Scandale - Emplois Jeunes Côte d'Ivoire. Le DG de la Sotra pris dans le piège du « rattrapage ethnique». La Banque Mondiale lui réclame une liste de 130 personnes

Par IvoireBusiness - Scandale - Emplois Jeunes Côte d'Ivoire. Le DG de la Sotra pris dans le piège du « rattrapage ethnique». La Banque Mondiale lui réclame une liste de 130 personnes.

Méité Bouaké, DG de la Sotra.

Comme c’est étrange ! Voilà plusieurs semaines que le Bureau local de la Banque mondiale attend des dirigeants de la Sotra la production d’une liste de 130 stagiaires sur 320 qu’ils prétendent avoir embauchés à la fin de leur formation de 12 mois financée par la Banque mondiale.
« L’Eléphant » a cherché à savoir pourquoi.

Création d’emplois jeunes et développement de compétences
Par l’Accord de Don IDA-H7340 conclu le 3 décembre 2011 entre le gouvernement de la République de Côte d’Ivoire et la Banque Mondiale, l’Association Internationale de Développement (IDA) a accepté de consentir au gouvernement un Don pour le financement de la mise en œuvre du Projet de Création d’Emplois Jeunes et de Développement des compétences (PJEDEC). Ce projet vise à améliorer l’employabilité des jeunes de 18 à 30 ans en leur offrant des opportunités d’accès à l’emploi et au développement des compétences. Le gouvernement de Côte d’Ivoire a alors décidé de confier à l’Agence d’Etudes et de Promotion de l’Emploi (AGEPE), structure nationale chargée de la mise en œuvre de la politique de l’emploi, la responsabilité de l’exécution des volets 1 « mise en stage de la composante 2 » du projet intitulé «développement des compétences et aide à l’emploi au profit des jeunes. Ainsi, ces jeunes sélectionnés sur la base de leur inscription au PJEDEC sont placés en entreprise en vue d’y effectuer un stage de qualification… ».
Voilà l’objet du contrat signé entre les stagiaires sélectionnés, l’Agepe, le Bureau local de la Banque Mondiale et plusieurs entreprises ivoiriennes dont la Société des Transports Abidjanais (SOTRA). Mais si les choses se sont passées dans une relative transparence dans les autres entreprises, à la Sotra en revanche, un brouillard épais a entouré le processus. Résultat : les dirigeants de cette entreprise d’Etat n’arrivent pas à apporter à la Banque Mondiale, la preuve de leurs propres déclarations.

De l’Agepe à la Sotra
A la suite d’un test psychotechnique qu’ils ont subi dans les locaux de l’Agepe, test suivi d’un entretien à la Sotra, 320 jeunes diplômés sur plus d’un millier, ont été retenus par cette entreprise pour un stage de six mois renouvelable une fois. Et selon le contrat signé avec ces jeunes diplômés, à la fin de leur stage et en cas de besoin de recrutement, la Sotra devrait embaucher prioritairement certains de ces stagiaires.
Après la signature des contrats en début d’année 2013, les 320 diplômés ont subi une formation de 15 mois pour certains et 17 mois pour d’autres. La prime de stage, 65 mille FCFA par mois, a été entièrement prise en compte par la Banque mondiale pendant douze mois pour les 320 stagiaires. Au bout des 12 mois de formation, six mois renouvelables une fois, la Sotra a encore continué avec ces stagiaires en leur versant une prime de 50 mille FCFA.
Au début, éprouvant un besoin de recrutement dans plusieurs services, la direction de l’entreprise s’était engagée devant la Banque Mondiale à garder 75% des stagiaires. Avant de revoir cet engagement à la baisse.
Finalement, au cours d’une réunion avec les stagiaires à la fin de leur formation, le directeur général de la Sotra a officiellement informé ces derniers que l’entreprise avait décidé d’embaucher 130 sur les 320 formés. Et qu’ils devraient rester à la maison en attendant la sortie de la liste de ces 130 élus sur la base de leur mérite puisque durant toute la formation, ils ont été régulièrement évalués, notés et leurs résultats transmis à l’Agepe.

