Scandale - Liquidation de la BFA : Des morts en cascade dans les rangs des clients, une comédienne, dans la détresse, des opérateurs économiques au bord de la folie

Par L'Eléphant Déchainé - Liquidation de la BFA. Des morts en cascade dans les rangs des clients, une comédienne, dans la détresse, des opérateurs économiques au bord de la folie.

Liquidation de la BFA par la Ministre Kaba Nialé. Des morts en cascade dans les rangs des clients. Des opérateurs économiques au bord de la folie.

La bonne nouvelle du gouvernement a été livrée aux 22 mille clients de l’ex-Banque pour le Financement de l’Agriculture qui n’a jamais rien financé en réalité, le 30 septembre dernier, par la voix de la ministre auprès du Premier ministre chargé de l’Economie. La banque a été mise en liquidation. Et le gouvernement, avec la considération qu’il a pour les Ivoiriens, du moins ceux qui ne détiennent pas une arme, a pris le soin de ne prévenir à l’avance, aucun des clients de la banque. Tous ont été mis devant le fait accompli en suivant soit le journal de 20 heures de la grande RTI, soit en lisant le lendemain les journaux.
Depuis, alors que des dispositions ont été prises pour que les fonctionnaires dont les comptes étaient domiciliés dans cette banque touchent leur salaire du mois de septembre, rien, absolument rien, n’a été prévu pour les autres clients. Qui vivent aujourd’hui un véritable cauchemar dans l’impossibilité qu’ils sont depuis près de deux mois, d’avoir accès à leur argent. Et aujourd’hui, rien n’indique qu’ils auront cet argent dans un délai raisonnable. Ils sont choqués, scandalisés, écœurés…leurs cris de détresse sont parvenus à « L’Eléphant».

Le 30 septembre 2014, la fin du monde !
Le gouvernement a été très prévoyant. Il n’a informé d’avance, personne. Même les agents de la banque n’ont pas été mis dans le secret. Ils ont accompli leurs tâches habituelles le 30 septembre et sont rentrés chez eux. Ils savaient certes, que leur banque traversait quelques problèmes auxquels des solutions pouvaient être trouvées avec un peu de volonté politique.
C’est au journal de 20 heures que, ahuris, en même temps que des milliers de clients, ils ont entendu les propos suivants. De la bouche de la ministre auprès du Premier ministre chargée de l’Economie, Kaba Nialé, envoyée pour faire le boulot : «(…) Il a été donné au Gouvernement de constater que le déficit structurel enregistré par la Banque pour le Financement de l’Agriculture (en abrégé BFA) se creuse d’année en année et constitue à ce titre une menace certaine non seulement pour ses clients, mais également pour l’ensemble du système bancaire. Face à ce risque systémique et pour préserver l’équilibre du secteur bancaire, la Commission Bancaire a procédé au cours de sa session du 2 septembre 2014 au retrait pur et simple de l’agrément de cette banque et de sa mise en liquidation à compter de ce jour. Cette mesure est conforme aux principes de bonne gouvernance et s’inscrit dans la droite ligne de la politique d’assainissement et de restructuration du secteur bancaire ivoirien.
Le Gouvernement tient à rassurer les clients, le personnel et les partenaires de la BFA sur la préservation prioritaire de leurs intérêts, dans ce contexte particulièrement sensible de rentrée scolaire et de fin de mois pour les clients de la banque. En conséquence, les mesures d’urgence suivantes ont été arrêtées :
1-L’affichage, dès le jeudi matin dans les agences de la BFA, du dispositif mis en place pour procéder au paiement des revenus de fin de mois des clients dans les postes comptables du Trésor Public ;
2-La mise en place d’un plan de dédommagement et d’une politique sociale pour le personnel ;
3- Par ailleurs, conformément à la réglementation en vigueur, le liquidateur sous la supervision d’un Comité de Suivi, procèdera à l’apurement de l’entièreté du passif de la Banque ; le Gouvernement précise que toutes les dispositions ont été prises afin que la mise en liquidation de la BFA n’ait aucune incidence sur l’ensemble du système bancaire.»
C’est que, quelques heures avant ce communiqué, dès que les agents sont rentrés chacun chez soi après le boulot, le PCA et le Directeur général qui savaient ce qui allaient se passer, vu qu’ils venaient de participer à une réunion de deux heures le même jour avec le liquidateur, ont immédiatement, à 17 heures, désactivé tout le système. Les agents qui n’ont pas suivi le journal de 20 heures et qui, en conséquence n’avaient pas l’information, n’ont pas eu accès à leur bureau le lendemain.

