Retour de Lula au pouvoir: Quand le Brésil donne des leçons de bonne gouvernance à l’Afrique, Par Félix Tano

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions- Retour de Lula au pouvoir:. Quand le Brésil donne des leçons de bonne gouvernance à l’Afrique, Par Félix Tano.

Le Brésil vient, de porter au pouvoir Luiz Inácio Lula da Silva, encore une fois, après deux mandats (2003-2010).   C’est un évènement qu’il faut saluer, surtout en Afrique, du fait des leçons que le continent peut en tirer dans le domaine de la gouvernance publique. 

Le président élu, qui sera investi le 1er janvier 2023, avait été condamné en 2017 à 12 ans d'incarcération pour blanchiment d’argent et corruption passive. Le jugement confirmé en appel en 2018, il purgeait sa peine dans une cellule de 12 m². Et du fait de la loi Ficha Limpa (casier judiciaire vierge), qui prévoit que toute personne dont la condamnation a été confirmée en appel, n’est pas éligible, le président Jair Bolsonaro et les observateurs voyaient Lula « grillé » définitivement pour la présidentielle. 
Mais, voilà que la Cour suprême brésilienne a confirmé l’annulation des sanctions qui frappaient l’ex-président qui avait été décidée par un autre juge.  Celui-ci avait fondé sa décision sur le fait que le tribunal de Curitiba (Sud) qui avait prononcé la sentence contre Lula n’était « pas compétent ». Le magistrat Sergio Moro, qui l'avait condamné en première instance et qui avait, par la suite, été promu ministre de la justice, a été jugé « partial » par la Cour suprême. D’ailleurs, par la suite, il démissionnera du gouvernement « avec fracas ».

Au Brésil, Etat de droit et transparence des élections
En restituant ses droits civiques à Lula pour lui permettre d’être candidat dans le déroulement normal de la procédure judiciaire, le Brésil se présente au monde comme un Etat dans lequel la justice trouve en son sein, les ressources nécessaires pour réparer les torts. C’est la raison d’être de la justice. L’instrumentalisation de la justice a fonctionné un temps et à deux stades de la procédure judiciaire, mais, n’a pu embrayer sur tout le système judiciaire.

Le tribunal suprême fédéral, placé au sommet de la hiérarchie judiciaire, a, dans son rôle de dernier recours, mis fin aux errements des premiers juges et reconnu les droits de Lula, qui avait d’ailleurs toujours clamé son innocence, en déclarant que : "L'histoire prouvera que c'est le juge et le ministère public qui ont menti". C’est ainsi que fonctionne une justice indépendante dans un Etat de droit.

A l’occasion de cette élection, le peuple brésilien a aussi tranché, à sa manière, la question de l’âge des candidats, en préférant un « vieillard » de 76 ans à un « jeune » de 67 ans. Dans un régime démocratique, c’est le peuple qui devrait avoir le dernier mot. A défaut d’un référendum sur la question, l’élection est donc un moment opportun pour permettre au peuple se prononcer. 
Il faut par ailleurs indiquer que, si le président Lula a eu les faveurs des suffrages, c’est parce que les conditions de déroulement de l’élection rendaient possibles la victoire d’un opposant face au président sortant.

Depuis plus d’un quart de siècle déjà, le Brésil pratique le vote électronique. L’identification des électeurs se fait biométriquement, et la machine à voter qui est placée dans l’isoloir est branchée à l’électricité et non à un réseau internet. Ce système a montré sa fiabilité. Tant et si bien que les tentatives de fraude du président sortant ne pouvaient pas prospérer. Elles n’ont pas pu empêcher la victoire inévitable de Lula que les sondages avaient prédit dès le premier tour. Et quelques heures seulement après la clôture du scrutin, le tribunal spécial électoral proclamait les résultats d’un scrutin qui engageait 156 millions d’électeurs. 

Le retour de Lula est plein d’enseignements pour les régimes politiques africains qui ont du mal à consolider l’Etat de droit et à organiser des élections transparentes. 

L’instrumentalisation des institutions en Afrique 

Pour un homme politique, ce retour signifie que tout est encore possible tant qu’il n’a pas volontairement mis fin à sa carrière politique. Celle-ci ne peut être décrétée et décidée d’autorité par un démiurge, surtout pas son adversaire politique, en invoquant l’âge, et en déniant ses droits civiques par l’instrumentalisation des organes de l’Etat.

C’est un truisme de dire que dans les pays africains les institutions ne jouent pas vraiment leur rôle. Et la Côte d’Ivoire en est une bonne illustration en Afrique. La justice est souvent utilisée pour servir des causes précises, notamment pour éliminer un adversaire politique redoutable. 
Ainsi, dès qu’il est apparu clairement que le président Laurent Gbagbo pouvait être libéré par la Cour pénale internationale, un procès inéquitable a été orchestré, manifestement pour l’empêcher de participer à la présidentielle. Jugé pour un crime qu’il n’a jamais commis, devant une juridiction incompétente, à des audiences auxquelles il n’a jamais été dûment convoqué et au cours desquelles il n’a jamais été entendu, il a été condamné à vingt ans de prison. 