Une liste vous manque et c’est le désespoir
Dans l’organigramme de la Sotra, il y a deux classes. La classe technique et la classe administration. Dans la classe technique, la Sotra avait décidé de recruter 84 stagiaires dont 55 mécaniciens et 29 exploitants. Dans l’administration, seraient recrutées 46 personnes dont des qualiticiens, des comptables, des informaticiens et des secrétaires.
Alors qu’ils attendaient la publication de la liste des 130 retenus, les stagiaires apprennent que la Sotra a réuni un samedi, les stagiaires PJEDEC et a signé un avec eux un « CDD » de six mois. Curieusement, ils découvrent que si dans le service technique, des stagiaires PJEDEC ont été recrutés, dans l’administration, sur les 46 stagiaires « PJEDEC », seule une dizaine de personnes parmi les stagiaires, pour des raisons d’affinité diverses, ont été gardées. Les autres personnes recrutées dans l’administration proviennent de tous les horizons, sauf des rangs des stagiaires « PJEDEC ». Selon les sources de « L’Eléphant », ces personnes sont pour la plupart des membres des familles, des enfants des amis des dirigeants de la Sotra. Bref, le rattrapage aurait déployé ses racines dans tous les services en remplacement des stagiaires. A l’interne, des cadres s’étonnent que des personnes qui n’ont aucune qualification aient pu être recrutées en lieu et place des stagiaires « PJEDEC » qui cependant, selon le contrat qui les liaient à la Sotra, devraient être prioritairement recrutés.
Certains stagiaires « PJEDEC » qui estiment avoir été roulés dans la farine en découvrant d’étranges noms sur la liste des personnes recrutées, crient aujourd’hui à la manipulation. Selon les informations obtenues par « L’Eléphant» au sein même de la Sotra, moins de 100 stagiaires « PJEDEC » ont été recrutés.

« Produisez-nous la liste des 130 stagiaires recrutés »
Aujourd’hui, les dirigeants de la Sotra ne savent plus sur quel bus danser. Ils devraient, au cours d’une cérémonie officielle avec le ministère d’Etat, ministère de l’Emploi et des affaires sociales et en présence des responsables du Bureau local de la Banque mondiale chargées de la coordination de ce projet, présenter les 130 stagiaires embauchés dans le cadre du « PJEDEC ».
Mais voilà, la cérémonie ne peut être organisée. Pour la simple raison que pour des raisons de transparence, le Bureau local de la Banque Mondiale a demandé aux dirigeants de la Sotra de lui produire au préalable la liste des 130 stagiaires « PJEDEC » qu’ils prétendent avoir recrutés. Afin qu’il fasse un croisement de cette liste avec leur base de données pour vérifier qu’effectivement, ces 130 personnes font partie des 320 personnes qui ont suivi la formation et dont les primes pendant deux ans, ont été payées par la Banque Mondiale.
Et que font les dirigeants de la Sotra depuis cette demande de la Banque Mondiale ? Eh bien cela fait plusieurs semaines que, on ne sait trop pourquoi, ils n’arrivent pas à remettre au coordonnateur du projet, la fameuse liste des 130. C’est le silence radio. Aucune explication rationnelle n’est donnée à la Banque Mondiale pour expliquer cette situation.
Mais c’est sûr que la direction de la Sotra qui est championne en matière de transparence n’a absolument rien à cacher. Ce retard inexplicable dans la transmission de la liste demandée ne peut s’expliquer que par des problèmes purement techniques. Surtout qu’il n’est pas facile, de nos jours, de trouver des ordinateurs capables de sortir une liste de 130 personnes dont la plupart, paraît-il, n’ont rien à voir avec le programme financé par la Banque Mondiale. Laquelle cependant attend de caisse ferme, cette fameuse liste.

« Tant qu’on n’a pas cette liste, il n’y aura pas de cérémonie »

Interrogé par « L’Eléphant » sur ce qui se passe, le coordonnateur du projet au Bureau local de la Banque Mondiale, Bamba, a été plutôt clair : « Avec les autres structures en effet, les choses se sont bien passées comme vous le dites. C’est avec la Sotra qu’il y a quelques difficultés. Au départ la direction de la Sotra s’est engagée à recruter 75% des stagiaires du programme. Par la suite, ils ont dit qu’ils ne peuvent garder que 130 stagiaires. Nous, nous n’avons aucun problème avec cela. Ils ont le droit de recruter qui ils veulent en dehors des stagiaires. Mais ils disent avoir recruté 130 stagiaires sur les 320. Selon notre approche, puisque nous avons exigé la même transparence avec les autres entreprises, la Sotra doit nous produire d’abord la liste de ces 130 personnes pour que nous la confrontions avec nos données puisque nous avons les noms de tous ceux qui ont fait le stage. Nous voulons nous assurer que ces 130 personnes sont effectivement des stagiaires du programme. Mais cela fait quelque temps que nous demandons cette liste et que la direction de la Sotra n’arrive pas à la produire. Or pour nous, sans cette liste, sans l’avoir croisée avec nos données, il est hors de question d’organiser une quelconque cérémonie… »
On espère que ce n’est pas une histoire de « rattrapage » qui empêche la direction de la Sotra de produire une simple liste de 130 stagiaires recrutés.

Source: ALEX KASSY (In L’Eléphant déchaîné N°309)