Après avoir gagné les premières batailles à la Cpi: Le nouveau combat de Gbagbo

Le 13 mars 2012 par Notre voie - « …Il y a urgence ; la mise en place de l’équipe de défense étant suspendue à l’attribution, par le Greffe, d’une enveloppe permettant une défense effective… ». C’est le cri d’alarme qu’a lancé courant

Le Président Gbagbo lors de sa comparution à CPI, le 05 décembre 2011.

Le 13 mars 2012 par Notre voie - « …Il y a urgence ; la mise en place de l’équipe de défense étant suspendue à l’attribution, par le Greffe, d’une enveloppe permettant une défense effective… ». C’est le cri d’alarme qu’a lancé courant

janvier 2012 Me Emmanuel Altit, Conseil principal de Laurent GBAGBO dans ses différentes écritures à la Cour. Il priait très respectueusement le juge unique d’ordonner au Greffe d’accorder à son client l’aide judiciaire additionnelle dont il a besoin, pour s’assurer une défense effective. Il précisait à ce sujet, que assurer une défense effective signifie : «disposer de moyens qui donnent au Suspect ou à l’Accusé une marge de manœuvre et d’action suffisante pour analyser tous les documents reçus du Procureur (Accusa-tion), effectuer des recherches, élaborer une stratégie juridique, mener des enquêtes sur le terrain. C’est-à-dire, disposer de moyens suffisants pour s’opposer aux initiatives du Procureur et pouvoir mettre en œuvre une stratégie propre». Une défense effective écrit-il vise, au stade initial de la procédure à faire respecter le principe de l’égalité des armes qui lui-même contribue à garantir le droit fondamental d’un suspect ou d’un accusé, à un procès équitable, unique moyen de rendre justice.

Rappel des faits

Tout commence le 6 décembre 2011, lorsque ce lendemain de l’audience de sa comparution initiale devant la Cour, Laurent GBAGBO a été invité par le Greffe à faire un état de sa situation financière. Il indiquait dans un formulaire qu’il a rempli, être dans un dénuement total, pour la raison que ses seules ressources financières logées sur son compte bancaire, à l’Agence de la Riviera golf de la Société générale des banques en Côte d’Ivoire (Abidjan), n’étaient plus disponibles pour avoir été gelées.
Ainsi privé de l’intégralité de ses avoirs, y compris du strict minimum accordé dans les pays soucieux du respect des droits de l’Homme, aux personnes dans la même situation que lui pour répondre à leurs besoins fondamentaux, Laurent GBAGBO a déclaré être dans l’incapacité de payer les honoraires de ses avocats et de les décharger de leurs frais. En effet, depuis son transfert à La Haye dans les conditions qu’il a décrites devant la Cour, les conditions de travail de son équipe de défense se sont empirées. Il a demandé au Greffier de lui accorder une aide judiciaire.
Me Altit a décrit les conditions pénibles de travail de son équipe de défense au Greffier et attiré son attention sur l’urgence d’une réponse à la demande de son client. Ce dernier (le Greffier) se disant être dans le délai, que lui impartissent les textes pour rendre sa décision (30 jours à compter du dépôt de la demande), a paru très peu préoccupé de répondre à l’urgence signalée par l’équipe de défense.
Le13 décembre 2011, c’est-à-dire, une semaine après sa saisine, le Greffier n’avait toujours donné aucun signal dans le sens d’une rapide délibération. Mieux, il se montrait pointilleux, décidant d’envoyer ce jour son enquêteur financier pour compléments d’informations auprès de Laurent GBAGBO. Il voulait, dit-il, pour éclairer sa décision, avoir de plus amples renseignements sur les biens et autres avoirs financiers que des « informations publiques » dont il a eu vent, attribuaient à Laurent GBAGBO.
Il lui paraissait bien certainement inconcevable qu’un homme dépeint comme potentat africain, cupide, qui a pillé les ressources de toute nature de son pays, soit démuni au point de ne pouvoir être en mesure de payer les honoraires dérisoires de ses avocats. Sur le registre de ces biens et avoirs mirobolants, il convient de ranger les multiples châteaux aux USA, les comptes en banque bien garnis disséminés dans les paradis fiscaux que lui a généreusement prêtés la rumeur, malgré ses démentis répétés.
Cela a d’ailleurs motivé, l’ouverture par la Suisse d’une enquête sur l’intéressé pour blanchiment d’argent, qui n’a, au grand désespoir des plaignants, abouti à aucune poursuite. Le Procureur Luis-Moreno Ocampo dans sa requête à la Cour pour un mandat d’arrêt contre lui (Laurent GBAGBO) s’est référé à cette enquête suisse, classée sans suite. Le 15 décembre, le juge unique sensibilisé par l’équipe de défense sur l’urgence qu’il y avait pour elle à se mettre au travail dans de meilleures conditions, tant l’affaire était complexe et difficile, va lors de la conférence de mise en état du 15 décembre 2011, ordonner au Greffier de lui présenter un rapport dans un délai de deux semaines sur la question de l’aide judiciaire provisoire à Laurent GBAGBO. En tout cas, le 27 décembre 2011, Laurent GBAGBO a fourni au Greffe les renseignements complémentaires demandés. Le 28 décembre 2011, et dans l’attente des conclusions de l’enquête financière, le Greffier de la CPI a décidé qu’«au regard des circonstances et des informations soumises par le Demandeur, M. Laurent GBAGBO, est considéré éligible au titre de l’aide judiciaire totale…»

