INTERVIEW EXCLUSIVE RAPHAËL DOGO: «MES ANNÉES DE PRISON, DE LA DST À LA MACA»

Par Aujourd'hui - INTERVIEW EXCLUSIVE RAPHAËL DOGO: «MES ANNÉES DE PRISON, DE LA DST À LA MACA».

Le Ministre Dogo Raphaël.

Dans son bureau du siège de l’association des handicapés de Côte d’Ivoire du Plateau, le ministre Dogo entretient la bonne humeur autour de lui et nous reçoit d’une manière à la fois simple et remarquée.

Il nous présente quelques collaborateurs qui ont gardé la maison à son absence et, entre de grands rires, évoque ses préoccupations de l’heure. Se trouver un moyen de locomotion et un toit n’est pas toujours facile lorsqu’on n’a plus de revenus et que le compte dégelé, n’a pas la moindre provision. « Ils ont dit qu’il n’y avait que des chèques, revenus impayés ». « Des chèques émis par l’état », coupe le ministre entre deux hochements d’épaule. De toute façon, lorsqu’on s’est fait enlever deux fois pour se retrouver dans deux différentes prisons du pays, l’air de la liberté est déjà le meilleur gain à engranger. Et le ministre Dogo ne s’y trompe pas. Ses enfants le croyaient en mission. En fait c’est le mensonge qu’il a fallu inventer pour ne pas traumatiser les petits. Exorciser la réalité par le mensonge, cela s’appelle un déni mais pour le ministre Dogo et ses enfants, il a fallu cela pour continuer à croire que malgré tout, la vie mérite toujours d’être vécue. Et rien que pour la vie, Raphaël Dogo a décidé de pardonner à ses bourreaux et de ne jamais renoncer

à défendre la cause des handicapés de Côte d’Ivoire.

Fier qu’il est d’être un pro-Gbagbo.

Comment vous sentez-vous une semaine presque après votre libération?

Je me sens bien. Je suis heureux de revoir ma petite famille. Il faut dire que j’ai des enfants en bas âge. Ils ne m’avaient pas vu depuis un an alors qu’ils ne savaient pas que j’étais en

prison. Ils me croyaient en mission. et donc ce fut un grand bonheur pour tout le monde, la joie de retrouver les parents mais surtout de se sentir libre, faire ce qu’on veut, aller où on veut…

Lorsqu’on été comme vous jeté en prison de manière injuste, est-ce qu’on ressort de la Maca amer ?

Je ne vais pas être amer parce que je suis chrétien. et la bible dit que la vengeance appartient à Dieu tout comme la rétribution. Je ne suis donc pas amer. Je suis même zen. Pas de rancune. Je regrette seulement que j’aie fait la prison sans qu’il ne soit tenu compte de ma situation de personne handicapée. Pour le reste, nous sommes des hommes et tout ce qui nous arrive doit être accepté. Quant à ceux qui ont été à la base de mes incarcérations, je les laisse à leur conscience. Le plus important c’est d’être en vie ; car tant qu’il y a la vie il y a de l’espoir. Je suis donc en vie et c’est l’essentiel.

Quand on regarde la justice varier les inculpations, passer de l’atteinte à la sûreté de l’état à la non dénonciation de supposés putschistes, n’éprouve-t-on pas de la colère envers ceux qui ont fait cela?

Effectivement tout est fait comme si quelqu’un avait intérêt à ce que je sois en prison ; qu’il voulait coûte que coûte que je sois condamné. D’abord je fus accusé d’atteinte à la sûreté de

l’état, constitution de bandes armées, complicité de meurtres ; on m’a même accusé d’avoir planifié l’enlèvement des enfants de l’eMPT de Bingerville pour demander des rançons

comme Boko Haram. Donc on m’a assimilé à un terroriste…

Bref, comme l’a dit mon avocat, c’étaient des affabulations.