L’Etat a tout prévu pour le malheur des clients
Selon le discours officiel, le Gouvernement, soucieux comme chacun le sait du bonheur des Ivoiriens, avait pris toutes les dispositions pour que rapidement, les clients rentrent en possession de leur argent. Sauf que depuis le 30 septembre, aucun des 22 mille clients n’a pu avoir accès au moindre centime qui roupillait sur leurs comptes.
Selon les sources de « L’Eléphant », les avoirs globaux des clients de l’ex-BFA s’élèveraient à un peu moins de 50 milliards de FCFA. Parmi les clients, se trouvent des chefs d’entreprises qui, depuis cette funeste date du 30 septembre, ne savent plus à quels francs se vouer : «Comme je vous le disais, le compte de mon entreprise est logé à la BFA et depuis deux mois, elle est fermée pour faillite et mon entreprise est en train de couler ; j’ai des retraités et des malades qui pleurent, c’est grave! Jusqu’à ce jour, aucune disposition n’est prise pour régler le problème. Depuis deux mois, c’est la même phrase: votre dossier est en cours de traitement, restez à l’écoute, on va vous appeler. On ne sait pas combien de temps va durer cette situation et ils n’ont même pas eu la présence d’esprit de nous prévenir avant de prendre une telle décision… »
Se lamente un opérateur économique. Comme si c’était le genre de ce Gouvernement d’accorder de l’importance à ceux qui ne détiennent pas de kalachnikov…
Un autre opérateur économique qui a obtenu un marché et qui, deux jours plus tôt, avait reçu un virement de 140 millions de FCFA pour démarrer les travaux, est au bord de la dépression nerveuse : « Ma vie est ruinée. Je ne sais plus quoi faire, je ne peux pas avoir accès à cet argent, pire, on ne nous dit rien sur ce qui se passe. Comment un Etat responsable peut-il se permettre de tels comportements vis-à-vis des populations ? »

«Tout va bien, nous somme à pied d’œuvre…»
Devant le mépris qui leur a été servi dans la prise de cette décision de liquidation de la banque sans qu’aucun délai ne leur ait été accordé pour récupérer leur argent, certains clients ont manifesté devant l’immeuble « SCIAM » au Plateau, où sont logés les bureaux du ministère de l’Economie et des finances. Là, le liquidateur leur avait servi ce beau discours : « (…) nous sommes à pied d’œuvre, nous travaillons sur les fichiers. Nous avons demandé à chacun de produire ses créances pour faire un croisement avec les fichiers, afin d’arrêter un chronogramme de remboursement. Personne ne sera lésé, bien au contraire, tout sera fait pour que tous les épargnants entrent en possession de leurs fonds. Je demande à tous les déposants, petits ou grands, de nous faire confiance. Nous sommes à la tâche et nous ferons le maximum pour ne pas les décevoir.» («AIP», 10/10).
C’était le 10 octobre. Depuis, il faut le reconnaitre, le maximum a été fait pour que les clients entrent en possession de leur argent. Puisque personne n’a rien reçu jusqu’à ce jour et aucune bonne nouvelle n’est prévue. Des fiches de créance leur ont été distribuées qu’ils se sont empressés de remplir. Puis, on leur a demandé d’attendre. Et ça dure depuis. Dans sa grande générosité, le Gouvernement a mis à leur disposition, une ligne téléphonique où ils peuvent, en appelant (et ce n’est pas un numéro gratuit), obtenir les informations les plus fraîches.
« L’Eléphant » a essayé à quatre reprises, à des jours différents, ce numéro qui est le « 20 25 61 61 ».
Allez, un exemple de dialogue avec la belle voix au bout du fil :
– BFA liquidation, bonjour.
– Bonjour madame, je suis chef d’entreprise et j’ai le compte principal de ma boîte dans l’ex-BFA. Voilà près de deux mois que je n’arrive pas à fonctionner, à payer mes travailleurs, à payer mon loyer. Je viens donc aux nouvelles par rapport à la situation…
Réponse de la dame à la belle voix : « Avez-vous rempli la fiche de créance ?»
-Oui Madame, j’ai déjà rempli cette fiche il y a déjà plusieurs semaines et je n’en peux plus d’attendre. Mon entreprise est en train de mourir. Quand est-ce que j’aurai accès à mon argent ?
Réponse de la dame à la belle voix : « Monsieur, les dossiers sont en traitement. Quand ça sera prêt, on vous tiendra informé. »
– Mais pourquoi cela prend autant de temps ? Vous avez pu permettre aux fonctionnaires qui avaient leur compte dans cette banque d’aller percevoir leur salaire au Trésor. Pourquoi rien n’est fait pour nous autres et depuis plus d’un mois, vous dites que nos dossiers sont en traitement.
Réponse de la dame à la belle voix : « Monsieur, c’est ce que je pouvais vous dire. Vos dossiers sont en traitement. Quand ça sera prêt, vous serez informés. »
-Vous ne pouvez donc absolument rien faire pour nous en ce moment, on est en train de mourir madame.
Réponse de la dame à la belle voix : « Je n’ai pas d’autres réponses monsieur. Je vous ai déjà dit tout ce que je pouvais vous dire. »
-Merci madame !

