5e JOUR D’AUDIENCE DE GBAGBO A LA CPI : Me ALTIT DÉMONTE LES CHARGES DE BENSOUDA

Le 26 février 2013 par L'INTER - FATOU BENSOUDA HUMILIÉE.

L'équipe de l'avocat de l'ancien président ivoirien, Me Emmanuel Altit, a entamé, hier lundi 25 février 2013, sa phase de démontage du Document de confirmation des charges (DCC) contre Laurent Gbagbo, présenté par l’Accusation à la barre de la Cour pénale internationale.
Deux interventions ont émaillé la journée d'hier, à savoir celle de Me Jennifer Naouri, qui a bouclé sa longue plaidoirie entamée le vendredi dernier, suivie de Me Ivanovic. Il s'est agi pour les avocats de la Défense, de faire une reconstitution des faits, depuis la crise de 2002 jusqu'à la fin de la crise postélectorale en 2011. Un rappel des différentes péripéties et tumultes qu’a traversés la Côte d’Ivoire, et qui selon leurs démonstrations, étale les insuffisances dudit DCC au cœur des débats actuels.
Ainsi, partant de ce qui est écrit dans le DCC sur la volonté de Laurent Gbagbo de se maintenir au pouvoir, la Défense a rétorqué ceci : « Le président Gbagbo n'était pas déterminé à se maintenir au pouvoir. Il était déterminé à respecter le verdict des élections. Pourquoi aurait-il ordonné aux Forces de défense et de sécurité (FDS) de s'attaquer à des civils alors que le Conseil constitutionnel venait de le proclamer président élu ? Son engagement pour la démocratie, c'est l'engagement de toute une vie. Et c'est le refus du dialogue et la volonté des rebelles de recourir au pouvoir qui a déclenché la crise postélectorale qu'a connue la Côte d'Ivoire. En réalité, les FDS ont été attaquées », a indiqué Me Naouri. Elle est revenue, avec vidéos et photos à l'appui, sur les crimes qu'auraient commis les forces proches d'Alassane Ouattara dans le District d'Abidjan, à Duékoué à l’ouest, à Alépé et dans plusieurs localités du pays, avant et pendant la crise postélectorale.
A l'entendre, en ne faisant pas cas de la spécificité des Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), de l'offensive qu'elles ont lancée sur Abidjan, en mars 2011, le Procureur de la CPI « n'a pas tiré les conséquences » de cette crise, et s'est gardé « de rentrer dans les détails ». «Il y aura rapidement 850 soldats rebelles à l'hôtel du Golf, qui devient une base militaire d'où d'ailleurs, seront lancées des attaques. Par exemple, le 16 décembre 2010 contre la RTI», a-t-elle indiqué. Elle a accusé les FRCI, dont Amadé Ouérimi et les dozos, d'avoir commis des crimes rituels, d'avoir été pour certains, de connivence avec Charles Taylor pendant la guerre au Liberia et en Sierra Leone. «Ce sont ces forces qui descendaient en février-mars 2011 sur Abidjan et qui attaquaient les FDS. La responsabilité de la crise incombe aux rebelles», a soutenu Me Naouri, ajoutant que les ex-rebelles prenaient leurs consignes auprès de l'ONUCI et de la force Licorne. Elle a tenté d'expliquer que c'est plutôt les ex-rebelles, qu'elle présente comme «les fidèles d'Alassane Ouattara», qui ont préparé son accession au pouvoir, depuis le coup d'État de 1999.
Ainsi, pour elle, ils n'étaient pas que de «simples combattants» mais bien «un groupe armé bien organisé» qui visait un objectif précis, celui de «renverser le pouvoir en place» dirigé par Laurent Gbagbo. «Ignorer qu'il s'agit de combattants qui s'affrontent, ignorer qu'il y a des hommes en armes qui s'opposent, c'est dénaturer les faits, c'est dénaturer le conflit, c'est dénaturer le récit et c'est surtout dénaturer l'histoire d'un pays. Le Procureur, en refusant de rentrer dans le détail de la qualification du conflit, en refusant d'inscrire les faits dans leur contexte, dénature le récit des événements qu'il expose lui-même devant cette cour. Il refuse d'identifier les protagonistes du conflit armé. Pis, il ne s'intéresse qu'à une seule partie. Aujourd'hui, nous sommes en février 2013, dix ans après, pour maintenir contre toute évidence sa ligne de conduite, le Procureur fait comme s'il ne s'était rien passé depuis lors. Pour cela, il a fait abstraction des éléments de preuve à la disposition des parties. Mais les faits sont têtus et la construction a posteriori du Procureur apparaît en pleine lumière», a présenté Me Jennifer Naouri, qui invite la cour à bien noter que les Forces républicaines de Côte d’Ivoire, qui ont installé Alassane Ouattara au pouvoir, ne sont rien d’autre que les ex-Forces armées des forces nouvelles, les ex-rebelles, rebaptisés comme tel. Ce qui l’amène à tirer la conclusion que le coup d’Etat de décembre 1999 et la rébellion de 2002 ont connu leur aboutissement le 11 avril 2011, par l’arrivée d’Alassane Ouattara au pouvoir.