Mais au terme de l’instruction, ils n’ont rien trouvé. Mais comme il fallait absolument que je sois condamné, alors j’ai obtenu un non lieu partiel qui a supprimé toutes ces

accusations et on m’a finalement jugé pour négligence. C’est-à-dire que je n’aurais pas informé l’autorité, ayant eu vent d’un coup d’état en préparation ou qui a eu lieu. Mais pour moi, il s’agit d’un prétexte ; c’est un alibi pour justifier douze mois de détention inutile.

Donc je comprends bien votre question mais je suis plutôt habité par la joie qui fait que je pardonne à ceux qui m’ont fait ce tort. Parce que comme l’a dit le président Laurent

Gbagbo, lorsqu’un homme marche, il laisse des traces. Et moi les traces que j’ai laissées dans ce pays sont connues

de tous. Je suis en effet celui qui s’est battu avec ses amis en tant que leader du mouvement handicapé, et cela depuis 1998, pour que la constitution de la Côte d’Ivoire en son article 6 mentionne clairement les personnes handicapées : « l’état assure la protection des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées ». C’est écrit noir sur blanc. C’est également moi qui me suis battu pour que la Côte d’Ivoire participe aux travaux du comité ad’hoc mis en place par l’ONU pour rédiger la convention sur les droits des personnes handicapées signée 2007 par la Côte

d’Ivoire et ratifiée en janvier 2014.

C’est aussi grâce à moi qu’un millier de personnes handicapées ont été recrutées dans la fonction publique par les différents gouvernements qui se sont succédé à la tête de l’état de Côte d’Ivoire. Donc voilà les traces que j’ai laissées. Vouloir donc laisser de moi l’image d’un putschiste ou d’un terroriste ou d’un déstabilisateur est choquant et j’ai effectivement été choqué. et mes proches, mes amis handicapés auraient pu se laisser abuser, tout comme l’opinion nationale et internationale. Mais avec le procès, tout le monde a compris que j’ai été victime d’une injustice. Et que c’est à tort qu’on m’a mis en prison.

C’est cela qui me soulage et qui fait que j’ai décidé d’oublier tout ce qui s’est passé. Parce que j’ai la certitude que demain personne ne me regardera dans les yeux pour dire que j’ai

été un putschiste.

Quand on sort d’une telle épreuve, ne doit-on pas chercher à savoir d’où ça vient ? Qui m’en veut à ce point ?

Je me suis posé la question mais jusqu’à présent je n’ai pas eu de réponse.

Parce que dans mon parcours de leader du mouvement handicapé, j’ai eu de très bons rapports avec tout le monde. Qu’ils soient du RDR, du FPI et du PDCI. Pareillement dans ma vie de tous les jours, je tiens à l’amitié. Alors quand je fais ce point, je me demande qui peut vraiment vouloir me

voir en prison. C’est pourquoi je ne veux pas trop épiloguer là-dessus. Il ya eu des choses très graves en Côte d’Ivoire. Des milliers d’Ivoiriens en sont morts. Et moi je suis en vie

même si j’ai fait la prison. Donc je rends grâce à Dieu de m’avoir préservé.

De toute façon, c’est mon corps qu’ils ont mis en prison, pas ma tête.

Je rappelle néanmoins que j’ai été condamné malgré tout à un an sept jours. Donc mes avocats vont faire appel et on verra pour la suite.

Les handicapés de Côte d’Ivoire ont essayé de faire pression sur le gouvernement pour obtenir votre libération mais ont été dispersés sans ménagement avec des gaz lacrymogènes.

Est-ce que ça vous a choqué?

J’ai vécu cela avec beaucoup de peine. J’ai vu en effet des personnes handicapées, parce qu’elles réclamaient un recrutement dérogatoire, ont été rudoyées et jetées à la préfecture de police comme de vulgaires malfrats. Et de là où j’étais, j’en ai souffert.