Désarroi et morts en cascades
Selon les informations de « L’Eléphant », de nombreux clients de la banque, qui traînaient une maladie, ont déjà quitté ce pays en pleine émergence. Faute d’avoir eu accès à leur argent pour acheter les médicaments qu’ils achetaient chaque mois pour traiter leurs bobos. « Je connais deux clients diabétiques qui sont déjà morts ». A confié à « L’Eléphant », un ex-agent de l’Agence centrale de la banque au Plateau. Avant d’ajouter : « Je connais des opérateurs économiques qui sont au bord de la folie. Tout leur argent est bloqué. Ils nous appellent tous les jours, espérant avoir des informations plus rassurantes que celles qui leur sont servies par les personnes qui s’occupent de la liquidation. Nous ne savons rien, nous-mêmes les ex-agents, sur notre propre sort. Quand est-ce qu’on va être dédommagé ? Nous ne le savons pas. Nous sommes licenciés, un point c’est tout. C’est irrégulier ce qui s’est passé, a dit l’inspection du travail. Mais c’est le Gouvernement qui a décidé et le Gouvernement fait ce qu’il veut. C’est vous qui avez parlé récemment de la situation des agents de l’ex-Air Ivoire. Cela fait trois ans qu’ils attendent le paiement de leurs droits. Donc nous risquons de subir le même sort. Les bailleurs sont sur notre dos. Et c’est pareil pour les clients dont beaucoup sont des opérateurs économiques. Ils ne savent plus quoi faire et la situation ne semble pas préoccuper le Gouvernement qui va à son rythme et joue avec l’argent des gens. » Comme si c’était le genre de ce gouvernement qui ne se plie en quatre que lorsqu’il a affaire aux gens en tenue.
L’artiste comédienne Suzanne Kouamé, promotrice et directrice générale du magazine culturel « KOUNDAN », fait partie des clients de l’ex-BFA qui sont en ce moment dans une situation de désespoir total. Le compte de son entreprise, ouvert en 2012 dans cette banque sur conseil de ses proches, est inaccessible depuis le 30 septembre. Elle était hors du pays quand elle a appris la bonne nouvelle. Le numéro du mois d’octobre de son magazine, imprimé en Espagne, reste en ce moment bloqué à la douane, faute de moyens pour le dédouanement. Toutes les démarches quelle a menées pour avoir accès à son compte se sont soldés par un échec. Rien du tout.
Ayant pris des engagements avec des annonceurs pour le mois de décembre et n’ayant pas les moyens d’imprimer le numéro de ce mois encore en Espagne, elle a approché les responsables de Fraternité Matin qui ont accepté d’imprimer ce numéro mais au double du prix qu’elle payait en Espagne. Pour pouvoir payer une partie de la facture, elle vient de brader son véhicule de type 4X4 afin de pouvoir respecter ses engagements vis-à-vis des annonceurs qui ont déjà acheté les espaces sans qu’elle ne puisse avoir accès à l’argent qu’ils ont versés sur son compte.
« L’Eléphant » qui l’a rencontrée a réalisé la gravité de la situation qu’elle vit : « On se moque de nous dans ce pays. Quand vous avez un projet, vous ne trouvez aucun organisme étatique pour vous accompagner financièrement. Vous vous battez seul, vous tapez à toutes les portes, sans réponse. Et puis, Dieu vous aidant, petit à petit, vous arrivez à asseoir quelque chose qui commence à tourner plus ou moins bien. Vous mettez votre argent dans une banque publique en pensant qu’elle au moins ne s’effondrera pas du jour au lendemain. Vous y logez les comptes de votre entreprise. Et puis, voilà. L’Etat se lève, sans aucun égard pour les clients, sans nous permettre de disposer de notre argent, ferme la banque. Et nous voilà en cessation de paiement de loyer, de salaire, des factures des fournisseurs. On nous met en faillite parce que c’est ce que je vis en ce moment. Je viens de vendre ma voiture pour pouvoir respecter des engagements vis-à-vis de partenaires qui ont commencé à me faire confiance. J’ai de l’argent que j’ai eu en travaillant honnêtement mais auquel je ne peux avoir accès et mon entreprise est en train de mourir. J’ai un numéro de mon magazine qui est bloqué au port, faute de dédouanement. Je ne peux plus payer mon loyer. Quand vous appelez le numéro communiqué aux clients, c’est la même phrase qu’on vous tient toujours. Si vous avez rempli la fiche, alors patientez, les dossiers sont en traitement. Mais ça va prendre combien de temps tout ça ? Nous sommes en décembre. Est-ce que le Président et son Gouvernement savent le mal qu’ils sont en train de nous faire ? Est-ce que le Président peut accepter lui-même cette situation. Les gens ont les comptes de leur entreprise dans une banque qu’on vient de liquider sans les prévenir d’avance. Les gens ont leur argent dans cette banque, sont malades et ils ne peuvent pas se soigner. Et le Gouvernement joue avec ça. On ne s’occupe pas de notre misère, de notre souffrance, du fait que nous sommes en train de mourir, que nous sommes menacés d’expulsions de nos maisons, que nous ne pouvons plus voyager alors que nous avons des engagements à l’extérieur. Pendant combien de temps encore cette situation va-t-elle durer ? Si je pouvais me retrouver devant le président de la République, j’allais lui dire ce que je pense de ce qu’ils viennent de nous faire… » S’est-elle lamentée.

