Côte d’Ivoire : L’illustration de l’éloge de la médiocrité, Par Jacques-André Gueyaud, Ph.D

Par Ivoirebusiness/ Débats et Opinions - Côte d’Ivoire. L’illustration de l’éloge de la médiocrité, Par Jacques-André Gueyaud, Ph.D.

Le président de l'Assemblée nationale, Amadou Soumahoro. Image d'illustration.

Il est rapporté dans des quotidiens ivoiriens du 28 août, notamment « le Quotidien L’ESSOR », repris par Ivoirebusiness.net du 28 août 2019, l’interdiction faite à Mme Simone Gbagbo, Vice-Présidente du Front populaire ivoirien (FPI) et originaire du Sud de la Côte d’Ivoire (CIV), d’avoir accès à un ou à plusieurs villages du Nord du pays. L’interdiction aurait été faite par deux personnalités officielles de la CIV, en l’occurrence le Préfet de Soubré et le Président de l’Assemblée Nationale, originaires de la région. Le journaliste T. John résume ci-dessous la situation en ces termes, et je cite :

…Allée accompagner M. Youssouf Fofana, Secrétaire national du Front populaire Ivoirien (FPI) chez ses parents après son retour d'exil, Mme Simone Gbagbo n'a pu mettre pied à Gbetogo, village de l'ex-exilé et celui du rebelle devenu préfet de Région à Soubré, M. Koné Messemba.Il sera aidé dans cette campagne par l'actuel président de l'Assemblée Nationale, M. Soumahoro Amadou qui demande aussi à ses parents de ne pas recevoir l'hôte. « Koné Messamba a aussi mobilisé les jeunes du village pour empêcher Mme Simone Gbagbo d'arriver à Gbetogo. À côté de lui, on note aussi Amadou Soumahoro qui a lancé un mot d'ordre à tous les chefs du village de ne pas recevoir Mme Simone Gbagbo...».Fin de citation.

Si ce fait social est avéré, Il devrait interpeller tout ivoirien soucieux de l’unité de toutes les filles et de tous les fils du pays, fussent-ils originaires du Nord, du Sud, de l’Ouest ou encore de l’Est de la CIV à un moment où l’on y met de plus en plus en exergue le concept de la réconciliation. Non seulement ce fait est-il anti - démocratique, voire dictatorial car il est contre les effets de la démocratie portée à sa dernière conséquence, mais il est également, et surtout, irréfléchi de la part de deux personnalités officielles d’un pays quelle que soit la raison qui les motivent. On aurait donc tort de n’y voir que l’effet de la haine. Plus que la haine, il n’est pas exagéré d’y voir plutôt l’illustration de la médiocrité d’une gouvernance et d’individus à courte vue.

La CIV, lorsqu’elle cherche à définir son horizon historique, se réfère à l’éthos de la diversité identitaire. Il faudrait s’y ouvrir et y convertir les institutions et les représentations collectives au nom de l’ouverture à l’autre. Dans l’aventure humaine, nous serions rendus à cette étape sublime après celle de la rébellion menée par les hommes et les femmes originaires du Nord qui a vu son aboutissement en 2011. Une rébellion dont le principal prétexte fut la catégorisation, la discrimination ou encore l'exclusion des ressortissants du Nord et qui fit tant de torts à la CIV tout entière.

L’émancipation de l’homme en CIV, et cela, n’en déplaise aux rebelles, passe désormais par l’extension de la logique égalitaire à tous les rapports sociaux, et par la reconnaissance des identités qui ont été un jour marginalisées chez elles. Plusieurs ressortissants du Nord, qu’ils soient de Séguéla, d’Odienné ou de Mankono, migrent et sont accueillis à bras ouverts par leurs homologues des régions et villages de l’Ouest, du Sud et de l’Est, où ils élisent désormais domicile, et cela, Messieurs Messamba et Soumahoro ne devraient pas l’oublier.

