Crimes de sang des forces pro-Ouattara à Daloa, le 28 mars 2011: Témoignage poignant d’un Prêtre

Le 27 mars 2012 par Notre voie - “Comment j’ai vécu l’arrivée des rebelles à Daloa le 28 mars 2011”. Tel est l’intitulé du récit poignant d’un Prêtre de la Mission catholique de Daloa qui a vécu avec d’autres réfugiés, l’enfer dans la Cité de

Père Jean K.

Le 27 mars 2012 par Notre voie - “Comment j’ai vécu l’arrivée des rebelles à Daloa le 28 mars 2011”. Tel est l’intitulé du récit poignant d’un Prêtre de la Mission catholique de Daloa qui a vécu avec d’autres réfugiés, l’enfer dans la Cité de

l’Antilope prise par les forces pro-Ouattara. Composées de dozos, de rebelles et de mercenaires Burkinabé etc. Lisez plutôt.
«Séjournant à Daloa lors des événements post électoraux, je relate à travers ces lignes comment j’ai vécu l’arrivée des rebelles dans la cité des antilopes, ce lundi 28 mars 2011.
Comme tous les habitants de Daloa, plusieurs semaines avant l’arrivée des rebelles, la rumeur couvrait toutes les rues, les lieux de travail, les écoles, les habitations et les maquis de la ville comme ce fut le cas en octobre 2002 lors de la prise de cette ville par les rebelles de Soro Guillaume Kigbafori. Elles étaient souvent susurrées, souvent bruyantes et braillardes. La ville, pendant ce temps, était plongée dans une grande psychose. Les bruits de bottes à Vavoua et Duékoué, deux villes voisines enflaient la rumeur et la psychose. A tout cela s’ajoutaient les manifestations souvent dramatiques d’élèves qui se découpaient souvent à la machette et se blessaient à coups de pierres à cause de leurs opinions politiques divergentes.
Le jour même de leur arrivée, dans la journée, une terrible panique s’est emparée de la ville. En un laps de temps, tous les bureaux et magasins ont fermé, les travailleurs sont rentrés précipitamment chez eux par les moyens dont ils disposaient. De ce fait, les rues se sont vidées de leur ambiance et monde habituels. Les taxis sont eux aussi entrés dans la danse en garant purement et simplement sans penser à la recette quotidienne que leurs différents employeurs pourraient leur exiger à bon droit. Chacun y allait de ses récits et de ses informations qu’il détenait de «sources sûres» : les combats feraient rage à Duékoué, ils se seraient intensifiés sur l’axe Daloa-Vavoua ; nos troupes seraient en situation délicate et les rebelles seraient donc aux portes de Daloa qu’ils prendraient dans quelques minutes. Caché ou assis à la maison ou au maquis, chacun attendait, apeuré et traumatisé, la suite des événements. Les appels téléphoniques pendant ce temps se multipliaient et tout cela rendait bien évidemment l’ambiance extrêmement délétère, morose et tendue. Tout le reste de la journée fut vécu dans cette triste et lourde ambiance, cette peur et psychose généralisées. On eût dit qu’un mauvais esprit traversât Daloa, ce jour-là.
A 23h30min de ce lundi 28 mars 2011, la première détonation se fit entendre. Elle était puissante, abasourdissante et assommante qui a remué toute la ville et les maisons. Les quelques noctambules incorrigibles ont dû ramper pour entrer dans leur cachette. Assis à mon bureau de travail à la maison, j’étais en train de surfer pour avoir les dernières informations et envoyer quelques mails à des amis qui voulaient avoir des informations de source quand, moi aussi, j’entendis cette terrible déflagration. La peur au ventre, je m’allongeai sans chercher mes restes dans mon lit, n’oubliant pas toutefois de faire ma prière comme d’habitude. Se confier à Dieu en ce moment précis était la seule protection rapprochée sûre.
Les détonations se succédèrent à une allure incontrôlée, aussi effroyables, les unes que les autres. On eût dit qu’elles rivalisaient en puissance à qui mieux mieux ; que d’un moment à l’autre, tout Daloa s’écroulerait comme château de cartes. Je me posai la question de savoir d’où elles venaient : du camp de la République ou de celui des rebelles ? Bien entendu, je ne pouvais pas avoir de réponses à ma légitime interrogation qui me brûlait pourtant l’esprit. Toute la nuit fut ainsi rythmée par toutes ces détonations à couper le souffle.
Habitant le quartier Abattoir II, quartier tristement réputé pour sa précarité, je crus toute la nuit que ces détonations en provenaient. Car depuis quelques jours, il se racontait que des rebelles s’y seraient refugiés avec la complicité des habitants dioula, supporters indécrottables d’Alassane Ouattara, soutien reconnu de la rébellion armée. Ils y auraient caché des armes de guerre pour attaquer le moment venu. Les nombreuses patrouilles de la police n’auraient pas été fructueuses.

