunes Miliciens soutenus par la police ont attaqué une mosquée à Yopougon, faisant au moins deux morts, dont le gardien de la mosquée, et au moins cinq blessés.

26. Durant la deuxième quinzaine de mars 2011, des forces pro-GBAGBO, dont des membres du CeCOS, de la BAE et de la garde républicaine, ont continué de tirer à l'arme lourde sur les partisans de OUATTARA à Yopougon, Williams ville, Attécoubé, Adjamé et Abobo. Les FDS ont alors tué au moins 40 personnes parmi ICC-02/11-01/11 12/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 13/48 NM PT lesquelles des femmes, des enfants et des personnes âgées. Au même moment, à Abidjan, des Jeunes Miliciens ont tué de nombreux partisans présumés de OUATTARA, dont huit musulmans qui tentaient de se réfugier dans une mosquée.

27. En mars 2011 également, les FDS et les Forces nouvelles loyales à OUATTARA se sont directement affrontées. Au cours de leurs offensives militaires, les forces pro-GBAGBO ont commis des crimes à grande échelle contre les civils assimilés à des partisans de OUATTARA, et notamment lors des trois offensives suivantes lors desquelles des civils ont délibérément été pris pour cible. Le 22 mars 2011, des forces pro-GBAGBO comprenant des mercenaires venus du Libéria ont attaqué le quartier des immigrés de la ville de Bédi-Goazon, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, tuant au moins 37 immigrés ouest-africains. Le 25 mars 2011, des mercenaires du Libéria ont attaqué des civils partisans de OUATTARA à Bloléquin, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire, en représailles à la progression de forces pro-OUATTARA dans la région. Les assaillants se sont livrés au massacre systématique de plus d'une centaine d'hommes, de femmes et d'enfants originaires de groupes ethniques de l'ouest de la Côte d'Ivoire et de pays voisins de la région, qui avaient trouvé refuge dans un bâtiment administratif. Le 28 mars 2011, le même groupe des forces pro-GBAGBO a lancé une offensive contre des civils à Duékoué, tuant plusieurs partisans de OUATTARA parmi lesquels un imam et trois ressortissants ouest-africains.

28. En outre, les forces pro-GBAGBO menaient systématiquement des attaques contre d'autres personnes d'origine ouest-africaine, pour la plupart des Burkinabé et des Maliens, considérés comme favorables à OUATTARA. Entre le début des violences postélectorales et le 10 avril 2011, les forces pro-GBAGBO, et plus particulièrement les Jeunes Miliciens et les mercenaires, ont brûlé vifs ou exécuté 80 civils d'origine ouest-africaine à Port-Bouët et Yopougon. Les 25 et 27 février 2011, les Jeunes Patriotes ont roué de coups, brûlé ou abattu plusieurs ICC-02/11-01/11 13/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 14/48 NM PT étrangers et des partisans présumés de OUATTARA à Yopougon, parfois en présence des forces de police. Les 28 février et 8 mars 2011, des éléments des FDS en patrouille à Yopougon et à Treichville ont tué plusieurs ressortissants ouest-africains. Le 1^"^ mars 2011, à Abidjan, une unité du CeCOS a brûlé vifs deux Nigériens en invoquant, ce faisant, un discours enflammé de BLÉ GOUDÉ tenu quelques jours auparavant. Les 4 et 8 mars 2011, environ 150 Jeunes Miliciens armés de machettes et de haches ont scandé « [TRADUCTION] tuer, brûler, tuer, brûler, vous devez tous partir » lorsqu'ils ont fait irruption et se sont livrés au pillage dans les étalages de nombreux marchands ouest-africains de Yopougon. Le 2 avril 2011, les jeunes miliciens ont tué trois ressortissants burkinabé à Port-Bouët. Le 10 avril, des miliciens ont tué un homme d'origine dioula à Yopougon parce qu'ils le prenaient pour un partisan de OUATTARA.