Sur le plan théorique, la CIV est un pays de droit dont la loi fondamentale garantit la liberté de pensée, d’expression et de libre circulation sur tout le territoire, articles 19 et 21. L’article 19 spécifie, par ailleurs, que toute propagande ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre, ou d’encourager la haine raciale, tribale ou religieuse est interdite.

L’interdiction faite à Mme Gbagbo d’accéder à des villages du Nord, est par conséquent, une violation de ces articles de la loi fondamentale. Elle est faite sur une base tribale et politique, et mène fatalement la pensée publique à un point de conformisme qui se présente sans surprise comme le milieu, le centre, le moyen, la médiocrité en programme politique.

Deux personnalités officielles dont l’un est la 2e personnalité du pays après le Président de le République, et membre du rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) parti politique au pouvoir, et l’autre, Préfet d’une région, se donnent non seulement en spectacle, mais ils se tournent également eux-mêmes en ridicule en ne donnant pas l’exemple de conciliateur et de modèle d’un homme d’État, et en faisant à la place, l’illustration de la médiocrité.

La principale compétence d’un médiocre, est surtout de reconnaître un autre médiocre. Ensemble, ils organisent des grattages de dos pour rendre puissant un clan politique dont le slogan est le rattrapage ethnique, qui va en s’agrandissant, puisqu’ils auront tôt fait d’y attirer leurs semblables. L’important n’est pas tant d’éviter la bêtise que de la parer des images du pouvoir pour Messieurs Messamba et Soumahoro.

La médiocrité désigne ce qui est moyen, tout comme supériorité et infériorité font état de ce qui est supérieur et inférieur. La médiocrité désigne le stade moyen en acte plus que la moyenne. Par leur refus à l’accès d’un village de Séguéla, Messieurs Messamba et Soumahoro, hissent la médiocrité au rang d’autorité.

Dans cette optique, la médiocrité fonde un ordre dans lequel la moyenne n’est plus une élaboration abstraite permettant de concevoir synthétiquement un état des choses, mais une norme impérieuse qu’il s’agit d’incarner pour le régime RHDD. Ce faisant, se dire libre dans un tel régime n’est qu’une façon d’en manifester la médiocrité, de faire l’éloge de la médiocrité.

Les symboles plus que les fondements sont en cause dans cette apparence. La pensée se fait médiocre lorsque les gouvernants ne se soucient pas de rendre spirituellement pertinentes les décisions qu’ils prennent ou les propositions qu’ils élaborent. Si d’aventure Mme Simone Gbagbo ne devait pas comprendre les motivations qui justifient l’interdiction de son accès à un village du Nord, on le lui ferait comprendre brutalement comme nombre d’ivoiriens victimes de harcèlement moral par le pouvoir, ou privés de leur compte bancaire gelé, pour avoir émis des opinions contraires aux intérêts des membres du RHDP.

D’autres moins chanceuxsont contraints à l’exil ou encore, croupissent dans les geôles du pays.Par la violence, on évincera les esprits qui ne participent pas à la duplicité, et ce, bien entendu, de manière médiocre, par le déni, le reniement et le ressentiment.

La médiocrité nous incite de toute part à sommeiller dans la pensée, à faire du sur-place, à considérer comme inévitable ce qui se révèle inacceptable et comme nécessaire ce qui est révoltant. Si l’interdiction d’accéder à des villages de leur région est nécessaire pour Messieurs Messamba et Soumahoro, elle est, en revanche, inacceptable et révoltante pour tout ivoirien respectueux du droit et ouvert à l’autre. La médiocrité nous idiotifie.

Que Messieurs Messamba et Soumahoro pensent la CIV en fonction de variables moyennes est tout à fait compréhensible, que des êtres puissent ressembler à tout point de vue à ces figures moyennes va de soi, qu’il y ait une injonction sourde ordonnant à des chefs de villages ainsi qu’à des jeunes d’incarner à l’identique cette figure moyenne est, par contre, une chose que d’aucuns avec un esprit réflexif, ne sauraient admettre.

Une contribution de Jacques-André Gueyaud, Ph.D