Tchad : au moins cinquante morts lors de heurts entre policiers et manifestants

Par Le Monde et AFP - Tchad. Au moins cinquante morts lors de heurts entre policiers et manifestants.

Le président tchadien, Mahamat Idriss Déby, à N’Djamena, le 8 octobre 2022. Le président tchadien, Mahamat Idriss Déby, à N’Djamena, le 8 octobre 2022. DENIS SASSOU GUEIPEUR / AFP.

Ces affrontements se déroulent après la prolongation pour deux ans de la « transition » dirigée par le président, Mahamat Idriss Déby, porté au pouvoir par un coup d’Etat. Un couvre-feu a été instauré.

Le Monde avec AFP

Au Tchad, de violents heurts entre policiers et manifestants ont fait, jeudi 20 octobre, « une cinquantaine de morts » et « plus de trois cents blessés » à travers le pays, « surtout à N’Djamena, Moundou et Koumra », a déclaré le premier ministre, Saleh Kebzaboh. Les manifestants protestaient contre la prolongation de la transition de deux ans et le maintien au pouvoir de Mahamat Idriss Déby, arrivé à la tête du pays par un coup d’Etat militaire il y a dix-huit mois.

Le 20 avril 2021, à l’annonce de la mort du maréchal et chef de l’Etat Idriss Déby Itno, tué par des rebelles sur le front, l’armée avait proclamé son fils, Mahamat Déby, général alors âgé de 37 ans, président de la République à la tête d’une junte de quinze généraux pour une période de transition de dix-huit mois devant mener à des élections.
Saleh Kebzaboh a annoncé la « suspension de toute activité » d’importants groupes d’opposition et un couvre-feu de « 18 heures à 6 heures », qui durera jusqu’au « rétablissement total de l’ordre ». Le premier ministre a en outre prévenu que le gouvernement « fera régner l’ordre sur l’ensemble du territoire et ne tolérera plus aucune dérive d’où qu’elles viennent ».

Condamnations internationales
Les Nations unies ont déploré « le recours à la force meurtrière contre les manifestants » et demandé une enquête. « Les autorités de transition doivent garantir la sécurité et la protection des droits de l’homme, y compris la liberté d’expression et de réunion pacifique », a souligné sur Twitter le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU.
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a de son côté « fermement » condamné « la répression des manifestations et l’usage excessif de la force » dans un communiqué. L’Union européenne déplore de « graves atteintes aux libertés d’expression et de manifestation qui fragilisent le processus de transition en cours ». Condamnant elle aussi la répression, l’Union africaine (UA) a appelé « au respect des vies humaines et des biens ».
Allié-clé de N’Djamena, la France a également « condamné » les « violences et l’utilisation d’armes létales contre les manifestants », dans un communiqué du ministère des affaires étrangères. Le quai d’Orsay a par ailleurs précisé que la France « ne joue aucun rôle dans ces événements, qui relèvent strictement de la politique intérieure du Tchad. Les fausses informations sur une prétendue implication de la France n’ont aucun fondement ».

Ces affrontements se déroulent après la prolongation pour deux ans de la « transition » au Tchad, qui devait s’achever jeudi. Mais fin septembre, Mahamat Idriss Déby a finalement été maintenu président jusqu’à des élections libres et démocratiques censées se tenir à l’issue d’une deuxième période de transition et auxquelles M. Déby pourra se présenter.

Les partis d’opposition suspendus
Des appels à manifester avaient été lancés depuis le début de la semaine, notamment par la plateforme d’opposition Wakit Tamma et le parti Les Transformateurs, dirigé par Succès Masra, l’un des principaux opposants politiques à M. Déby.
Ces deux partis avaient boycotté le Dialogue national de réconciliation (DNIS) qui avait prolongé la transition et entériné la possibilité pour Mahamat Idriss Déby Itno de se présenter aux élections.
Les manifestations avaient été interdites par les autorités. « Les manifestants ont attaqué des édifices publics, le gouvernorat, le siège du parti du premier ministre, celui du président de l’Assemblée nationale », a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) à la mi-journée le porte-parole du gouvernement tchadien, Aziz Mahamat Saleh.

A la suite des manifestations, le premier ministre a annoncé la suspension de « toute activité publique des partis politiques et organisations de la société civile », dont celles des partis des Transformateurs, du Parti socialiste sans frontière et de Wakit Tamma, collectif de partis d’oppositions et d’associations de la société civile. Ces organisations sont suspendues pour trois mois précisent deux arrêtés. Contactés par l’AFP, les leaders des partis politiques « suspendus » n’avaient pas réagi dans l’immédiat.
Un journaliste tué
A N’Djamena, des tirs de gaz lacrymogène se sont fait régulièrement entendre jeudi matin, tandis que des barricades ont été dressées dans plusieurs quartiers de la ville et que des pneus ont été brûlés sur les principaux axes routiers afin d’obstruer la circulation.
« Ils nous tirent dessus. Ils tuent notre peuple », a tweeté l’opposant Succès Masra, du parti Les Transformateurs, qui avait lancé mercredi un appel à manifester pacifiquement.
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La Croix-Rouge du Tchad a annoncé avoir déployé « une dizaine d’équipes » dans les arrondissements sous tension de la capitale. « Nous prodiguons les premiers soins et nous acheminons des dizaines de blessés en véhicule jusqu’aux hôpitaux », a déclaré à l’AFP son président, Khalla Ahmat Senoussi.
Le président de l’Union des journalistes du Tchad, Abbas Mahmoud Tahir, a réclamé une « enquête pour établir les responsabilités » concernant la mort d’un jeune journaliste, Narcisse Oredje, dont le décès a été confirmé à l’AFP par un membre de sa famille. Le jeune homme a été touché par une « balle perdue » à l’abdomen dans la cour de son domicile à N’Djamena, alors qu’il n’était pas dans l’exercice de ses fonctions, a-t-on précisé de même source.

A Moundou, deuxième ville du pays à quelque 500 kilomètres au sud de la capitale, les manifestations « très violentes » ont commencé « dès 5 heures du matin », a assuré à l’AFP un haut responsable administratif sous couvert d’anonymat, qui dit avoir enregistré « d’importants dégâts matériels ».
Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, a demandé une « enquête impartiale » après ces événements afin de « déterminer les responsabilités et garantir que la force ne soit utilisée qu’en dernier recours ».
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