Affaire Laurent Gbagbo - Alain Cappeau, son Conseil spécial, met à NU le droit à la CPI: "Les lacunes du Droit de la Cour Pénale Internationale"

Alain Cappeau, Conseiller de Gbagbo, "Les lacunes du Droit de la Cour Pénale Internationale".

Le 20 juillet 2013.
Point de vue épistémologique de la notion de « délai raisonnable » dans le maintien en incarcération du Président Laurent Gbagbo.

La loi, « est fausse dès qu’elle ne tend qu’à punir : détestable dès qu’elle n’a pour objet que de perdre le criminel sans l’instruire, d’effrayer l’homme sans le rendre meilleur, et de commettre une infamie égale à celle de l’infracteur » (Aline et Valcour .Marquis de Sade, Bastille 1785-1788)

Tout droit, qu’il soit, objectif, subjectif, acquis, administratif, civil, commun, constitutionnel, pénal, prétorien ! Ou autre, doit faire l’objet de règles qui ne puissent laisser libre cours à aucune interprétation. Une règle étant une ligne de conduite, limitée dans toutes ses dimensions d’une manière explicite et irréversible.
Ces règles vont ensuite dans un puritanisme extrême impulser des modes de fonctionnements rigoureux qui éviteront les zones d’ombre et impasses dommageables pour tout justiciable, le cas échéant nous serions alors dans un déni de justice déguisé. Le déni de justice étant un délit pénal, le droit constitué s’obligerait alors habilement à ces zones d’ombres, à ces impasses, de telle sorte que des interprétations du droit, qu’on appellera intimes convictions, disent le droit, sans trébucher dans la notion de déni. Nous sommes là dans l’habileté sémantique de procédures imparfaites, mais que l’on ne peut accepter comme telles quand il s’agit, à l’extrême, de la considération de la vie d’un être humain.
A cet égard on peut se demander pourquoi le Président Laurent Gbagbo inculpé, mais présumé innocent reste toujours détenu dans le centre de détention de la Cour Pénale Internationale, alors que des règles devraient (ou doivent) exister pour ne pas maintenir ad vitam aeternan un présumé innocent en captivité. Il suffit de se référer à l’article 61/1 du statut de Rome, qui traite de confirmation des charges pour se rendre compte qu’il n’existe aucune exégèse qui régisse, précise, définisse, motive et balise la notion de « délai raisonnable » pour maintenir ou pas un présumé coupable en détention provisoire. Et c’est pourquoi Maître Altit dans sa demande d’autorisation d’appel du 25 juin 2013, pour contester la décision du 3 juin 2013 de la chambre préliminaire I, ajournant la décision de confirmation ou d’infirmation des charges à l’encontre du Président Laurent Gbagbo, ne peut rien faire d’autre que tourner autour de cette notion imparfaite de « délai raisonnable » en utilisant des substantifs ou encore des expressions supplétives qui la soulignent sans la récuser ou à minima la borner. Cette notion de « délai raisonnable » est un déni de justice par négligence volontaire, dans l’expression d’une formulation d’une idée, visant à s’en remettre uniquement au « bon sens » qui dispense de savoir, à l’intime conviction, cette conscience de l’esprit irréfutable ou encore à la partialité des magistrats qui auront à la considérer.
Et c’est bien là que le bât blesse dans l’affaire « le procureur/Laurent Gbagbo » ! En effet on peut toujours tourner et retourner le code de procédures dans tous les sens, dès lors qu’une notion n’est pas méthodiquement circonscrite, c’est la bouteille à l’encre, c’est l’hémorragie assurée de passe-droits et d’interprétations les plus farfelues, qui servent à entraver le plus souvent de manière dilatoire le déroulement d’une procédure. On pourrait si bien taxer les rédacteurs du traité de Rome d’infraction intentionnelle, tant l’absence de précisions de cette notion de « délai raisonnable » est intellectuellement choquante, au point même d’en être un aveu d’impuissance de ses rédacteurs à mettre en équation le comportement humain, voire une autorisation d’incompétence accordée, par anticipation aux magistrats qui auront en charge des dossiers aussi sensibles que celui du Président Laurent Gbagbo.
Ayant ainsi postulé, en filigrane de ce que ci-dessus exposé, qu’un « délai raisonnable » ne peut dépendre que d’un bon vouloir d’un magistrat, il eut été opportun de considérer, dans les textes, une formulation spécifique de « Pretium doloris » accordable au détenu présumé coupable, en fonction de la durée de sa détention provisoire. Mais non ! L’arbitraire masqué par toutes sortes d’euphémismes est inhérent à la justice quelle qu’elle soit. Quand la peine précède le jugement, ce qui est implicitement le cas lorsqu’une règle volontairement absconse favorise l’accusation, nous sommes dans le droit de justice instantanée tel qu’il fut appliqué dans le passé, lors de crime de lèse-majesté. A ce demander si la lettre de cachet qui fut dans ce passé l’expression du droit de justice du roi, destinée à retenir un prisonnier indéfiniment sans jugement, ne serait pas aujourd’hui remplacée, avec les mêmes effets et conséquences, par une résolution « sous scellés » du conseil de sécurité des Nations Unies qui instruirait une cour supposée « souveraine » ! Tout est plus qu’envisageable.
