Crise post-électorale : LES SANCTIONS CONTRE GBAGBO MONTRENT LEURS LIMITES

Le 11 février 2011 par Fraternité Matin - Certains parmi nous encouragent Laurent Gbagbo à ne pas céder. La solidarité au sein de la communauté internationale s’est vite érodée. Notre préoccupation est qu’en raison d’intérêts géopolitiques,

Le groupe des Ambassadeurs des pays de l'Union européenne en Côte d'Ivoire autour d'un ministre de Ouattara.

Le 11 février 2011 par Fraternité Matin - Certains parmi nous encouragent Laurent Gbagbo à ne pas céder. La solidarité au sein de la communauté internationale s’est vite érodée. Notre préoccupation est qu’en raison d’intérêts géopolitiques,

certains pays essaient de susciter un échec des Chefs d’Etat de la Cedeao». James Victor Gbého, président de la commission de la Cedeao, est un homme amer. Et il a tenu à exprimer ce mardi, à Abuja, sa mauvaise humeur sur la gestion de la crise post-électorale ivoirienne. Car, tout le plan qui a été échafaudé, avec la participation active de Young-jin Choi, représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu en Côte d’Ivoire, pour installer, ici et maintenant, Alassane Ouattara au pouvoir, soit est en train de montrer ses limites, soit s’effondre comme un château de cartes.
Ainsi, l’usage de la force qui a longtemps été brandie comme une alternative, n’est plus à l’ordre du jour. Contrairement aux avis du «président» et du «Premier ministre» de la «république du Golf», l’intervention militaire ne s’imposera pas pour régler la crise ivoirienne. De ce fait, les réunions largement médiatisées des chefs d’état-major des Armées des pays membres de la Cedeao à Abuja et Bamako, les hystériques campagnes de presse annonçant l’arrivée imminente des troupes de l’Ecomog ne s’avèrent que du bluff, de la poudre aux yeux.
Car, non seulement tous les pays de la Cedeao n’ont pas adhéré à l’option militaire, mais le feu vert de l’Onu est une autre paire de manche. «Le recours à la force par la Cedeao en Côte d’Ivoire doit se faire sous l’égide des Nations unies; et sans une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu, un recours à la force de la Cedeao ne serait pas légitime», avait précisé Odein Ajumogobia, ministre nigérian des Affaires étrangères. Ici, les carottes sont cuites. «La France n’appelle pas et n’appellera jamais au recours aux forces armées», a déclaré, ce mardi à Ouagadougou, Henri de Raincourt, ministre français de la Coopération, avant d’insister : «Ne comptez pas sur la France pour décider à la place des Ivoiriens et à la place des Africains».
Raclée… diplomatique
La France botte en touche. En réalité, elle refuse de prendre une raclée… diplomatique. Aussi, a-t-elle pris le train de la résolution pacifique de la crise ivoirienne. L’Hexagone sait qu’au Conseil de sécurité, la Côte d’Ivoire bénéficie de deux soutiens de taille: la Chine et la Russie. Ces deux pays détenteurs du droit de veto jugent «inacceptable» l’option militaire. Et ne cessent de préconiser la solution pacifique de la crise.
L’Union africaine (Ua) a désormais retenu cette voie en mandatant cinq Chefs d’Etat. Mais cette voie est aussi périlleuse pour les élus de la «république du Golf» et leurs soutiens. D’une part, elle pourrait bien préserver le statu quo ante politique, en maintenant la partition de fait du pays avec au nord toujours la rébellion désormais dirigée officiellement par Alassane Ouattara et au sud, la zone gouvernementale sous le contrôle de Laurent Gbagbo. D’autre part, et c’est le plus grand danger, cette voie pourrait réserver bien des surprises électorales. Et si Youssouf Bakayoko, puis ensuite Choi avaient induit tout le monde en erreur?
C’est pourquoi, redoutant la découverte du pot aux roses d’éventuels tripatouillages, Gbého, à la suite de Ban Ki-moon qui s’est élevé vivement contre le recomptage des voix, ne décolère plus contre l’organisation panafricaine qui a dépêché, à Abidjan, des experts pour évaluer et comprendre la crise post-électorale. «Je pense que toute tentative de changer le résultat de la consultation électorale librement obtenue est quelque chose que nous pourrions regretter et j’espère qu’on n’en arrivera pas là à la fin de l’analyse (des experts de l’Ua)», a-t-il essayé de mettre en garde pour exprimer la panique qui s’est emparée de toute la galaxie.
Car un malheur n’arrive jamais seul. Pour ne pas arranger les choses du côté des adversaires de Laurent Gbagbo, «l’économie ivoirienne s’est adaptée très vite à la crise et tourne normalement», selon les mots d’un haut responsable du ministère de l’Economie et des Finances qui a requis l’anonymat. «Ce qui est certain, on n’étouffera pas la Côte d’Ivoire, y compris sur le plan monétaire», rassurait Ahoua Don Mello, ministre de l’Equipement et de l’Assainissement et porte-parole du gouvernement (Cf. Fraternité Matin n°13.863 du 24 janvier 2011).