Votre libération tait également l’un des motifs de cette manifestation Oui ils réclamaient ma libération et ont été menacés directement ou indirectement. Mais ils ont tenu le coup

et sont venus massivement me témoigner leur soutien lors de mon procès le 20 novembre dernier. Ils étaient encore là, le jour du verdict et ont envahi la salle d’audience en bravant

les différentes intempéries et menaces. J’ai donc compris que la cause des personnes handicapées méritait d’être toujours défendue.

Oui justement, n’avez-vous pas le sentiment que la défense de cette cause ait régressée ?

Naturellement la cause des personnes handicapées a régressé. Parce que comme j’ai été ministre de Laurent

Gbagbo, les gens pour déstabiliser notre mouvement m’ont assimilé à un militant du FPI. Mais pour moi, ce n’est guère déshonorant parce que le FPI est un grand parti et être militant du FPI est un honneur. Mais dire à mes amis « oui, vous êtes des malades ; vous n’avez pas de pieds et votre président fait de la politique », est la preuve qu’on m’avait mis en prison pour intimider les personnes handicapées. C’est comme si on m’avait mis en prison pour leur envoyer le message selon lequel s’ils faisaient la politique c’est le même sort qui les attendait. Et cela est déplorable. L’état doit être capable de défendre les personnes handicapées. La convention de l’Onu relative aux personnes handicapées et ratifiées par la Côte d’Ivoire encourage les personnes handicapées à participer à la vie politique de leur pays. Mais je ne vais pas me décourager. J’estime même que je n’ai pas encore fait la politique. C’est vrai que ce gouvernement

estime que nous avons fait partie d’un gouvernement illégitime mais je crois qu’on en a assez parlé lors de nos procès en assises. Et cela ne doit pas servir de prétexte pour brimer les personnes handicapées, de les maintenir de manière illégale et illégitime en prison pendant des mois. Et si ceux qui ont fait ça l’ont fait pour me décourager, qu’ils se détrompent. Chaque fois que les démocrates sont jetés en prison, leurs convictions s’en trouvent renforcées à la sortie. Et moi je suis plus que jamais déterminé à mener le combat pour la promotion des personnes handicapées. Et à ne pas reculer.

Quel impact ces années de prison ont-elles eu sur votre vie professionnelle?

J’étais déjà en prison en 2011. A ma sortie, jusqu’à ce qu’on me reprenne, je n’ai pas été réhabilité à la fonction

publique. Du tout ! et je vivais des moments très difficiles. J’habitais même chez des amis. Beaucoup d’entre eux m’ont soutenu pendant trois ans. Ma famille était disloquée et

je dormais çà et là. C’est dans ces conditions qu’on m’arrête pour dire que j’ai financé un coup d’etat. C’est choquant mais je préfère être positif parce que l’expérience de la vie m’a montré qu’il se faut également se servir de ce qui est négatif pour avancer.

Avez-vous tenté des démarches pour votre réhabilitation professionnelle?

Bien sûr que j’avais tenté des démarches mais elles sont restées vaines. J’avais même réussi à contacter le ministre Cissé Ibrahim Bacongo que j’ai eu au téléphone et avec qui j’ai échangé quelques sms quand il a été nommé ministre de la fonction publique, étant quelqu’un que je connaissais avant et que j’apprécié beaucoup. Mais il n’y a pas eu de suite.

Or lors des procès en assises, certains collègues qui sont sortis deux ans après moi ont été réhabilités avec rappel de leurs salaires. Ou c’est certainement parce que ces personnalités

sont proches du président Affi N’guessan. Ceci peut peut-être expliquer cela. en tout cas, moi je n’ai pas été réhabilité.

Avez-vous été concerné par la mesure de dégel des avoirs ?

Mes comptes ont été dégelés comme beaucoup de pro-Gbagbo mais je n’y ai rien trouvé. Ils étaient donc vides.

J’avais même fait en son temps des réclamations mais on m’a répondu qu’il s’agit de chèques qui sont revenus impayés. Des chèques d’état qui reviennent impayés.