Très lentement, le Gouvernement se presse pour régler le problème.
La lenteur avec laquelle le Gouvernement s’occupe du sort des clients de l’ex-Bfa étonne tous les observateurs du secteur. Dont certains prétendent que cette liquidation n’était guère nécessaire et que le Gouvernement, s’il l’avait voulu, aurait pu redresser cette banque. Et ces mauvaises langues n’hésitent pas à pointer du doigt de sombres projets de vengeance politique contre l’ancien régime qui aurait fait de cette banque, sa vache à lait et l’avait utilisée pour faire des tonnes de transactions douteuses comme le versements de curieux droits d’auteurs à l’écrivain franco-camerounaise Calixte Beyala, grande défenderesse de la cause de l’intrépide Gbagbo et pourfendeuse infatigable du Président Alassane Ouattara.
Ces mauvaises langues en veulent pour preuve le flou presque artistique qui entoure la liquidation de cette banque dont l’Etat n’était pas le seul actionnaire. Elle pense que l’Etat aurait pu vendre ses parts à des privés qui n’auraient pas hésité à les racheter comme ce fut le cas récemment de l’ex-Access Bank, devenue Afriland First Bank après son rachat par des Camerounais.
Mais l’Etat qui est souverain a préféré liquider et se trouve cependant dans l’impossibilité de rembourser rapidement les avoirs des clients. Le 19 octobre, le Gouvernement a annoncé la nomination d’un liquidateur. Lequel, officiellement, n’aurait pas encore pris fonction puisque son décret ou arrêté de nomination ne serait pas encore disponible.
D’ici là, les clients et autres opérateurs économiques peuvent continuer à écouter la voix suave au bout du « 20 25 61 61 » et à mourir de faim en ce mois de décembre ?

ASSALE TIEMOKO & W.A. (In L’Eléphant déchaîné N°307 du vendredi 5 au lundi 8 décembre 2014 / 4ème année)