A ce titre, pour le mois de janvier, les résultats financiers de certaines régies financières donnent raison au porte-parole du gouvernement. Les douanes ivoiriennes ont réalisé près de 95 milliards de nos francs contre 73 milliards prévus et les Impôts, environ 70 milliards de nos francs contre une cinquantaine prévue. Au port autonome d’Abidjan, c’est toujours le même nombre de bateaux (47) qui accoste par semaine «et la vie continue», dit-on à la direction générale.
Le taureau par les cornes
La Côte d’Ivoire a pris le taureau par les cornes pour enrayer les mesures d’étranglement financier et d’étouffement bancaire qui ont été annoncées. Le pays a décidé de geler le paiement de la dette extérieure qui s’élève à 350 milliards de Fcfa pour l’année. Il a mis fin au versement de 65% de ses réserves de change au Trésor français où son solde des comptes courants extérieurs s’élèverait à 4563 milliards Fcfa et son ministre de l’Economie et des Finances a cessé de rendre compte de sa gestion au grand argentier de Bercy.
La Côte d’Ivoire a aussi rompu avec le siège de la Bceao à Dakar et réquisitionné le siège national et les agences ivoiriennes. De ce fait, les autorités se sont donné une autonomie pour pouvoir définir leur propre politique monétaire.
Le hic, le système de gestion technique de la compensation, qui devait être installé la semaine dernière, tarde à l’être et retarde les transactions d’une banque à une autre; sans compter que des menaces de chômage et de licenciement planent avec la fermeture de certaines entreprises, si la situation venait à perdurer. Mais, grosso modo, la situation reste sous contrôle, selon des sources concordantes.
Les sanctions économiques et le blocus maritime n’ont que des conséquences relativement limitées sur les activités ivoiriennes. Ainsi, les opérateurs économiques et le patronat qui ont rencontré, avant-hier, les experts de l’Ua ont douté de leur efficacité dans la résolution de la crise politique ivoirienne. Aucun pays au monde, ont-ils défendu, n’a plié par l’application de pareilles mesures.
Au contraire, les pouvoirs qui sont ainsi poussés dans leur dernier retranchement, comme au Zimbabwe, en Iran ou à Cuba, ou se radicalisent, ou alors bénéficient d’un tel soutien populaire que leurs partisans sont souvent prêts à tous les sacrifices. Aussi, ont-ils milité pour une levée des sanctions de l’Union européenne pour permettre la reprise des affaires.
Dans tous les cas, les Européens en seront les premiers bénéficiaires. Comme le disait le général Charles de Gaulle, «pour être grande, la France a besoin des pieds du colosse africain». L’économie ivoirienne est, à cet effet, dominée par la France. Le puissant réseau bancaire, jusqu’à une date récente, était la chasse gardée de banques françaises : Sgbci, Bicici et Sib (désormais détenue par un capital marocain).
Premier investisseur
Les sociétés françaises qui étaient déjà présentes dans l’économie ivoirienne ont renforcé leur part après la dévaluation du Fcfa décidée par la France, le 14 janvier 1994. Après la privatisation des secteurs para-gouvernementaux, les entreprises françaises, en dehors de la filière café-cacao aux mains des multinationales anglo-saxonnes, contrôlent quatre secteurs cardinaux de l’économie ivoirienne : l’eau (Sodeci), l’électricité (Cie), les télécommunications (Côte d’Ivoire Télécom), les transports ferroviaires (Sitarail) et maritimes (Bolloré).
D’après des données du Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire (Cepici), la France demeure le premier investisseur étranger en Côte d’Ivoire avec plus de cent filiales répertoriées et plus de cinq cents sociétés appartenant à des hommes d’affaires français. Les investissements français qui avaient atteint 152,6 milliards de nos francs ont certes rapidement chuté en raison de l’instabilité politique et ralenti les exportations françaises, mais la France est toujours forte au sein de l’économie ivoirienne.
Avec plus d’un milliard d’euro d’échanges commerciaux entre les deux pays, la Côte d’Ivoire demeure le troisième partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne après l’Afrique du Sud et le Nigeria. En voulant donc sanctionner l’économie ivoirienne pour faire chuter Laurent Gbagbo, la France étouffe ses propres intérêts. Cela s’appelle se faire hara-kiri.
Ferro M. Bally