Ocampo se réfère à une enquête classée sans suite

Il convient de souligner la note particulière du Greffier à l’endroit de Laurent GBGAGBO qui n’ayant bien entendu rien à cacher, a spontanément décidé de coopérer avec le Greffe. Il a dûment autorisé, sans qu’il ne lui fasse la demande, le Greffier à effectuer toutes les démarches nécessaires, auprès de toutes les institutions financières et cadastrales du monde pour vérifier la sincérité des déclarations qu’il a faites. Un considérant dans sa décision du 28/12/2011 susvisée, est, on ne peut plus clair : «Considérant que pour faciliter ces enquêtes, le Demandeur a librement autorisé le Greffier, entre autres, à effectuer toutes les démarches nécessaires auprès notamment des institutions financières et cadastrales et, le cas échéant, à avoir accès à ses comptes en banque».
Cette décision qui reconnaissait l’état d’indigence de Laurent GBAGBO, nécessitait toutefois des précisions tant sur les modalités pratique du versement de l’aide au bénéficiaire que sur l’étendue de cette aide. A cette fin, le 28 décembre 2011puis le 05 janvier 2012, l’équipe de défense de Laurent GBAGBO s’est adressée au Greffe pour obtenir des précisions. Elle voulait aussi savoir si les dépenses engagées par la Défense entre le 30 novembre 2011 et le 6 décembre 2011, seraient prises en charge. Pour l’équipe de défense, son travail a débuté le 30 novembre 2011, le jour où Laurent GBAGBO a été remis à la CPI. Elle souhaitait donc la prise en compte de ses honoraires et autres frais à partir de cette date. Sur ce point, le Greffier souligne que textes de la Cour n’autorisent pas la prise en charge des dépenses faites à une période où aucune demande d’aide judiciaire n’avait encore été présentée. Une décision favorable rétroagit jusqu’à la date du dépôt de la demande et non pas en deçà de cette date, explique le Greffe. Sur l’étendue de l’aide, il sera répondu Me Altit qu’à la phase préliminaire de la procédure les ressources prévues sont: l’allocation d’une somme de 76.000€ destinée à payer et défrayer les enquêteurs et les différents experts, la prise en charge des dépenses d’une équipe de défense composée de trois personnes à savoir le Conseil principal, son assistant juridique et un chargé de la gestion du dossier, et une somme de 4.000€ mensuels destinée à rembourser les frais exposés par l’équipe de défense. Le Greffe précisait à l’équipe de défense qu'elle avait la possibilité de demander en temps opportun et par voie de requête motivée des ressources additionnelles. Pour Me Altit, il apparaissait dès lors, à ce stade de ses échanges avec le Greffier que celui-ci n’avait pas l’intention, du moins dans l'immédiat, de lui accorder les moyens financiers supplémentaires dont il a un besoin pressant pour mettre en place son équipe de défense.
C’est donc en désespoir de cause, comme il l’explique dans sa requête, qu’il aurait le 13 janvier 2012, saisi la Cour pour demander qu’il soit ordonné au Greffe d’attribuer à son client une aide supplémentaire couvrant les honoraires de trois assistants légaux, d’un case manager, de deux enquêteurs, des experts (experts militaires, politologues, anthropologues, historiens, experts médicaux et experts en législation ivoirienne) dont la présence ou la contribution seraient requises, ainsi que les frais afférents, y compris les frais de déplacement et d’hébergement. Il sollicitait aussi qu’il soit ordonné au Greffe la mise à la disposition de l’équipe de défense d’un second bureau, d’un service de communication sécurisée garantissant le secret des correspondances et du matériel informatique. Tout cela pour combler le faussé qui existerait, selon lui, entre les moyens colossaux alloués à l’équipe du Procureur intervenant sur le même dossier.