Le brouillon du Procureur

La deuxième avocate qui intervenait dans cette phase de démontage des charges de l'Accusation, Me Ivanovic, n'y est pas allée non plus de main-morte. Elle a qualifié le Document contenant les charges du procureur, de « brouillon ». Ce qui a provoqué une réaction vigoureuse du Procureur McDonald, piqué au vif par ces propos. La Défense a estimé, en effet, que ce document était « flou, imprécis et ambigu», présentant des « accusations abusives et infondées ».
Pour elle, le Procureur n'aurait apporté aucun élément probant pour soutenir ses allégations. Aussi s'est-elle attardée sur une «jurisprudence constante» à la CPI dans les affaires Lubanga, Katanga, Abou Garda, ainsi que dans les affaires du Kenya. «Les preuves données par le Procureur, à ce stade des procédures, devaient donner des motifs substantiels de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés. Afin de parvenir à une décision à sa thèse, le Procureur devrait donc fournir les preuves concrètes et tangibles montrant une direction claire dans le raisonnement supportant ses allégations spécifiques. (...). Ces allégations sont vagues, imprécises, brumeuses et surtout politiques. Elles le sont, parce que ne s'appuyant sur aucune réalité», a martelé Me Ivanovic.
Selon elle, il s'agit pour la Défense de démontrer qu'il y a eu un conflit armé en Côte d'Ivoire entre le 28 novembre 2010 et le 8 mai 2011. Pour l'équipe de Me Altit, les allégations du Procureur indiquant que l'ex-président ivoirien aurait conçu une politique pour se maintenir au pouvoir, « dans une période allant de la période antérieure à novembre 2010 à son arrestation le 11 avril 2011 », ne sont pas fondées. «Déjà en soi, cette allégation n'est pas compatible avec une procédure pénale équitable, car nous ne savons pas précisément à quelle période le Procureur se réfère. En effet, la période antérieure à novembre 2010 ne veut rien dire. Cela pouvait commencer à n'importe quelle date. Est-ce en 2000, 2002, 2005, 2009 ou 2010 ? Impossible de savoir », poursuit-elle dans sa présentation portant dans un premier temps sur la temporalité dans les faits relevés par le DCC. Ainsi, pour Me Ivanovic, en utilisant souvent le terme «quelque temps» dans le DCC, le Procureur se serait rendu coupable de légèreté car, indique-t-elle, ce «n'est pas une période suffisamment définie pour les besoins d'un procès pénal».
Le Procureur aurait donc dû, à l'en croire, relater les faits depuis les dix années de crise armée qui «ont été la cause directe des événements incriminés». «En ne choisissant que de s'attaquer au président Gbagbo, le Procureur a dû occulter des causes et des effets. Mais se faisant, il a protégé ceux qui sont à l'origine des troubles. Les victimes ne sont pas identifiées. Les auteurs ne sont pas identifiés. Le président Gbagbo est mis en cause en tant que co-auteur indirect. Il devrait donc y avoir des auteurs directs, ceux qui auraient commis ces actes incriminés », a asséné la Défense de Laurent Gbagbo sur l’absence de précision dans les arguments de l’Accusation.
Elle poursuit plus loin son raisonnement en attaquant le Procureur sur les notions juridiques qu'il a utilisées. Aussi, tout en relevant des «contradictions» dans l'argumentaire du Parquet de la CPI, la Défense note un «manque de rigueur» et invite la Cour à en prendre acte. «Nous nous demandons si le document qui nous a été transmis le 17 janvier 2013 est réellement un document contenant les charges ou un brouillon, un mémorandum interne sur lequel le Procureur veut encore travailler afin de décider quel mode de responsabilité il allait choisir», a craché Me Ivanovic. Piqué au vif, le Procureur McDonald n’ pas voulu laisser passer cette bourde du camp adverse. Il a réagi spontanément en interpellant la Défense et la Cour en ces termes. «Je m'excuse d'intervenir, mais je reprends ce que Me Altit a mentionné à la première audience, qu'il ne faut pas personnaliser le débat. Mais écoutez, on fait tous un travail ici, nous sommes tous professionnels et il est certain que le DCC de l'accusation n'est pas un brouillon. Je crois qu'il y a des arguments plus forts qu'on peut utiliser, mais si on veut descendre à une bataille de ruelle, je pense qu'on perd le temps de la Chambre et celui de la Cour. Je vous remercie», a-t-il répliqué. Il a fallu l'intervention de Me Emmanuel Altit pour mettre fin à ce qui courait vers une dispute lorsque sa collaboratrice a tenté de renchérir.
Reprenant la parole, Me Ivanovic a relevé que c'est «le caractère équitable du procès qui est mis en cause». Aussi, la notion de persécution utilisée par le Procureur, pour des motifs d'ordre national, politique, ethnique et religieux, ne pouvait être soutenue, selon l'avocate de Gbagbo, par «aucun élément probant ». Elle en évoque l’article 25, 3.d des Statuts de Rome pour soutenir son argumentaire à ce sujet. «La persécution ne devrait s'apprécier que sur l'angle des motifs politiques. Bien entendu, nous contestons l'existence de la persécution dans sa totalité y compris la persécution liée à des motifs politiques. Il n'a ajouté ces motifs pseudo-nationaux et religieux que pour masquer ses accusations politiques», a dit la Défense, qui souligne que les victimes de la crise étaient de tous ordres, et non d’un groupe quelconque stigmatisé.
Estimant que le manque de rigueur du DCC devrait justifier son rejet par la Cour des charges contre Laurent Gbagbo, Me Ivanovic avance l'argument d’un défaut d'enquête, constituant une légèreté de la part de l’Accusation. Pour Me Altit, l'Accusation a violé l'article 54 du statut de la CPI parce qu'elle n'aurait pas étendu son enquête «à tous les faits et éléments de preuves qui peuvent être utiles pour déterminer s'il y a une responsabilité pénale de Laurent Gbagbo, au regard du Statut. Et il devrait enquêter tant à charge qu'à décharge. Le Procureur a failli à son devoir d'enquêter tant à charge qu'à décharge». Ce mardi, la Défense va poursuivre sa démonstration, en attendant, demain mercredi, l’entrée en scène de Laurent Gbagbo, le mise en cause, à la barre.

Hervé KPODION