Les rebelles
pro-Ouattara prennent Daloa

Ainsi, je croyais fermement toute la nuit que ces détonations provenaient de mon quartier, donc juste à côté de moi, au-dessus de ma tête, selon ma position dans mon lit. De toutes les façons, leur proximité ne pouvait pas contrarier ma conviction nocturne, me laissai-je convaincre.
Aussi, toute ma nuit et certainement celle de tous les habitants de Daloa fut rythmée et scandée par les fracas de ces armes de guerre insolites et volontairement cruelles. Mon sommeil, quand il venait, était évidemment perturbé.
Couché et apeuré dans mon lit comme un petit enfant loin de sa mère bienveillante et protectrice, je me mis à réfléchir en me posant des questions qui secouaient mon intelligence et ma foi à ce moment précis: pourquoi la guerre ? Quand eut lieu la première ? Pourquoi les hommes se font-ils la guerre ? Pourquoi les hommes fabriquent-ils des armes aussi meurtrières pour s’entretuer ? Pour cette présente guerre qui venait de se déclarer derechef, je me demandais pourquoi une simple crise électorale qui survient partout dans les pays même civilisés et développés, peut-elle, chez nous, prendre une telle allure meurtrière ? Quels étaient donc les vrais motifs et enjeux de notre élection passée ? Etait-elle une élection de sortie de crise ou avait-elle d’autres enjeux que nous ignorons ? Pourquoi avoir mis tant de sous dans cette élection pour se retrouver pire qu’auparavant ? Je n’eus pas de réponses à mes questions pourtant existentielles. D’ailleurs mon but en les posant, à ce moment précis, n’était pas de trouver des réponses. Mais les poser déjà me soulageait et me réconfortait merveilleusement. Toute la nuit, les armes tonnèrent, tonnèrent et tonnèrent sans cesse comme si tous les démons de la guerre s’étaient donné rendez-vous chez nous pour livrer la guerre au bon Dieu et à ses anges comme dans les contes que nous racontèrent nos grands-parents.
Arriva le jour. Il était 7h quand je sortis de ma chambre, je dirais plutôt de ma cachette. Malheureusement, mon premier contact avec l’extérieur se fit avec la rencontre des rebelles ! Quelle histoire ! Ils étaient trois, armés jusqu’aux dents, comme on dit.
-« Ouvrez ! Vous cachez des militaires et des gendarmes dans votre maison. On va vous tuer, vous égorger… Nous, on est venus pour la paix, pour la justice. Gbagbo a des foutaises. Il a perdu et il ne veut pas donner le pouvoir à notre frère Alassane…On va vous tuer tous si on trouve des armes et des militaires chez vous… Cafris ( ) que vous êtes… » .Je ne sus comment je me retrouvai nez à nez avec l’un d’entre eux, l’arme bien orientée dans la direction de ma poitrine et le doigt sur la …gâchette de surcroît ! C’est-à-dire au mauvais endroit pour moi. Mon souffle s’arrêta net. Je me rappelai sur ces entrefaites que je n’avais pas dit ma prière en me levant ce matin : «Quelle erreur !», me suis-je dit intérieurement. Il cracha ainsi en ma direction : «Toi tu es un gendarme de Gbagbo. D’ailleurs, tu ressembles à un gendarme. Fais-moi voir tes doigts. Pourquoi tu n’es pas habillé comme les autres ? Si tu ne réponds pas je vais te tuer tout de suite. Nous, on est venus pour tuer. On aime les hommes mais on est sans pitié.» Mes frères qui ont compris mon drame s’approchèrent pour faire comprendre au rebelle que je n’étais pas un gendarme, mais prêtre. Sans être convaincu, il entra précipitamment dans ma chambre, l’arme bien au poing non sans me prévenir : «si jamais je trouve un militaire de Gbagbo dans ta chambre, je vous tue tous. Nous, on est venus pour la paix et la justice. Gbagbo a des foutaises sur nous…». Il mit à sac ma chambre et sortit précipitamment. «Où sont les autres avec qui vous vivez ici là? Ils n’ont qu’à sortir. Vous cachez les militaires de Gbagbo. On va vous tuer tous. Nous, on est venus pour la paix et la justice…» Sur ces faits, comme si un mauvais génie l’étreignait, il tambourina de toutes ses forces sur la porte de la chambre voisine à la mienne. Y étaient cachés quelques hommes et femmes. Ceux-ci sont venus se réfugier chez nous ; certains depuis la veille. Ils sont venus d’un village sur l’axe Daloa-Vavoua où, semble-t-il, les batailles faisaient rage ; d’autres dès les premières détonations de la nuit. «Ouvrez, vous êtes garçons et puis vous avez peur. Ouvrez vite sinon je tire sur vous. Moi je m’appelle Terminator, je suis sans pitié. Je tire sur tout ce qui bouge». S’adressant à un des réfugiés bien bâti, il lui dit : «Toi, qui tu es ? Tu es un gendarme. Montre tes doigts. Relève tes pantalons et montre tes mollets». Le pauvre monsieur s’exécuta sans sourire, tremblant de tout son long. - «Tu fais quoi ?» - «Je suis baoulé» (sic). - «Je dis tu fais quoi ?» - «Je suis planteur » - «où ça ?» - «Là-bas» - «Là-bas où ça ?» - «Sur la route de Vavoua» - «Pourquoi tu es ici ? Tu fais quoi ici ? Tu es planteur ou militaire ?» Sans attendre cette fois-ci de réponse, il s’adressa à l’autre. En faisant tournoyer le bout de son arme autour de sa tête, il lui révéla net : -«Toi, tu ressembles à mon ennemi. Tu fais quoi ?» - «Je suis mécanicien». Il abandonna précipitamment ce monde et rejoignit les autres rebelles sans crier gare.

