Côte d'Ivoire - L'Ambassadeur Koudou Kessié assène ses vérités: "Ce sont les grandes actions de masse et d’envergure qui feront aboutir les revendications au premier rang desquelles, la libération du Président Gbagbo et des prisonniers politiques"

Par Notre Voie - Koudou Kessié "L’entrisme, la collaboration ou être dans le système là où les décisions sont prises n’a jamais été une posture de combat contre la domination dont il est question. Ceux qui l’ont prêché n’ont jamais rien obtenu".

L'Ambassadeur Raymond Koudou Kessié.

Le Front populaire ivoirien doit-il participer ou non aux futures élections générales ? Sur cette question et sur bien d’autres d’intérêt majeur, Notre Voie ouvre le débat. Tous les jours, sur ces mêmes pages, des militants et sympathisants du Fpi interviendront pour donner leur position. Comme le fait le professeur Raymond Koudou Kessié, ancien ambassadeur aujourd’hui en exil.

Notre Voie : Les élections de 2015 constituent aujourd’hui le principal sujet de discussion et en même temps de discorde interne au FPI votre parti. Selon vous le FPI doit-il participer aux élections de 2015?

Raymond Koudou Kessié : Pour moi, le FPI ne devrait pas s’engager dans cette aventure électorale en 2015 pour de nombreuses raisons et principalement pour ne pas couvrir la prochaine réinstallation de M. Ouattara du vernis démocratique qui lui fait grand défaut aujourd’hui quoi qu’ils en disent. mais pour aller dans le détail, on peut énumérer quelques- unes de ces raisons. Premièrement, parce qu’il nous faut nous souvenir de ce que la grave crise posté - électorale que nous venons de traverser a eu entre autres pour responsable la Cei. sa composition, sa présidence et sa dépendance vis- à-vis d’un camp, celui de M. Ouattara, alors qu’elle est censée être indépendante, ont été déterminantes pour permettre l’installation de M. Ouattara par les forces armées françaises. Or, aujourd’hui comme hier, rien n’a changé. La Cei est toujours sous la botte du même camp et donc les conditions de justice, de transparence et de crédibilité du scrutin futur ne sont pas réunies. Dans la Cei actuelle en effet, la coalition RHDP au pouvoir dispose d’une majorité absolue et mécanique de près de 13 voix sur 17 et son Président est le même qui est allé s’enfermer avec le candidat Ouattara à son QG pour le déclarer vainqueur, sous le regard vigilant des ambassadeurs français et américains et de leur presse. Deuxièmement, la question du désarmement des forces rebelles qui n’avait pas pu être réglée lors du scrutin de 2010 demeure toujours entière. Elle s’est même aggravée puisque les Frci, dites pourtant forces républicaines se confondent avec les forces rebelles et les forces de la confrérie des chasseurs traditionnels Dozos. Le vote sera très loin d’être sincère et sera encore manipulée au profit de M. Ouattara.

N.V : Et c’est tout ?

R.K.K : la question de la sécurité n’est pas l’une des moindres. Aujourd’hui le Président affi, Président du parti et ancien Premier ministre de côte d’ivoire a été interdit de meetings ou de visites dans certaines localités du pays, qu’en sera-t-il alors des militants du FPi qui auraient l’outrecuidance de s’aventurer dans ces zones de non droit pour eux pour faire campagne ? D’ailleurs la cour d’assises que le pouvoir vient de servir aux nôtres, parmi de nombreux premiers responsables, est une bonne illustration de la volonté du pouvoir Ouattara de nuire au camp Gbagbo et ce au moment même où les futures élections sont sur de nombreuses lèvres. Mais fondamentalement et au-delà de ce qui précède, il se pose une autre question d’une plus grande inclination morale et éthique. Comment peut-on vouloir aller à des élections présidentielles en 2015 alors que le candidat du FPi qui a gagné celles de 2010 est en prison précisément parce qu’il a agi en tant que Président élu de côte d’ivoire ? Cela ne peut s’assimiler qu’à une trahison et à son abandon alors que c’est le FPI, son parti, qui l’a envoyé en mission comme candidat à la présidentielle ; mission dont il s’est acquittée pleinement. Nous n’allons pas l’y laisser pour prétendre aller à de nouvelles élections présidentielles. Le parti en sortirait définitivement discrédité et les ivoiriens se demanderaient à coup sûr si le FPI a encore une boussole.