29. Après l'arrestation de GBAGBO le 11 avril 2011, les forces qui lui étaient fidèles ont continué de commettre des crimes dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique déclenchée par GBAGBO et son entourage immédiat contre une partie de la population civile et dans la poursuite de la Politique. Entre les 5 et 8 mai 2011, des mercenaires du Libéria à la solde de GBAGBO ont tué, alors qu'ils battaient en retraite le long de la côte, entre 120 et 220 civils pris pour des partisans de OUATTARA. 2. Caractère généralisé ou systématique des attaques

30. Les attaques étaient généralisées et systématiques. Elles étaient généralisées car : a) les attaques se sont étalées sur plus de cinq mois (du 28 novembre 2010 au 8 mai 2011) ; b) au cours de cette période, leur intensité et leur nombre étaient considérables ; c) elles ont fait un grand nombre de victimes (1 351 au moins) ; d) un grand nombre de faits se sont produits ; et e) les attaques se sont réparties sur l'ensemble du pays, y compris dans la région densément peuplée d'Abidjan et de nombreuses localités dans l'ouest de la Côte d'Ivoire (Bedi-Goazon, ICC-02/11-01/11 14/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 15/48 NM PT Bloléquin, Duékoué et Gagnoa), ainsi que dans les régions côtières du pays (département de Sassandra).

31. Les attaques étaient systématiques car : a) la Politique à l'origine de ces attaques a été adoptée au sommet de l'État ; b) la mise en oeuvre de cette politique a été coordonnée conjointement par GBAGBO et son entourage immédiat ; c) les forces officielles de l'État, en particulier les FDS, ont joué un rôle majeur dans la conduite des attaques et ont agi de concert avec des assaillants n'exerçant aucune fonction officielle (des mercenaires et les Jeunes Miliciens) ; d) le recours à la violence n'était pas fortuit et les victimes étaient visées car elles étaient considérées comme des partisans de OUATTARA ; e) les forces de l'ordre présentes sur les lieux n'intervenaient parfois pas pour protéger les victimes mais participaient au contraire à la commission des crimes ; et f) les faits particuliers qui se sont déroulés épousaient un modèle habituel étant donné que dans nombre d'attaques : les personnes prises pour cible étaient identifiées lors de contrôles d'identité à des barrages routiers illégaux, des attaques étaient lancées contre des quartiers ou des institutions religieuses généralement fréquentés par les partisans de OUATTARA, des armes lourdes étaient utilisées dans des quartiers densément peuplés pour disperser les manifestants acquis à la cause de OUATTARA. 3. Politique d'une organisation i) GBAGBO et son entourage immédiat constituaient une organisation

32. GBAGBO et son entourage immédiat, comprenant Simone GBABGO, Charles BLÉ GOUDÉ et les hauts dirigeants des forces pro-GBAGBO, constituaient une organisation au sens de l'article 7-2-a. Ils avaient les moyens d'accomplir des actes qui portaient atteinte aux valeurs humaines fondamentales et de mener des attaques généralisées ou systématiques contre la population civile : a) ils exerçaient conjointement un contrôle et une autorité de jure et de facto sur les ICC-02/11-01/11 15/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 16/48 NM PT forces pro-GBAGBO ; b) ils agissaient au travers de structures et d'institutions de l'État ainsi que d'organisations affiliées de fait à celui-ci; c) ils veillaient au financement de ces forces et leur fournissaient des armes ; et d) ils leur donnaient des instructions et étaient tenus informés par elles des événements sur le terrain. En outre, GBAGBO et son entourage immédiat ont planifié et mis en oeuvre les attaques lancées contre des civils et ont contrôlé, au travers des forces pro- GBAGBO, des parties du territoire ivoirien, dont la ville d'Abidjan, où ont été commis les crimes reprochés dans le présent document. ii) Politique consistant à lancer de violentes attaques contre la population civile afin de maintenir GBAGBO au pouvoir

33. GBAGBO et les membres de son entourage immédiat ont adopté la Politique consistant à lancer de violentes attaques contre son opposant politique, OUATTARA, les membres du cercle politique de ce dernier et les civils perçus comme ses partisans, afin de se maintenir au pouvoir par tous les moyens, y compris par le recours à la force létale. L'existence et la nature de la Politique peuvent se déduire des éléments ci-après.

34. Premièrement, entre le 28 novembre 2010 et le 8 mai 2011, les forces pro-GBAGBO ont lancé des attaques généralisées et systématiques contre des civils qu'elles prenaient pour des partisans de OUATTARA. Lesdites attaques visaient ces personnes et suivaient un modèle et un mode opératoire habituels. GBAGBO et les membres de son entourage immédiat se sont servis de leur position pour organiser, former, financer et armer les forces pro-GBAGBO placées sous leur autorité et leur contrôle.

