Cour pénale internationale: Le président Gbagbo en danger

Par Le Nouveau Courrier - Cour pénale internationale. Le président Gbagbo en danger.

Cour pénale internationale. Le président Gbagbo en danger.

La décision du juge unique de la Chambre de première instance I autorisant l’accès des documents confidentiels dans l’affaire Gbagbo viole les droits de l’accusé mais surtout remet en cause l’équité de la procédure. Le verrou qui protège l’identité des témoins saute également. Ce qui fait planer un réel danger sur le procès du président Laurent Gbagbo qui débute en juillet 2015 à la Cour pénale internationale (CPI). Conséquence : son droit à un procès équitable, ne serait-ce que sur la forme, est déjà compromis.

C’est le président Laurent Gbagbo, dont le procès doit s’ouvrir le 7 juillet prochain, qui est tout simplement mis en difficulté. Surtout quand un juge se permet de bafouiller les règles minimales de la procédure ainsi que des interprétations très subjectives des textes, ou encore quand ce dernier met en danger l’identité des témoins. En somme, c’est l’équité et l’impartialité de la procédure qui vise Gbagbo qui sont fondamentalement remises en cause par le juge unique de la Chambre de première instance I. Et cela suscite bien évidemment l’indignation de la défense.

En effet, le 19 janvier dernier, le Juge unique Geoffrey Henderson a autorisé le Représentant légal des victimes à avoir accès à certains documents confidentiels dans l’affaire le Procureur contre Laurent Gbagbo ainsi qu’aux documents classés sous la Règle 77 de la Procédure de Règlement et de Preuve de la CPI. Pour être plus précis, les éléments de preuve Règle 77 sont des documents qui seront utilisés par le Procureur « comme moyens de preuve à l’audience de confirmation des charges ou au procès, ou qui ont été obtenus de l’accusé ou lui appartiennent » et qu’il met à la disposition de la Défense pour la préparation de la défense de l’accusé. Les juges n’ont même pas accès à ces documents qui ne sont pas versés au dossier de la procédure mais simplement transmis par le Procureur à la Défense sous forme inter partes (entre les parties). Face à cette situation inédite, Me Emmanuel Altit, avocat principal du président Gbagbo, s’oppose à cette décision du juge unique et exhorte la Chambre de première instance à ne pas communiquer au représentant légal des victimes ces documents «non utilisés par les parties ou confidentiels par nature» qui ne sont pas forcément utilisés au procès.

Dans une requête adressée le 27 janvier à la Chambre de première instance, il demande la suspension des effets de la décision du juge unique. «S’il était divulgué au Représentant légal des documents par nature confidentiels (ouverts par le secret médical, le principe du respect à la vie privée, le secret professionnel, etc.), des documents classés confidentiels par les parties, des documents non portés au dossier de l’affaire (…) cela conduirait d’une part, à une atteinte aux principes protégeant la vie privée de l’intéressé et entrainerait des conséquences irréversibles ; et d’autre part pourrait entrainer une mise en danger des témoins si des éléments tels que le nom ou des informations permettant de localiser des témoins de la défense étaient transmis au Représentant», s’inquiète Altit qui invite la Chambre à se prononcer également sur sa demande d’autorisation d’interjeter appel de cette décision du 19 janvier formulée le 26 janvier.