Les arguments de
Me Emmanuel Altit

Pour justifier ses demandes supplémentaires, Me Altit écrit : « qu’il s’agit d’une affaire particulièrement complexe ; c’est pourquoi il est important que l’équipe de défense soit organisée et composée de membres ayant une expertise et des compétences spécifiques ; c’est la condition sine qua non d’une défense effective »
Dans ses observations en réplique à cette requête, le Greffier balaie du revers de la main tous les arguments de Me Altit et persiste dans son refus d’augmenter ne serait-ce d’un kopeck les moyens déjà alloués à Laurent GBAGBO. Il s’arc-boute sur un juridisme plat au détriment de la question de fond qui est bien évidemment celle de créer les conditions d’un procès équitable à Laurent GBAGBO. Sa réaction face à la requête de Me Altit dévoile bien ses intentions. Il refuse d’emblée d’aller au fond de la requête, et demande au principal au juge unique de la déclarer, irrecevable. Motif : Me Altit aurait omis de préciser le fondement juridique de la saisine de la Cour. En dépit de cette grave omission, si la Cour souhaitait analyser la requête contestée, précise le Greffier, elle doit la considérer comme une demande présentée par une personne qui bénéficie de l’aide judiciaire, dans le but d’obtenir des moyens financiers supplémentaires, en vertu de la norme 83-3 du Règlement de la Cour.
Même ainsi justifiée, renchérit le Greffier, la requête de Me Altit ne serait pas pour autant purgée du vice dont il la trouve entachée. Aussi explique-t-il que s’il est reconnu à tout bénéficiaire d’une aide judiciaire aux frais de la Cour, le droit de réclamer des moyens supplémentaires, il ne peut le faire qu’en adressant une demande motivée au Greffier et non à la Chambre. C’est au Greffier qu’il doit s’adresser en premier lieu, pour susciter une décision. Ce n’est qu’à la suite de cette décision que le bénéficiaire non satisfait peut saisir la Chambre en vertu de la norme 83-4 pour lui demander d’examiner la décision prise par le Greffier. Or en l’espèce, le Greffier affirme mordicus n’avoir été saisi d’aucune demande d’aide additionnelle par Me Altit. Les échanges entre lui et l’équipe de Défense sur la question ainsi que le révèle Me Altit, n’auraient pas pris à ses yeux la forme d’une demande d’aide additionnelle. Faute de demande, à lui adressée en bonne et due forme, il dit n’avoir pris aucune décision sur la question. En l’absence d’une telle décision, la Cour ne saurait, sans outrepasser ses propres compétences, lui enjoindre d’augmenter le montant des fonds versés à un bénéficiaire d’une aide judiciaire, conclut le Greffier. La détermination du budget à allouer à un demandeur n’est pas de la compétence de la Cour insiste-t-on du côté du Greffe qui se réfère à la jurisprudence établie de la Cour. Pour ces raisons, le Greffier a demandé de déclarer irrecevable la requête de Me Altit.
Subsidiairement, il plaide pour un rejet de la requête dans son intégralité comme mal fondée, si la Cour, par extraordinaire, devait la déclarer recevable. Il expose que l’octroi des ressources est régi par des textes. C’est en application de ces textes que des ressources ont été affectées à la Défense. Il cite notamment le paragraphe 32 des Ajustements qui prévoit pour la Défense au stade préliminaire où se trouve l’affaire Laurent GBAGBO c. Le Procureur, la prise en charge d’une équipe de base composée de trois personnes : Un Conseil principal, un assistant juridique et un gestionnaire de dossier.

Un dialogue de sourds

Allouer des fonds supplémentaires à Laurent GBAGBO pour lui permettre de se doter d’une équipe pluridisciplinaire de Défense composée de la manière décrite par Me Altit dans sa requête, reviendrait aux dires du Greffe, à violer le texte susvisé, à rompre tous les principes d’équité et d’égalité de traitements qui doivent être réservés à toutes les personnes déférées devant la Cour. Une certaine flexibilité a été introduite dans le système des aides judiciaires pour prendre en compte des aléas du terrain, reconnaît le Greffe. Dans cet objectif, il souligne dans ses observations que l’octroi de ressources additionnelles est strictement encadré par des paramètres objectifs énumérés de façon non exhaustive dans les textes régissant les aides. Me Altit bien qu’informé de l’existence de ces documents pertinents, n’en aurait pas tenu compte dans la formulation de sa requête à la Cour, affirme le Greffe. La simple évocation de la complexité de l’affaire telle qu’il l’a écrit pour justifier sa demande d’aide additionnelle, sans autre clarification à cet égard ne justifierait à pas à suffisance, aux yeux du Greffier, le bien fondé des ressources sollicitées. Chaque demandeur rappelle-t-il est tenu de démontrer en quoi les moyens supplémentaires sollicités devraient être accordés en fonction de la nature de l’affaire. Après cet échange de conclusions, la Cour a délibéré et rendu sa décision le 27 janvier 2012.
Elle a déclaré irrece-vable la requête de Me Altit en ce qui concerne l’étendue de l’aide judiciaire accordée à Laurent GBAGBO, après avoir noté que la compétence de la Cour en matière d’aide additionnelle est circonscrite à l’examen, sur requête de la personne bénéficiant de l’aide, de la décision rendue par le Greffier. Enfin la cour a rappelé sa jurisprudence antérieure pour dire que le montant des fonds versés aux équipes de défense est une question relevant de la compétence du Greffier et non pas de la Chambre.
Voici donc Me Altit renvoyé devant le Greffier pour (re)discuter de la question de l’aide additionnelle au bénéfice de son client. A ce jour, le Conseil principal qui ne doute pas de la réponse qui sera réservée, n’aurait pas encore introduit une demande auprès du Greffier. La question posée par ce dialogue de sourd entre la Défense et le Greffe est claire : Doit-on abandonner la question des moyens financiers nécessaires à la défense de Laurent GBAGBO à la seule «sagesse» du Greffe de la Cour pénale internationale ? Solidarité et gratitude où êtes-vous donc passées?

James Cénach, Correspondant permanent en Europe