Mais, l’instrumentalisation de la justice n’est pas seule en cause. Le pouvoir législatif peut être aussi utilisé pour adopter des lois scélérates en vue d’empêcher certaines candidatures. Longtemps considérés comme des chambres d’enregistrement du fait de leur soumission au pouvoir exécutif qu’ils ont pourtant pour mission de contrôler, les parlements sont toujours à la manœuvre, même dans cette phase dite de démocratisation. Ils peuvent produire des majorités mécaniques, grâce à des découpages électoraux très complaisants, pour manipuler la Constitution à des fins de troisième mandat ou changer les conditions d’éligibilité à la présidence.

Les modifications constitutionnelles oscillant entre un plafonnement et un déplafonnement de l’âge de candidature à la présidentielle illustrent ces pratiques, même si leur pertinence est difficilement perceptible.
En effet, un peu partout dans le monde, les électeurs choisissent des personnalités de tout âge pour présider aux destinées de leur pays, en considération des offres politiques qui leur sont faites, sans que l’on puisse affirmer qu’il y a une option résolue pour une catégorie d’âge donnée. En 1961 Kennedy avait 44 ans quand il accédait à la magistrature suprême aux États-Unis contre Richard Nixon qui en avait 48. En 2020, les électeurs de ce pays ont choisi Joe Biden, un « vieillard » de 78 ans, contre un autre de 81 ans, Donald Trump. Peut-on, sur cette base, affirmer qu’il y a, dans ce pays, désormais un renouvellement de l’élite politique au bénéfice d’un vieillissement ? 

En Côte d’Ivoire, alors que la Constitution de 2000 prévoyait une limitation d’âge (75), une nouvelle constitution votée en 2016 l’a fait sauter. Mais, il est de plus en plus question d’un autre changement pour imposer un nouveau plafond.

La raison avancée est de faire la place à une nouvelle génération. En réalité, l’objectif inavoué est d’empêcher la candidature du président de Laurent Gbagbo.
Mais, en quoi la question du renouvellement de l’élite politique, de son rajeunissement est-elle une exigence ? Surtout en Côte d’Ivoire ou l’âge plancher est à 35 ans, qu’est ce qui empêche un jeune de solliciter les suffrages de ses concitoyens ? Qui est ce démiurge qui devrait décider de l’âge parfait pour se présenter à une élection ?

En tout état de cause, même lorsque les conditions d’éligibilité sont suffisamment souples pour permettre la candidature de tous les ténors de la vie politique, il restera un autre saut d’obstacle, la transparence des élections avec en ligne de mire, l’indépendance de l’organe régulateur.
En Côte d’Ivoire, en dépit des multiples dialogues pouvoir-opposition, la question de la transparence des élections demeure non résolue sur des questions cruciales : découpage électoral, liste électorale consensuelle, indépendance de la structure en charge de l’organisation de l’élection, etc.

Il convient de rappeler à cet effet que, saisie par l’APDH (Action pour la Promotion des Droits de l’Homme), une ONG ivoirienne, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) a relevé que : « L’État de Côte d’Ivoire a violé son obligation de créer un organe indépendant et impartial conformément à l’article 17 de la Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance et l’article 3 du Protocole de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance » (Arrêt du 18 novembre 2016). En conséquence, la juridiction africaine intimait l’ordre à la Côte d’Ivoire de modifier la loi relative à la CEI. Mais, jusqu’à ce jour, en dépit des modifications intervenues, la Commission électorale, supposée indépendante, demeure encore sous influence du pouvoir. A l’occasion d’une énième modification, le groupe parlementaire PPA-CI faisait l’amer constat que « 16 membres de la CEI sur 18 … émanent du Parti au pouvoir ou lui sont redevables de leur présence au sein de la CEI ». 

Comme conséquence de ce déséquilibre, Dia Houphouët, un député de l’opposition (PDCI-RDA) déclarait que, lors des dernières législatives, après la victoire de sa liste dans sa circonscription électorale avec 4500 voix d’écart, la CEI centrale a réduit cet écart à 300 voix. 
Assurément, la manipulation des institutions impliquées dans le processus électoral, quelles que soient leur nature et leur place dans l’Etat, est l’un des défis à relever pour que certains pays africains puissent organiser des élections transparentes et impartiales, à l’instar du Brésil, et revendiquent la qualité d’Etat de droit.

Félix TANO
Maitre de conférences
Université de Bouaké (Côte d’Ivoire)