35. Deuxièmement, GBAGBO a indiqué publiquement qu'il était disposé à recourir à la violence contre ses opposants politiques afin de rester au pouvoir. Avant la tenue de l'élection, il avait déclaré qu'il n'accepterait pas une défaite électorale. Il avait annoncé : « [TRADUCTION] Je ne serai pas battu. J'y suis, j'y reste. » Le slogan ICC-02/11-01/11 16/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 17/48 NM PT de sa campagne politique était « [on gagne ou on gagne » -ce qui signifiait que ses partisans n'accepteraient pas qu'un autre candidat soit élu à sa place.

Selon certains témoins, ce slogan électoral signifiait que GBAGBO et son entourage immédiat avaient l'intention d'utiliser tous les moyens qui seraient nécessaires pour se maintenir au pouvoir. Son camp avait également un autre slogan inventé par BLÉ GOUDÉ : « il n'y a rien en face. C'est maïs ». D'après un témoin, cela signifiait qu'il n'y avait pas d'autre candidat que GBAGBO aux présidentielles. Plusieurs mois avant l'élection, celui-ci a informé les officiers des FDS de la lutte à mener contre les « bandits », terme également employé par son entourage immédiat pour désigner OUATTARA et ses sympathisants. Toujours avant l'élection, il est allé à la rencontre des Jeunes Patriotes à Yopougon et les a incités à se battre pour protéger la nation et ne pas laisser le pays aux mains des ennemis.

36. Après l'élection, GBAGBO a continué de déclarer qu'il aurait recours à la violence pour se maintenir au pouvoir. Dans son discours du 21 décembre 2010 par lequel il s'adressait à la République, il a indiqué que la reconnaissance de la victoire de OUATTARA par la communauté internationale constituait une déclaration de guerre contre la Côte d' Ivoire. Le 31 décembre 2010, dans une interview télévisée, il a fait savoir que même s'il ne croyait pas que la crise déboucherait sur une guerre civile, les pressions constantes exercées par ses opposants politiques, y compris l'ONU, « [TRADUCTION] rendraient un affrontement plus probable ». Le même jour, il s'est adressé à la nation et a déclaré que, comme en 2002, il n'abandonnerait pas et resterait au pouvoir. Le 9 avril 2011, GBAGBO a ordonné aux forces qui lui étaient fidèles de poursuivre le combat contre « OUATTARA et ses terroristes ».

37. Les membres de l'entourage immédiat de GBAGBO se sont fait l'écho de ses déclarations et ont indiqué qu'ils auraient recours à tous les moyens nécessaires, y compris à la violence meurtrière, pour le maintenir au pouvoir. Le ICC-02/11-01/11 17/47 16 mai 2012 ICC-02/11-01/11-124-Anx1-Red 16-05-2012 18/48 NM PT 22 janvier 2011, MANGOU a déclaré devant des milliers de jeunes au quartier général des FDS à Abidjan : « S'il faut se battre jusqu'à ce qu'on perde notre vie, nous allons le faire. [...] Nous n'accepterons pas que quiconque vienne ici pour toucher à un seul cheveu du Président [GBAGBO] ». BLÉ GOUDÉ a incité les jeunes à plusieurs reprises à recourir à la violence contre les opposants politiques de GBAGBO.

En outre, le 26 mars 2011, un journaliste britannique a interviewé BLÉ GOUDÉ et lui a demandé s'il s'inquiétait du fait que ses rebelles armés pouvaient échapper à son contrôle. Ce dernier a répondu : « dans une révolution, il y a forcément des dommages collatéraux [...] nous devons nous battre pour notre liberté [...]». Aux alentours de la même période, Simone GBAGBO a communiqué son intention de se battre jusqu'au bout et de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires à cette fin. Elle a encouragé les autres membres de l'entourage immédiat de GBAGBO à « résister » afin de maintenir son mari au pouvoir.

En outre, lors d'un rassemblement ayant réuni 4 000 partisans de GBAGBO le 15 janvier 2011, alors que les violences politiques avaient déjà éclaté et que de nombreux crimes visant les partisans de OUATTARA avaient été commis par les forces pro-GBAGBO, Simone GBAGBO a déclaré : « Le temps des débats sur les élections de GBAGBO Laurent, des chefs bandits, ce temps-là est passé. [Nous devons] récupérer la totalité du territoire ivoirien [...]. C'est le travail bien sûr des [FDS], mais c'est aussi notre travail. Il faut les appuyer ». Les forces pro-GBAGBO, notamment les Jeunes Miliciens, adhéraient également à la Politique et ont exprimé leur détermination à la mettre en oeuvre par le recours à la violence (…).

COUR PENALE INTERNATIONALE/INTERNATIONAL CRIMINAL COURT