Scandale: Joseph Titi, DP du quotidien “Aujourd’hui”, menacé de mort par le régime Ouattara

Scandale: Joseph Titi, DP du quotidien “Aujourd’hui”, menacé de mort pour avoir révélé les détournements de Ouattara.

Joseph Titi DP du quotidien “Aujourd’hui".

Ces derniers temps, notre journal a publiés de nombreux documents de première main. La plupart d’entre eux ont été rédigés par la Direction Générale de la Sécurité Extérieure Française dont les enquêteurs ont montré comment nos gouvernants actuels sont corrompus et donc, sont tout sauf ce qu’ils prétendent être. Certaines personnes qui sont nos lecteurs nous ont félicité de ces investigations; d’autres sont restées soit indifférentes soit incrédules. Mais, il y a en d’autres encore que ces révélations ont rendu irascible. C’est donc pour parler de leurs menaces que je fais cet éditorial.

En effet, depuis quelques jours, le président du Conseil National de la Presse que j’eus comme patron pendant ma période d’apprentissage de ce métier que j’aime tant, essaie de me prévenir de certaines menaces au nom des liens que nous avons gardés, malgré qu’à l’évidence et d’un point de vue purement idéologique, tout nous sépare. Je sais que, dans le cadre de sa stratégie de management du Conseil National de la Presse, monsieur Lakpé a choisi une approche discursive avec l’interpellation, pas toujours agréable, qui va avec. Ce n’est donc pas cela que je veux dénoncer.

Pour avoir subi les humeurs singulières d’un président autocrate comme Eugène Kakou, je serais le dernier à me plaindre de cette méthode qui permet de s’expliquer et de s’entendre. Je parle donc plutôt des menaces sur lesquelles, par doses sûrement homéopathiques, le président du CNP essaie d’attirer mon attention. La première fois, c’est en effet lorsque notre journal du mardi a publié le titre suivant à sa Une : Transferts illicites, détournement de l’aide publique/ La Dgse accuse Ouattara d’avoir détourné l’argent des PPTE ».

Ce jour-là, le président Lakpé dont je m’imaginais forcément dans son collimateur, m’a appelé pour me demander, avec cette voix fluette qui le caractérise, si j’avais les preuves de ce que j’avançais. Alors je lui avais répondu que les documents que j’ai publiés au soutien de mon article étaient tout à fait authentiques et qu’il n’avait qu’à les parcourir, les noms et adresses de ses rédacteurs ayant, au surplus, été mentionnés.

Mais le président Lakpé avait également ajouté cette phrase qui m’avait quelque peu fait réfléchir : « sinon là, ce n’est plus au CNP que tu as à faire mais bien au procureur ». Dans ma communauté, cette expression recouvre une menace d’une extrême gravité. Cela dit, celui qui s’imagine que sous Ouattara la profession de journaliste l’aiderait à se mettre à l’abri de ce type de périls est un rêveur ; donc je réitérai au président que j’avais bien noté ses conseils et que je continuerai de faire attention. Or hier, j’ai reçu un nouveau coup de fil du président Lakpé. Je fus d’autant plus surpris par son appel qu’il n’est pas matinal comme toutes les fois que j’ai eu l’honneur de l’avoir à l’autre bout du fil.

Alors comme s’il avait compris ma crainte, il me rassura d’abord, puis il m’expliqua tout doucement qu’il continuait de me lire et que les documents publiés n’étaient pas remis en cause. Sauf que, et c’est connu dans les pays où on laisse tuer, un égaré pouvait tout seul décider de me refroidir, je précise qu’il ne l’a pas dit comme cela. En revanche, j’utilise cette expression pour que le lecteur puisse saisir la violence de cette menace qui ne vient certes pas du président lui-même mais qui faisait désormais partie des choses auxquelles je devais désormais faire attention. Parce que, comme l’a également signalé le président Lakpé, les gens peuvent parler après mais la réalité est que cela a été fait et rien n’y changera…

Quand j’en ai parlé à mes collaborateurs devant lesquels j’avais déjà évoqué les premiers risques sur lesquels le président Lakpé attirait mon attention, ils m’ont conseillé d’écrire cet éditorial. Pour montrer que si demain ma vie s’achevait comme le fut celle de Désiré Oué, rédacteur en chef du magazine Tomorrow, assassiné devant sa porte de sa maison par des hommes armés inconnus, ceux qui ne voudront pas se contenter de lire le communiqué dans « Aujourd’hui » devront également mettre dans la balance qu’un grand journaliste expérimenté comme le président Lakpé avait attiré mon attention sur des menaces que cette série d’articles pouvait déclencher.

Parce que de là où je serais alors, je ne sais pas si je supporterais une telle indécence à dissoudre les crimes patiemment exécutés, des crimes politiques en somme comme celui qui a ôté la vie à Désiré Oué ou, avant lui, à d’autres personnes, dans insécurité ritualisée. Pour le reste, je regarderai la mort lorsqu’elle viendra me prendre. Certes, je ne la cherche pas, d’autant plus que, de toute façon, je n’en connais pas de héros noir pour lesquels l’on consacre ne serait-ce qu’un jour à leur mémoire. J’ai seulement la conviction que personne ne pourra me faire dire ou me faire écrire ce que je ne veux pas.

Et, puisque dans cette Côte d’Ivoire devenue le cimetière des droits humains, on peut être tué du jour au lendemain, je souhaiterais que ces lignes-là fassent comprendre à ceux qui me détestent que je ne suis pas d’accord avec eux. Et qu’il est dérisoire de croire que la terreur ne produit que la peur. Je sais que certaines personnes m’ont déjà reproché de trop parler de moi dans mes articles, mes éditoriaux en particulier, et de me mettre systématiquement en évidence. Je ne partage pas cette critique mais chacun est libre de dire ce qu’il veut de ce que je fais. Cela dit, j’avoue que ce n’est pas par souci morbide de me faire des funérailles dignes des gens qui ont marqué une partie de l’histoire de leur communauté. Car qu’aurais-je fait de toute façon pour y prétendre ?

Je veux seulement dire à ceux qui pensent qu’ils peuvent m’intimider qu’ils se trompent. Pas que je n’aie pas peur de ces gens pour qui la vie humaine n’a aucune valeur, surtout lorsqu’elle appartient aux rattrapés d’aujourd’hui, mais tout simplement parce que, de toute façon, la peur, le renoncement à sa liberté ne donne droit en Côte d’Ivoire, au moindre répit. Simplement parce qu’il est gravé dans leur « révolution ethnique » que les rattrapés ont le droit de vivre et les autres le droit de mourir.

Joseph Titi