N.V : Mais, le Président du FPI, M. AFFI estime que le Fpi court de graves risques s’il ne participe pas aux prochaines élections. Croyez-vous qu’il a tort ?

R.K.K : Je suis vraiment consterné par ces propos. Le comité central, un des organes suprêmes donc au- dessus de lui a dit qu’il faut sortir le FPI de la CEI où le Président Affi l’a engagé seul et sans avoir attendu le consensus interne au parti alors qu’il le réclame au pouvoir. Il ne devrait plus être fondé à lancer ce type d’appel de revenir à la Cei tant que le comité central du parti n’est pas revenu sur sa décision. Pourquoi ne revient-il pas devant le comité central tout simplement s’il pense que le congrès est trop loin ?

N.V : Il appelle les militants du FPI à rentrer dans le jeu politique et à sortir des émotions et de la colère, c’est tout de même des appels importants ?

R.K.K : Vous savez, j’ai lu certaines de ses déclarations dans la presse, et je me suis dit que ce ne pouvait pas être des propos du Président Affi vu leur gravité pour ce qui concerne surtout le Président fondateur du FPI, le Président Laurent Gbagbo. J’ai lu ceci complètement médusé : « il faut que les militants (FPI) cessent d’être dans l’émotion comme un enfant qui s’accroche au cercueil de son père sur le chemin du cimetière, sachant bien qu’on finira par l’enterrer. C’est la communauté internationale qui fait et défait les hommes politiques en Afrique. Par exemple Houphouët-Boigny, Bozizé, Ben Ali. Même le Président Gbagbo fut libéré en 1992 sous la pression du vice-Président américain al Gore…». N’en croyant pas mes yeux, je suis rentré en contact avec Affi pour lui demander ce qu’il voulait dire par là et qui était dans le cercueil dont il parlait. Il m’a dit ne pas se reconnaître dans cette déclaration. J’ai lu ailleurs des propos d’un camarade qui a pris plutôt sur lui de donner la signification de ce propos qu’il reconnaît être celui du président Affi. En tout état de cause, l’auteur présumé du propos ici visé doit donc être recherché et sommé de s’expliquer devant le comité central ou le congrès du FPI car il en sait manifestement beaucoup sur le sort, la mort et le cercueil réservé au Président Gbagbo. Dans nos cultures en effet, pour qui les connaît bien, non pas nécessairement du point de vue ethno-sociologique, ces questions sont d’une sensibilité extrême et on ne fait pas pleurer plus qu’il ne le faut l’orphelin présumé. Donc, la question de fond qu’il faut avoir à l’esprit, et qui va au- delà de la lutte interne entre deux visions de la lutte, concerne les fondamentaux même du parti. Ils sont référés à nos statuts et règlements intérieurs qui proclament en leur article 4 que (et je cite) : « le FPI rassemble en une union volontaire les femmes et les hommes épris de justice et de liberté, engagés contre toute forme de domination sur la côte d’ivoire et en Côte d’Ivoire ». Être engagé contre toute forme de domination ne peut pas s’accommoder de n’importe quelle posture politique. L’entrisme, la collaboration ou être dans le système là où les déci -sions sont prises n’a jamais été une posture de combat contre la domination dont il est question. Cette thèse-là, nous l’avons vigoureusement combattue à l’époque quand nous étions à la Feanf (fédération des étudiants d’Afrique noire en France, fédération panafricaine d’orientation anti impérialiste) et à l’Uneci (union nationale des étudiants de Côte d’Ivoire-grand U, orientation anti-impérialiste) car ceux qui l’ont prêché n’ont jamais rien obtenu de conséquent que pour eux-mêmes. Le retour au multipartisme a été obtenu par le Président Gbagbo et les forces syndicales non pas par l’entrisme mais grâce à la mobilisation et aux manifestations des masses populaires. Il en est de même de l’urne transparente, du bulletin unique, de la commission électorale indépendante ainsi que du vote à 18 ans.

N.V : Mais quelle donc est la nature du combat dont vous parlez ?

