Blocage des transfèrements à La Haye : Vers la libération de Gbagbo ?

Publié le lundi 23 avril 2012 | L'Inter - Les explications d’un juriste
Ce que la CPI va faire.

Laurent Gbagbo lors de l'audience de comparution initiale à la CPI, le 05 décembre 2011.

Publié le lundi 23 avril 2012 | L'Inter - Les explications d’un juriste
Ce que la CPI va faire.

On en sait un peu plus sur la volonté du président Alassane Ouattara de faire dorénavant juger les personnalités ivoiriennes, poursuivies pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Côte d’Ivoire, par les juridictions ivoiriennes, et non plus par la Cour pénale internationale (CPI). Faut-il le rappeler, au cours de ses récentes interventions sur la question, notamment les interviews tant sur les médias nationaux qu’internationaux, le chef de l’Etat avait clairement dit sa préférence de voir les présumés coupables jugés en Côte d’Ivoire. « Je préfère qu’on les juge ici », a-t-il dit le vendredi 30 mars dernier au cours de son entretien à la télévision nationale. Le président Ouattara estime en effet que la justice ivoirienne dispose désormais des ressorts nécessaires pour assurer un procès équitable aux justiciables ivoiriens. Plus besoin donc de les transférer à la Cour pénale internationale, comme ce fut le cas le 29 novembre 2011, pour l’ex-président Laurent Gbagbo, qui séjourne à la prison de Scheveningen depuis bientôt cinq mois. « Désormais, le président Alassane Ouattara souhaite que la Côte d’Ivoire recouvre son entière souveraineté judiciaire. Tel est en substance le message qu’il a fait passer à la Gambienne Fatou Bensouda (successeur du procureur Ocampo à la CPI ndlr) en la recevant le 03 avril à Abidjan, en présence de Loma Cissé Matto, sa ministre déléguée à la Justice », avaient indiqué récemment des confidences rapportées par le site du journal Jeune Afrique. Ouattara coupe ainsi l’herbe sous le pied des juges de la CPI, qui en plus de Laurent Gbagbo, avaient également dans leur viseur cinq autres personnalités ivoiriennes présumées coupables, dont des pro-Ouattara. Leur sort sera désormais décidé par la justice ivoirienne comme le souhaite le chef de l’Etat.

La stratégie Ouattara

Pour parvenir à cette décision, le N°1 Ivoirien a eu recours à l’expertise de ses conseillers juridiques. Au-delà donc d’être perçu comme un simple coup politique, la volonté du président Ouattara repose sur un mécanisme juridique simple qui freine l’action de la justice internationale contre les personnalités ivoiriennes. Selon un juriste bien informé du dossier que nous avons joint hier par téléphone, « les autorités judiciaires ivoiriennes ont, depuis fin février 2012, inculpé plusieurs personnalités ivoiriennes déjà en détention, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide ». Des crimes qui sont habituellement du ressort et de la compétence de la CPI. Le hic, c’est qu’étant une juridiction subsidiaire, complémentaire aux juridictions nationales, c’est-à-dire qu’elle intervient là où l’Etat qui la sollicite est incompétente, la CPI se trouve ainsi bloqué. Les personnalités, pro-Gbagbo ou pro-Ouattara, qui sont donc poursuivies par la justice ivoirienne pour ces crimes, ne peuvent plus l’être par la justice internationale, pour les mêmes crimes. Fatou Bensouda et son équipe devraient donc ranger leurs mandats d’arrêt internationaux contre ces Ivoiriens. En termes clairs, si Simone Gbagbo, Dogbo Blé ou autres membres de l’ancien régime, sont sur cette liste de personnalités qui devront répondre de crimes contre l’humanité ou crimes de guerre devant la justice ivoirienne, alors ils ne prendraient plus l’avion pour La Haye, la ville hollandaise qui abrite le siège de la Cour pénale internationale. Par cette tactique, Ouattara met ainsi à l’abri d’un transfèrement à La Haye, les pro-Gbagbo et les pro-Ouattara qui seraient poursuivis par la justice internationale, si l’on en croit les explications de l’homme de droit.

Le cas Gbagbo

Ce n’est cependant pas le cas pour Laurent Gbagbo, qui lui, séjourne déjà à La Haye. Le fait, c’est que l’ancien président ivoirien est poursuivi par la justice ivoirienne pour crimes économiques, comme la quasi-totalité de ses proches. A la différence qu’en plus de cette inculpation (crimes économiques), Laurent Gbagbo a également été inculpé pour crimes contre l’humanité, mais par la Cour pénale internationale (CPI) à la demande des autorités ivoiriennes. Ce qui a conduit à son transfèrement. Mais Gbagbo sera-t-il le seul ivoirien, présumé coupable à séjourner à La Haye ? Avec l’évolution de la situation, y-a-t-il des chances que l’ex-président ivoirien soit ramené en Côte d’Ivoire pour être jugé, vu que la justice ivoirienne peut désormais traiter des cas de présumés coupables de crimes de guerre et crimes contre l’humanité ? La CPI va-t-elle finalement se débarrasser de ce prisonnier devenu encombrant ? Autant de questions qui taraudent l’esprit. Là-dessus, voici l’explication que notre juriste joint hier sur la question. « En droit, quand une juridiction est saisie, elle ne peut se dessaisir sans rendre une décision. En ce qui concerne le cas de Laurent Gbagbo, son retour ou non en Côte d’Ivoire, dépend de la CPI qui devra rendre une décision qui vide sa saisine. Elle peut décider de se dessaisir, en déclarant l’irrecevabilité du dossier Gbagbo, ou son incompétence. Ou alors, elle peut décider de continuer la procédure. Tout dépend donc de la décision de la CPI », a clarifié l’homme de droit. Il faut noter que le 18 juin prochain aura lieu l’audience de confirmation des charges contre Laurent Gbagbo. Son sort va se jouer à cette date.

Hamadou ZIAO