En Côte d’Ivoire: la campagne présidentielle s’accélère et se tend

Par Le Monde - En Côte d’Ivoire, la campagne présidentielle s’accélère et se tend.

Le Président Alassane Ouattara désignant le premier ministre Amadou Gon Coulibaly, candidat du RHDP à l’élection présidentielle du 31 octobre.

Depuis l’annonce du président Ouattara de ne pas se représenter à l’élection d’octobre, le parti au pouvoir active sa campagne et l’opposition fait front commun.

Par Youenn Gourlay

En Côte d’Ivoire, le calendrier politique s’accélère et continue de surprendre. Après l’annonce du président Ouattara de ne pas briguer un troisième mandat, le 5 mars, lors de son discours à la nation, le RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) vient déjà de désigner, sans vote, son candidat pour porter les couleurs du parti présidentiel lors de l’élection du 31 octobre.

Son nom, lui, n’est pas une surprise : Amadou Gon Coulibaly, premier ministre depuis 2017, fidèle de la première heure du président en place, a été adoubé par les principaux cadres du RHDP lors d’un conseil politique du parti qui s’est tenu jeudi 12 mars jusqu’à très tard dans la soirée. « Pour moi, après ADO [Alassane Dramane Ouattara], c’est Amadou Gon Coulibaly. Je suis persuadé qu’il est le mieux placé pour assurer la relève », a lancé le ministre de la défense Hamed Bakayoko. Une décision précoce comme pour court-circuiter d’autres velléités présidentielles au sein du parti.

Alassane Ouattara tient ainsi parole et laisse la place à une nouvelle génération. A 61 ans, « AGC » n’est pas si jeune, mais cet homme de l’ombre représente la relève dans un paysage politique dominé par les trois mêmes chefs depuis près de trente ans.
« Contre le tripatouillage de la Constitution »

Même si ce passage de témoin est salué par une majorité de cadres politiques du pays, une autre partie du discours du 5 mars suscite de vives réactions dans l’opposition. A commencer par la révision constitutionnelle. Le président ivoirien a soumis aux parlementaires la modification d’une vingtaine d’articles de la Constitution pourtant approuvée à 93 % par référendum en 2016. Le texte final doit en principe être présenté devant les deux chambres réunies en congrès le 17 mars à Yamoussoukro. Ensuite, il devra être entériné par les deux tiers des parlementaires pour être adopté.

Une initiative vivement rejetée par l’opposition qui y voit l’occasion d’un passage en force – le RHDP disposant d’une large majorité parlementaire. Un meeting de toute l’opposition ivoirienne est d’ailleurs prévu dimanche 15 mars à Yamoussoukro « pour dire à l’opinion nationale et internationale que nous sommes contre le tripatouillage de la Constitution », explique Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, opposition).

Alassane Ouattara a notamment proposé que le vice-président, deuxième personnage de l’Etat, ne soit pas élu en même temps que le président mais nommé par ce dernier. « Voici quelqu’un qui n’est pas élu, qu’on nomme et qui peut remplacer celui qui est élu [en cas de vacance du pouvoir]. Nous, on pense qu’on mérite mieux que ça », souligne M. Guikahué.
Dénonciation d’un forcing de l’exécutif

Parmi les propositions également, la révision d’une vingtaine d’articles dont ceux relatifs au fonctionnement de l’Assemblée nationale. M. Ouattara a ainsi proposé que les députés restent à leur poste en cas de report d’une élection législative. Une mesure qui sème le doute. « Qu’est-ce qui amène le président Ouattara à penser que l’élection législative pourrait ne pas avoir lieu ? », s’interroge ainsi le politologue Sylvain N’Guessan. Selon un proche du pouvoir, il s’agirait là d’assurer la continuité légale des mandats des députés en cas de second tour de la présidentielle, jusqu’en décembre donc.

Conséquences de ces tensions : des députés de l’opposition ont annoncé ce jeudi leur retrait des travaux parlementaires sur la révision constitutionnelle en cours. Ils dénoncent un forcing du chef de l’exécutif ivoirien pour que soit validé le projet de révision constitutionnelle et estiment que toute modification nécessite la consultation du peuple. « Ce n’est pas tant l’importance des changements qui sont en cause, c’est la manière. On ne change pas la Loi fondamentale tout seul dans son coin ! On rate encore une fois l’occasion de réunir les Ivoiriens, l’occasion de se réconcilier autour d’un texte fondateur qui est la Constitution », estime Jean-Louis Billon du PDCI.

Autre sujet portant à polémique : la Commission électorale indépendante (CEI), réformée en juillet 2019 sur injonction de la Cour africaine des droits de l’homme (CADH), puis recomposée, avec l’absence remarquée des grands partis d’opposition qui la jugent « illégale » et inféodée au pouvoir du président Alassane Ouattara.
L’opposition menace de boycotter la présidentielle

Le chef de l’Etat a bien essayé de calmer les esprits en proposant un siège à l’opposition. Insuffisant pour le PDCI. « Il ne s’agissait pas seulement d’obtenir une place au sein dudit organe, mais d’en obtenir une réforme qui assure l’égalité de tous devant la loi et la libre participation des citoyens aux affaires publiques du pays », écrit le numéro 2 du PDCI dans une lettre en date du 9 mars adressée au ministre de l’administration du territoire. Le PDCI et d’autres formations ont donc une nouvelle fois porté le cas devant la CADH. Une réponse est attendue fin mars.

Pour le moment, l’opposition menace de boycotter l’élection si la commission électorale, qu’elle juge partiale, n’est pas réformée avant le scrutin. « Les partis, organisations et groupements politiques de l’opposition ne participeront à aucun scrutin avec l’actuelle commission électorale indépendante », a déclaré Henri Niava, président du petit parti de l’USD, lors d’une conférence de presse réunissant tous les partis d’opposition.

Et pour cause : il s’agit là de l’institution mère du processus électoral, garante du calendrier des prochains mois et en charge de la délicate mission de la mise à jour de la liste électorale. Une liste également très décriée. Les premiers enrôlements de février et début mars sont déjà très critiqués pour leur lenteur. Menée en 2018, avant les élections municipales et régionales, la dernière opération d’enrôlement n’avait donné lieu qu’à un peu plus de 400 000 nouvelles inscriptions. Le gouvernement dit avoir multiplié par trois les capacités d’enrôlement.

Selon les observateurs régionaux et internationaux, l’exil de Guillaume Soro, les arrestations d’opposants (Jacques Mangoua du PDCI et proches de M. Soro) ainsi que les désaccords sur la Commission électorale indépendante entre la majorité et l’opposition ne jouent pour l’instant pas en faveur d’une élection « transparente et apaisée ».

Youenn Gourlay(Abidjan, correspondance)

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