R.K.K : Le FPi et le Président Gbagbo ont choisi la voie pacifique de lutte pour le multipartisme et la souveraineté nationale. Ils n’ont jamais eu recours à une aile militaire. Le combat du FPI dont nous parlons pour la libération de la Côte d’Ivoire et de son Président légitime, le Président Gbagbo, ce n’est donc pas un combat armé ou qui aurait recours à la violence, mais des manifestations civiles de masse dont principalement les marches, les sit-in et autres. Je l’ai rappelé ailleurs, le Président Houphouët-Boigny à l’époque disait à ce propos : «ils peuvent user la semelle de leurs chaussures tant qu’ils veulent, mais je ne céderai pas ». Il avait pourtant fini par concéder le retour au multipartisme, une des principales revendications du moment pour le Président Gbagbo et le FPI. Ce sont les grandes manifestations de masse et d’envergure qui sont ici visées. Ce qu’ils ont appelé les printemps arabes en donnent une bonne illustration. Le comité central du 28 juin 2014 a donné instruction au secrétariat Général et donc au Président Affi à prendre toutes les dispositions en vue d’organiser, dans le cadre de la stratégie de ripostes graduées, les grandes actions de masse d’envergure nécessaires pour faire aboutir les revendications, au premier rang desquelles la libération du Président Gbagbo et des prisonniers politiques. Le Président Affi peut ne pas partager cette position, c’est son droit. Mais dès l’instant où c’est la position majoritairement adoptée lors du comité central ci-dessus visé, mais aussi par notre dernière convention, il doit s’exécuter sinon il doit en tirer toutes les conséquences. Lorsqu’à l’époque, le FPI avait décidé du boycott actif des élections, le camarade Gbagbo, qui était d’un avis contraire avait été mis en minorité. Il l’avait pourtant organisé et assumé en démocrate. C’est la posture de démocrate qui s’impose à Affi et non celle du chef qui s’impose absolument ou qui force une position. Le FPI n’est pas un parti où le chef est roi et les militants ses obligés. Il n’a pas cette culture du chef dont certains veulent se réclamer. Maintenant en ce qui concerne l’argument selon lequel le parti va mourir s’il ne va pas aux élections, des gens l’avaient déjà donné pour mort, vous vous en souvenez. Mais le FPI est là et toujours debout. Ce FPI-là n’est pas allé aux dernières élections municipales, puis législatives et son appel à ne pas y aller a été si bien entendu qu’il s’est soldé par un désert électoral. Le FPI a donc donné ainsi la preuve de sa force, de sa vitalité et non pas de sa faiblesse ou de sa mort présumée. Il a donné la preuve qu’il est et demeure dans le jeu politique. J’ai aussi entendu dire que c’est la conquête du pouvoir en 2015 qui libérerait le Président Gbagbo. Mais, nous étions au pouvoir et ils nous en ont chassés par les armes de l’impérialisme français. Où comptent-ils passer ces camarades pour faire la surprise et arriver à la tête de l’état dans les conditions actuelles du jeu politique que nous connaissons tous? Non, nous avons besoin de nous ressaisir dans l’intérêt de notre parti et de ses revendications.

N.V : L’appel de Mama lancé par un certain nombre de fédéraux défraie aussi la chronique. Qu’en pensez-vous ?

R.K.K : C’est le droit absolu des militants de dire leur choix et de solliciter le Président Gbagbo, un des leurs pour la présidence de notre outil de combat ; lui qui par sa légitimité et son charisme a ouvert la voie et continue d’inspirer la lutte pour la souveraineté nationale et les libertés démocratiques. J’ai entendu dire que c’était ceux qui se réclamaient d’un camp qui ont lancé cet appel au Président Gbagbo afin qu’il soit candidat à la présidence du parti. Mais moi je serais vraiment content que ceux qui se réclament d’un autre camp, si tant est que ces expressions sont heureuses, lancent le même appel car c’est tout le parti qui gagnerait à s’unir autour de son président fondateur qui a consenti tous les sacrifices pour que ce parti naisse et grandisse. Le Président Gbagbo donnera suite à cette demande le moment venu car lui-même sait tout autant que nous, sinon peut- être plus que nous, ce qui est bon pour lui dans les circonstances actuelles. Ceci étant dit, les débats actuels ne sont pas si inutiles que cela si nous savons privilégier l’essentiel : le combat contre toute domination extérieure et intérieure et pour les libertés (cf. statuts et règlements intérieurs) et en particulier la libération des prisonniers politiques, le Président Gbagbo à leur tête .
Interview réalisée par Boga sivori

In Notre voie n° 4840 du jeudi 16 octobre 2014