Les droits de Gbagbo piétinés, Altit démonte la décision du juge unique

En effet, dans cette requête de 18 pages, la défense étaye mieux son argumentation et les raisons qui motivent sa réticence à transmettre ces documents sensibles. Me Altit souligne que, outre les informations divulguées par la Défense et l’Accusation, la décision du juge unique donne également au Représentant, « un accès automatique » à tous les documents portés au dossier de l’affaire y compris les documents que les parties n’ont pas l’intention d’utiliser comme les documents couverts par le secret médical, les documents concernant la vie privée de Gbagbo ou tout autre document confidentiel non portés au dossier ou déposé avec le souci de protéger l’identité des témoins ou leur sécurité. Ce qui les textes de la CPI n’autorisent pas. « Le Représentant ne doit avoir accès qu’aux documents que les parties ont décidé de lui transmettre. En effet, les victimes ne sont pas parties à la procédure et ne peuvent être traitées sur le même plan qu’une partie (…) Le Statut précise que les victimes ne sont pas parties au procès et ne peuvent intervenir que sous certaines conditions « lorsque leurs intérêts personnels sont concernés » (article 68(3)). Les parties enquêtent et sont seules capables de savoir si la divulgation d’un document ou d’une attestation peut avoir des conséquences quant à la sécurité des personnes qui y sont mentionnées. De plus, un certain nombre de témoins ou d’Institutions ne collaborent avec les parties qu’à la condition expresse que leur témoignage ou le fruit de leur collaboration reste inconnu du public et en particulier des victimes. Il est à ce titre intéressant de relever que des Institutions onusiennes ou étatiques pourraient ne collaborer, dans un dossier aussi délicat, qu’à la condition expresse que les documents qu’elles fourniraient aux parties seraient gardés confidentiels», explique l’avocat français.

Si la défense n’est pas en mesure d’offrir des garanties de confidentialité aux personnes qu’elle sollicite, des témoins ou personnes ressources susceptibles de l’aider à rétablir la vérité des faits lors du procès de son client qui s’ouvre le 7 juillet prochain pourraient marquer leur réticence à coopérer avec elle. Surtout qu’il lui faut mener des contre-interrogatoires et des contre-expertises à propos des enquêtes et éléments de preuve du Procureur. Il est évident que la CPI apporte insidieusement à Fatou Bensouda un soutien décisif puisqu’elle lui permet de faire prospérer plus aisément sa version – fut-elle tronquée – des événements. Ce qui n’est évidemment pas à l’avantage de Gbagbo qui est injustement incarcéré à la prison de Scheveningen de La Haye depuis plus de trois ans.

Le juge unique outrepasse ses prérogatives

Le juge unique a donc outrepassé ses prérogatives qui consistent à s’occuper « uniquement » de questions d’administration quotidienne (questions de procédure précises, établissement du calendrier ou l’organisation des échanges entre les parties ou encore la gestion des conditions de détention) en prenant une décision grave de conséquences qui nécessitait pourtant l’arbitrage de l’ensemble des juges de la Chambre de première instance. « La décision devrait être annulée en raison d’un vice de forme », réclame Me Altit qui rappelle qu’« aucune disposition du Statut ou du Règlement ne prévoit que le Représentant puisse avoir accès à des documents échangés inter partes ». L’avocat de Gbagbo souligne que c’est la « première fois » qu’un juge considère le Représentant légal des victimes comme partie à la procédure. Une approche qui n’est pas conforme à la lettre et à l’esprit des « textes fondamentaux » de la Cour. « Il n’existe donc pas de base légale à la décision de principe prise par le Juge unique », fait-il remarquer.

Sa déduction : « Le Juge unique a commis une erreur de droit en considérant que les victimes pouvaient avoir accès à toutes les informations dont disposaient les parties, y compris les informations couvertes par le secret médical, le principe du respect à la vie privée, le secret professionnel, etc. ». D’autant plus que des informations sur par exemple la santé de Gbagbo ne peuvent être rendues publiques que s’il l’autorise. « Du point de vue des experts [qui avaient examiné la santé de Gbagbo] mandatés par la Cour en juillet 2012, le contenu des expertises médicales ne peut en aucun cas être divulgué à des tiers sans l’accord express de l’intéressé car seules les conclusions des rapports peuvent être utilisées dans une procédure judiciaire», précise Me Altit, qui rappelle que la Chambre Préliminaire n’avait pas à l’époque respecté cette exigence.

Ces vices de procédure, basés sur des décisions controversées, font planer un réel danger sur le procès du président Laurent Gbagbo qui débute en juillet 2015, soit dans six mois selon le calendrier actuel. Si la décision du juge unique est exécutée, et que tous les documents dans l’affaire sont transmis au Représentant, c’est le droit de Gbagbo à un procès équitable, du moins dans la forme, qui est déjà compromis. Au-delà du caractère fondamentalement politique de son dossier.

Anderson Diédri