Des combattants venus du Burkina Faso

Celui qui semblait être leur chef nous apprit qu’ils sont ici sur indications. Ils étaient effectivement accompagnés de deux jeunes gens en tenues civiles qui leur servaient d’indicateurs de cours des éléments des Forces de Défense et de Sécurité (Fds). Il nous apprit aussi qu’ils étaient très pressés. Qu’ils sont venus, la plupart d’entre eux, du Burkina Faso. Qu’ils ont une mission de quelques jours seulement et qu’on ne devrait pas donc perdre leur si précieux temps. Il nous martela encore avec insistance et violence : «Nous, c’est Gbagbo on veut. Gbagbo a des foutaises. Depuis quatre mois, il ne veut pas que notre chef Alassane soit président. Nous, on vient de Korhogo et de Burkina Faso pour libérer la Côte d’Ivoire. Gbagbo ne doit plus rester là. On va le tuer. Celui qui n’est pas d’accord ou qui est avec lui on va le tuer aussi. Et si la mort même ne veut pas qu’on tue Gbagbo, on va la tuer elle-même ( !) Nous, on n’est sans pitié». Traumatisés et apeurés, nous restions cois à les regarder et écouter débiter leur haine viscérale contre Gbagbo et ses partisans. Avant de nous libérer, l’un d’eux jeta un coup d’œil sur la voiture et lança à l’endroit de son propriétaire : «Hé Dja ! vié môgô, voiture-là je vais venir prendre ça après pour mes weekends. Tu vas me donner non ! Je te ramène ça après. Fais-moi confiance ! On n’est pas venu pour faire le mal. Nous on n’est pas voleurs. On est sauveurs». Le propriétaire acquiesça timidement de la tête. «A quelle heure, je peux venir prendre ça, hein ?» Le propriétaire fit voir la montre-bracelet que portait ce rebelle visiblement plus excité que les autres. Il lui indiqua le moment sur sa montre sans lire l’heure. Mais ce rebelle semblait ne pas savoir lire sa propre montre. «A quelle heure ?», sonna-t-il. «A 6h», répondit le propriétaire effrayé.
Pendant ce temps, les balles sifflaient encore et encore sur le reste de la ville et les détonations moins effrayantes de plus en plus. La situation semblait maîtrisée par les rebelles qui, certainement, cherchaient maintenant à assurer leurs arrières.
A la paroisse où nous nous sommes réfugiés désormais, les autres réfugiés commencèrent à affluer baluchons et autres nécessités sur la tête ou lourdement portés en main. Les plus petits au-devant de leurs parents, qui ne comprennent rien à tout ce qui leur arrivait et apeurés entrèrent dans la cour de la mission avec ceux-ci. C’était la stupeur totale dans la mission et dans le quartier. Le silence avait pris rendez-vous avec les hommes.
Cependant, nos frères dioulas, voisins du quartier, exultaient de joie. Ils ne semblaient nullement menacés ou inquiétés par cet événement pourtant dramatique qui se déroulait sous nos yeux. Pourquoi ? En tout cas moi, je ne le sais pas. Cependant, avant l’arrivée des rebelles, j’entendais dire que nos frères dioulas voulaient se venger de toutes les injustices que nous autres Cafris et Boussoumanis leur avions causées. C’était pour eux l’occasion tout rêvé de régler leur compte aux autres qui n’étaient pas comme eux, les impies, fils du diable qui doivent brûler sans pitié dans le feu de l’enfer. Est-ce cela qui justifiait qu’ils soient si heureux, petits et grands, alors que les balles crépitent et que l’ensemble de la population est apeuré et terré ou cherche refuge en un endroit rassurant comme la mission ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Ma préoccupation actuelle est de savoir ce qui va se passer par la suite et comment y échapper au cas où le pire survenait.
Autour de 10h, nous recevions une autre visite à la Mission. N’ayant certainement pas compris l’heure du rendez-vous que le propriétaire lui a fixée, notre rebelle, flanqué d’un nouveau compagnon que les réfugiés de la Mission et les voisins autour ont identifié comme un jeune dioula du quartier, vendeur de portables au Black (quartier commerce), vint chercher «sa» voiture. Sans résistance, le propriétaire, qui se trouve être le curé, la lui «offrit» après avoir pris le soin d’en extraire les pièces et divers autres accessoires.
- «Vié môgô, merci è, tu es gentil quoi ! Je t’envoie ça tout de suite, à 6h. Tu as compris non ? Nous on n’est pas venu pour faire du mal à la population. On est là pour la sécurité. C’est Gbagbo seulement on vé. Il a trop de foutaise ce môgô-là. Mais il va voir… !» On lui ouvrit le portail. Il eut du mal à sortir son butin de la cour de la Mission.

