Débats et opinions : Malentendus entre Maryse Condé et l’Afrique, Par Jean-Claude DJEREKE

Par Ivoirebusiness/ Débats et opinions. Malentendus entre Maryse Condé et l’Afrique, Par Jean-Claude DJEREKE

Née à Pointe-à-Pitre le 11 février 1934, d’un père banquier et

d’une mère institutrice, la Guadeloupéenne Maryse Boucolon

débarque en 1953 à Paris pour fréquenter le lycée Fénelon. Elle

n’y passe pas plus de deux années à cause du racisme de certains

de ses professeurs. Elle est blessée par leur mépris et

condescendance. Sa blessure sera progressivement pansée par

les textes de la Négritude parmi lesquels le célèbre “Discours sur

le colonialisme” d’Aimé Césaire publié en 1950 par Présence

Africaine du Sénégalais Alioune Diop. Césaire lui enseigne,

entre autres, qu’elle doit être fière de ses origines africaines.

Maryse, qui est désormais inscrite en Lettres à la Sorbonne,

commence à côtoyer le milieu estudiantin africain dont le

puissant mouvement, la Fédération des étudiants d’Afrique noire

en France (Feanf), revendique ouvertement la fin de la

colonisation en Afrique. Elle assiste aux réunions de la Feanf.

C’est là qu’elle rencontre le Guinéen Mamadou Condé qu’elle

épousera en secondes noces en 1958. Le journaliste et agronome

haïtien Jean Dominique, son premier compagnon et le père de

son fils Denis, l’avait quitée et était retourné en Haïti. “Jean

Dominique m’avait traitée avec le mépris et l’inconscience de

ceux qui stupidement s’érigeaient alors en caste privilégiée”,

expliquera Maryse plus tard dans “L’Afrique sans fards” (Paris,

J.-C. Lattès, 2012).

En septembre 1959, elle foule le sol ivoirien. Le voyage entre

Marseille et l’Afrique se faisait à cette époque en bateau. À

Dakar, où elle fait une brève escale, elle est frappée par la

pauvreté des gens et l’insalubrité du marché. Quand elle arrive à

Abidjan, tonton Jean, un Antillais, lui apprend tout de suite que

les Africains détestent les Antillais parce que certains d’entre

eux ont servi comme fonctionnaires coloniaux. Au lycée de

Bingerville, où elle enseigne le français, elle constate que les

Antillais vivent entre eux et qu’ils se considèrent comme des

Français. Maryse ne passera qu’une année dans ce lycée mais

elle se pose déjà, comme Véronica dans “Heremakhonon”

(Paris, 10/18, 1976), cette question: “N’est-il pas bizarre qu’une

Noire enseigne la langue et la culture françaises à des

Africains?”

En 1960, elle rejoint Condé en Guinée, pays qui le 28 septembre

1958 osa dire “non” à la communauté franco-africaine du

général Charles de Gaulle et dont le président préférait “la

liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage”.

Contrairement aux Antillais de Côte d’Ivoire, ceux de la Guinée

étaient anticolonialistes. Ils étaient donc prêts à aider Sékou

Touré après que la France eut demandé à ses coopérants de

quitter le pays en réponse au refus de la Guinée de continuer à

vivre sous la tutelle et la domination françaises. Maryse Condé

renonce à la nationalité française pour mieux apporter sa

contribution à l’édification de cette Guinée jalouse de sa liberté

et de sa souveraineté. Son fils est inscrit à l’école Samory Touré.

Attachée aux droits de l’homme, Maryse est cependant déçue

par la manière dont ils sont foulés aux pieds par le régime et par

la réaction de celui-ci aux complots, réels ou imaginaires, ourdis

contre Sékou Touré. Elle ne comprend pas non plus l’opulence

dans laquelle vivent les proches du président alors qu’une

grande partie de la population tire le diable par la queue. Mais ce

qui la fait souffrir le plus, c’est le fait de ne pas être acceptée par

les Guinéens qui auraient aimé la voir s’habiller en pagne, se

tresser et apprendre une des langues locales. Maryse, elle, pense

qu’elle s’assimilerait au lieu de rester elle-même si elle devait

plaire aux Guinéens.

C’est sur cette incompréhension qu’elle quitte la Guinée et

Mamadou Condé avec qui les relations étaient devenues

difficiles. Maryse n’abandonne pas l’Afrique pour autant. À la

fin de l’année 1963, elle se rend au Ghana qui déjà avait

accueilli les marxistes et panafricanistes afro-américains WEB

Dubois et Georges Padmore. Elle y prend conscience de la

diversité du continent tout en constatant que les Afro-

Américains vivent coupés des Ghanéens. Dès lors, la Négritude

lui apparaît comme un “grand beau rêve”.

Accusée par les successeurs de Kwame Nkrumah d’espionnage

pour le compte de la Guinée, elle sera expulsée du Ghana.

Londres est sa nouvelle destination. Elle y rencontre l’avocat

Kwame Aidoo avec qui elle ne tarde pas à vivre.

Après sa rupture avec Aidoo, elle dépose ses valises au Sénégal

mais n’est acceptée ni par la communauté française ni par les

Sénégalais. Seul l’Anglais Richard Philcox, enseignant comme

elle au lycée Gaston Berger de Kaolack, lui apporta un peu de

consolation. Elle partira du Sénégal en 1970. Faisant une

relecture des années passées en Afrique, Maryse a estimé que

“l’Afrique ne l’a jamais considérée comme sa fille mais comme

une cousine au comportement étrange” (cf “L’Afrique sans

fards”). Céline Labrune-Badiane pense plutôt que la

Guadeloupéenne “n’a pas trouvé ce qu’elle cherchait parce que

ce qu’elle a cherché n’existait pas” (C. Labrune-Badiane,

“Afrique: où es-tu? L’expérience africaine de Maryse Condé”).

Maryse Condé s’est éteinte le 2 avril 2024 sans avoir étanché sa

soif d’être comprise et acceptée par un continent auquel elle

croyait appartenir. Peut-être y serait-elle parvenue si elle avait

fait l’effort de s’intégrer sans se renier complètement. Je fais

partie des personnes qui croient que le retour et la vie sur le

continent ne sont possibles que pour les Afro-Antillais et Afro-

Américains capables de compromis et de dépouillement

intérieur car l’Afrique réelle n’a rien à voir avec l’Afrique

idéalisée.

Jean-Claude DJEREKE