Vous aviez tout compris !

Oui mais c’est tout cela aussi qui m’a sauvé, puisque j’ai donné tous mes numéros de compte et donc les juges ont pu s’apercevoir des mouvements qu’il y a eu. et ils ont compris qu’il n’y avait pas de raison de m’accuser. D’autre part, ma seconde incarcération a créé un vent de sympathie autour

de moi et à partir de là, les gens, des amis… ont commencé à m’aider.

Quelle est la vie d’un prisonnier politique, d’Odienné à la Maca ?

Nous sommes comme tous les autres prisonniers, à la différence qu’on nous surveille un peu plus que les autres,même en prison. Ce qui fait que parfois on se sent en prison en prison.

Je profite néanmoins pour dire merci à l’administration de la Maca. Les conditions y sont très difficiles. Cette prison a été faite pour accueillir 1500 personnes mais aujourd’hui 56.000 personnes y sont détenues. Quant aux prisonniers politiques, ils sont

environ 300 et dans un tel environnement seule la solidarité vous aide à survivre. Les plus forts soutiennent les plus faibles. Jadis, nous étions trois anciens ministres. Je me suis retrouvé

seul lorsque les ministres Lida et Assoa Adou ont été déportés au

Camp Pénal de Bouaké. et cela n’a pas été facile. Je déplore d’ailleurs la mort d’Eric Kouya Gnépa qui est arrivé

à la Maca avec trois orteils sectionnés. Il avait le béribéri

(malnutrition) et l’ulcère. Ce sont des maladies acquises dans ses différents lieux de détention à l’occasion des tortures qu’il a subies. On a essayé de l’aider mais on n’a pas pu le sauver. Il

faut donc aider les prisonniers, les grands malades qui s’y trouvent. Il faut surtout les libérer. Le vent de la liberté souffle.

On le devine lorsqu’on parcourt les lignes des journaux

proches du pouvoir. Alors mettons ce moment à profit pour libérer les prisonniers politiques. Le président de la république fait des consultations dans ce sens. Je voudrais l’encourager à aller jusqu’au bout de sa logique et à libérer les prisonniers. Selon lui, ce ne sont pas les prisonniers politiques.

Peu importe ; il faut libérer tout le monde. J’ai rencontré à la Maca un officier des douanes qui a échappé à la mort pendant la crise de 2011. Il s’est donc refugié dans son village. A la prise de pouvoir du président Ouattara,les gens l’ont accusé d’entretenir

des miliciens. On le convoque mais on réalise que tout est faux. et puis on lui demande pourquoi il détient un pistolet. Il explique que c’est son arme de dotation en tant qu’officier des

douanes. « J’attendais que tout redevienne calme pour aller rendre l’arme. Mais je ne l’ai pas acquise illégalement.

Ce n’est d’ailleurs pas à moi », se défend-il. en vain. Je rappelle que ce monsieur est en prison depuis quatre ans. Celui-là comment l’appelle-t-on ?

Quel nom lui donne-t-on?

et ils sont nombreux comme ça.

Il ya aussi ce Préfet.

Oui il ya le préfet Gnako, arrêté dans sa tenue de travail. Lui aussi est là-bas.Moi je suis certes de la société civile mais je suis fier d’être pro-Gbagbo.

Mais lui, il est qui ? Moi j’ai connu ce monsieur lorsqu’il était secrétaire général de la Mairie de Divo. C’est un monsieur sans histoire. Il n’est pas pro-Gbagbo ; il est Préfet et dans sa

fonction de Préfet, il a un devoir de neutralité et d’impartialité. Mais parce qu’il s’appelle Gnako, parce qu’il est bété ça suffit pour qu’on le jette en prison. Je voudrais donc inviter les

autorités de ce pays à aller à la réconciliation. Parce qu’il y a un temps pour la guerre et un temps pour la paix.

Propos recueillis

Par Sévérine Blé