Le Curé donne sa voiture sous la menace

Quand il réussit à le faire, celui-ci s’éteint net au grand désarroi de son nouveau propriétaire. «Eh vié môgô, ta voiture ne vé pas partir ou bien ?» Pendant un bon moment, il eut du mal à la rallumer. Enfin il y parvint. Mais la bouger était une autre épreuve. La voiture était complètement immobilisée. Intérieurement, j’étais très content de la tournure que prenait cette affaire de voiture devenue butin de guerre. Je vis le rebelle transpirant à grosses gouttes et s’essuyant le visage à l’aide de ses deux paumes étrangement noires. Quelqu’un prit le risque de lui dire qu’à cette allure, il risque d’abîmer son butin de voiture. Mais lui ne prêta aucune attention à ce sage avertissement. Tout d’un coup, comme par enchantement, la voiture, après un vrombissement qui n’était pas loin des détonations de la veille, accompagné de fortes secousses en arrière et en avant, démarra dans un immense nuage de poussière au grand soulagement de nos deux rebelles et bien entendu à notre mécontentement. Prévu pour revenir quelques heures après, nous n’avions plus jamais revu «notre» voiture jusqu’à ce jour.
La Mission, pendant ce temps, se remplissait toujours de ses réfugiés. Les nouvelles que ceux-ci nous donnaient de la ville n’étaient pas reluisantes et rassurantes. Les rebelles avaient commencé à s’en prendre aux pro-Gbagbo. Les FDS seraient recherchés et traqués dans tous les quartiers sur indications des jeunes dioulas qui accompagnaient même les rebelles aux domiciles des FDS et des responsables de LMP. Je conclus que si ces informations étaient avérées, la situation risquerait de s’enliser. Peu importe, il fallait la gérer maintenant que nous sommes devant le fait accompli. Ils nous apprirent aussi que des maisons étaient déjà visitées par des rebelles en armes et des pillards qui n’attendaient que cette occasion rêvée.
Une autre visite de rebelles. Comme toujours, elle était précédée de tirs. Le curé ouvrit prudemment le portail. Leur chef se présenta : «Je m’appelle Chef bandit. Nous sommes venus pour libérer la ville…On nous a signalés que vous cachez des armes et des militaires ici. Nous sommes venus vérifier.» Le père n’eut pas le temps de leur dire de rentrer qu’ils étaient déjà dans la cour, les armes au poing, prêts à appuyer sur la gâchette. Stupeur totale dans la cour. Comment cette cour de la Mission, notre refuge le plus sûr, peut-elle devenir un camp militaire ? Surexcités, les rebelles nous demandèrent pourquoi il y a autant de personnes déplacées dans la cour ? Le prêtre répondit à leur chef que s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont pris peur des tirs et que ne sachant où aller en ce moment, ils sont venus se réfugier dans la cour de Dieu. Celui-ci, piqué par une forte colère, répliqua très vivement : - «Ah bon, c’est de nous que vous avez peur ? Au moment où les miliciens libériens et angolais de Gbagbo étaient là, vous n’avez pas eu peur. Pourquoi c’est de nous que vous avez subitement peur, nous qui sommes venus vous libérer et protéger ? D’ailleurs tous les garçons qui sont ici sortez tous on va partir avec vous.» Un des rebelles alla désigner un monsieur d’un certain âge tout apeuré et assis sous l’un des préaux de la Mission comme un gendarme.

Par Père Jean K. (NB : le titre est de la rédaction de Notre Voie)