La violation de la notion de « délai raisonnable » par l’absence de qualificatifs supérieurs se double d’un insoutenable sentiment de totale injustice lorsqu’au bénéfice du doute, in dubio pro reo, la cour ne daigne même pas faire bénéficier l’accusé d’une évidence jurisprudentielle, si bien que le 3 juin 2013 la décision de la chambre préliminaire va privilégier sans fard l’ajournement de la décision à la relaxe au bénéfice du doute ! Ainsi en va-t-il de la justice internationale qui croit s’exonérer de ce que Cesare Beccaria cet éminent juriste, économiste, homme de lettres, auteur du Traité des délits et des peines, qui se méfiait à juste titre des juges professionnels, sous-entendait, quand il disait que, « l’ignorance qui juge selon ses sentiments est plus sûre que la science qui juge selon son opinion ». D’aucuns, du côté de la doctrine pénaliste officielle traiteront ultérieurement ce traité de subversif, tout en le considérant et s’en inspirant en catimini.
Donc, à quel moment peut-on parler de détention (provisoire ou préventive) abusive ! Rien, ni personne ne le dit dans les actes posés ici et là, comme rien ni personne n’évoque une demande de recours qui serait portée devant une commission ad hoc pour mettre un terme à une incarcération politique, injuste, injustifiée et totalement arbitraire et unilatérale, car ne se fondant sur aucune règle de droit édictée par des autorités exécutives compétentes. Le droit criminel structuré, dans les statuts de Rome définitivement trop génériques, et irresponsables dans nombres de leurs formulations, doit urgemment se réformer en faisant un sévère examen de conscience, car nul ne peut se considérer comme dépositaire d’une orthodoxie juridique, quand bien même des pouvoirs et prérogatives auraient été obtenus d’une autorité supérieure qui elle-même suppose une autorité suprême. La chambre préliminaire I, en demandant l’ajournement de la procédure de confirmation ou d’infirmation des charges, le 3 juin 2013, s’est, d’une certaine manière mise « hors la loi », hors la loi des hommes, en interprétant avec légèreté une jurisprudence et en transsubstantiant manu militari l’inertie en peine, Laurent Gbagbo étant de par son incarcération déjà, de fait inculpé.
Il est bien évident que plus le temps de détention dure plus difficile sera l’obtention d’une relaxe, car si relaxe il y avait, la justice internationale devrait réparer un préjudice, à la hauteur de sa gravité.
Nul n’est censé ignorer la loi dit l’adage, mais lorsque la loi est inexistante, lorsqu’elle est, à dessein, passée sous l’étouffoir, ou lorsqu’elle est tout simplement inquisitoire, quand elle se dérègle, alors que dire, que faire ! Que faire quand le rôle de l’accusateur public (comme on l’appelait dans le tribunal révolutionnaire de 1793, précisément nommé, « établissement d’un tribunal criminel extraordinaire, pour juger sans appel et sans recours au tribunal de cassation, les conspirateurs et les contre-révolutionnaires ! Et qu’on appellera plus tard magistrat de sûreté, avant de devenir le procureur), est de créer les conditions pour faire tomber des têtes ciblées en fonction de lois d’exceptions, de création de preuves ! Rappelons-nous simplement le sort que fut réservé à Fouquier-Tinville, l’accusateur public, puissant agent de la vindicte publique, dont le crime avait été « d’être l’organe de lois trop sévères (ou inexistantes), et dont il n’était pas en son pouvoir d’empêcher l’exécution », après avoir fait, avec jubilation, régner la terreur au travers d’une violence nécessaire, au travers d’une forme « d’exorcisme du sang », il fut condamné à mort et guillotiné, pour excès de zèle et confusions de personnes ! Si tout ça n’est pas de l’arbitraire, alors on se demande bien ce qu’est la justice ! Bref, heureusement tout ça c’était hier.
Que ne trouve-t-on de machiavélique aujourd’hui dans l’attachement au droit et à la justice de notre cour internationale de justice, là où la politique et une certaine forme de morale priment manifestement le droit, là où l’on juge le crime inventé plus que le criminel supposé, le machiavélisme étant somme toute une apologie primaire de l’immoralité. Tout se passe comme si Laurent Gbagbo devait être effacé de la mémoire des hommes, à n’importe quel prix, dans un système judiciaire tellement alambiqué que chacun y perd son latin, pour mieux « réduire la peine de mort à la simple privation de vie » ! Nous sommes entrés de plein pieds dans un droit réactionnaire qui ne dit pas son nom, un droit de l’obscurité, un droit qui en filigrane accuserait plus Laurent Gbagbo d’atteinte à la sureté de l’Etat ivoirien plutôt que d’être supposé co-auteur de crimes contre l’humanité. Et si la Cour pénale internationale s’était travestie en cour martiale, sans son côté expéditif, pour juger un homme pour raison d’Etat !
La robe ne faisant plus illusion, il est grand temps de réformer en urgence le droit international qui aurait tendance dans ses dérives à répétition, à instituer plus une justice de vengeance qu’une justice universelle, plus une justice de couleur qu’un justice de cœur, sous-tendant l’assertion Aristotélicienne qui était de dire que la servitude naturelle serait bonne pour certains peuples… et moins bonne pour d’autres !

Alain CAPPEAU. Conseiller Spécial du Président Laurent Gbagbo.