Réforme de la CEI: La rapport américain qui fait peur au régime Ouattara

Par Le Nouveau courrier - Le rapport américain qui fait peur au régime.

PHOTO: From left to right: NDI President Kenneth Wollack, Senator Jeanne Shaheen (D-NH), NDI Chairman and former Secretary of State Madeleine Albright, Congressman David Price (D-NC) and IRI President Lorne Craner.

Des recommandations du NDI, une ONG liée au Parti démocrate américain, au pouvoir, viennent d'être balayées du revers de la main par le pouvoir Ouattara, qui a décidé de leur tourner le dos.
Alors qu'il avait lui-même invité le NDI à l'aider à la préparation des élections de 2015. Les raisons d'une volte-face. C'est Laurent Akoun, le secrétaire
général du Front populaire ivoirien
(FPI), qui a levé le lièvre. En révélant, lors d'une conférence de presse donnée le 10 avril dernier, l'existence d'un rapport d'évaluation
concocté par le National Democratic Institute (NDI), une ONG américaine indépendante mais liée au Parti
démocrate. Ce rapport est consacré aux réformes électorales qui doivent être mises en place avant l'élection
présidentielle de 2015. Le régime Ouattara fait désormais l'impasse sur ce document, et vient d'annoncer un
projet de loi rédigé en catimini. Censé réformer la Commission électorale
indépendante (CEI) en vue d'un meilleur équilibre entre les forces politiques, il ne change rien dans les faits
à la domination sans partage du pouvoir au sein de l'institution.

Un ancien Premier ministre canadien à la manoeuvre

Et pourtant, c'est Hamed Bakayoko qui invitait, au nom d'Alassane Ouattara, le NDI à effectuer "une mission dans le cadre des préparatifs de
la prochaine élection présidentielle prévue en octobre 2015". Le gouvernement, disait-il, comptait sur "l'expertise et la grande expérience du NDI
pour procéder, efficacement, au renforcement des capacités des structures électorales et à l'adoption de
mesures visant à consolider la bonne gouvernance". Afin que les élections "continuent d'être dignes des standards
en vigueur dans les nations démocratiques".
Le NDI a donc dépêché, suite à cette invitation, une délégation de haut rang, dirigée par Joe Clarck, ancien Premier ministre du Canada (1979- 1980), et dans laquelle figuraient
notamment Brian Atwood, ancien sous-secrétaire d'Etat américain, Charles Djrekpo, ancien parlementaire
béninois et Christopher Fomunyoh, directeur régional pour l'Afrique de l'organisation. Cette délégation a transmis ses recommandations au pouvoir et à l'opposition le 15 mars
2014. Le régime Ouattara a choisi de les ignorer, parce que leur mise en application remettrait en cause sa stratégie de passage en force lors de la présidentielle de 2015, qui passe
par un contrôle absolu et sans partage de toutes les étapes du processus.

Des "groupes de travail" entre le pouvoir et l'opposition...

Quelles sont donc les conclusions de NDI qui contrarient le régime Ouattara?

Premièrement, le NDI veut que les
règles devant présider aux futures consultations électorales soient l'objet de négociations et d'un large
consensus entre les Ivoiriens, ce que le pouvoir - qui tient à profiter de
l'hégémonie de l'après-avril 2011 - ne veut pas. Le NDI écrit par exemple :
"Pour que le dialogue en cours soit plus efficace, les autorités et les partis politiques ivoiriens devraient envisager la création de mécanismes permettant
la mise en place de groupes de travail sur les questions urgentes devant être traitées simultanément, comme la composition d’une commission
électorale indépendante, l’élaboration d’un fichier électoral crédible
pour 2015 et au-delà, l’évaluation des
risques de violence électorale et des possibilités de leur réduction, ainsi que la mise à la disposition des
citoyens d’informations appropriées leur permettant d’opérer des choix
politiques pertinents". Si le NDI ne parle pas comme Pascal Affi N'Guessan, président du FPI, d'états
généraux, la méthodologie qu'il préconise, qui passe par des "groupes de
travail" composés de représentants du pouvoir et de l'opposition, ne
serait-ce que sur les questions électorales, s'en rapproche tout de même.
Le NDI veut "un équilibre entre le pouvoir et l'opposition" Au sujet de la "CEI réorganisée", le
NDI propose "une composition tripartite": société civile (notamment
associations professionnelles et organisations religieuses), partis politiques
et "agences gouvernementales", ces dernières se limitant à un rôle d'appui "dans la gestion efficace
des opérations électorales". Le NDI demande instamment "un équilibre
entre le pouvoir et l'opposition", ce que ne semble pas être prêt à concéder le duo Alassane Ouattara-Hamed
Bakayoko. La formule présidant à la mise en place de la CEI doit rencontrer "l'adhésion de tous les acteurs".
Le NDI estime que la CEI doit être financée directement, "et non par le
biais d'un ministère". Son président doit être choisi soit "à la suite de
débats publics", soit par le mécanisme de la majorité qualifiée, c'està- dire après approbation des deux
tiers ou des trois cinquièmes des votants. Ce qui implique des compromis
et des négociations. Or, c'est connu de tous, le régime qui domine actuellement sur la Côte d'Ivoire
n'aime pas négocier...

Un fichier électoral que les partis pourront vérifier

Le NDI recommande de "prendre sans tarder les mesures nécessaires pour établir un fichier électoral auquel le public peut se fier". Le "fichier préliminaire" et le "fichier final" doivent
être mis "gratuitement" à la disposition des partis politiques et des organisations de la société civile, "dans un format électronique qui leur permette
de vérifier rapidement l'exactitude des données contenues". Quand on sait que la coalition soutenant Ouattara était, déjà dans l'opposition, adepte de la "technologie électorale",
on peut supposer qu'elle ne tient pas vraiment à ce que tout le monde voie clair dans le fichier.

La question du financement des partis politiques à l'ordre du jour

Les délégués de l'ONG américaine estiment qu'il est nécessaire d'amender la loi sur le financement des partis
politiques (qui n'a été de toute façon plus appliquée dès qu'Alassane Ouattara a pris le pouvoir dans les
conditions que l'on sait). Ils jugent important d'ajouter un critère d'éligibilité: l'atteinte d'un "certain seuil"
lors du premier tour de la présidentielle d'octobre 2010 parce qu'il traduit "la réalité politique de l'époque" et qu'un tel amendement créerait un
"mécanisme juridique permettant le financement équitable du parti au pouvoir et de l'opposition à la fois".
Une proposition aussi claire et étayée met le régime, qui ne cesse de louvoyer sur ce dossier, au pied du mur.
Inacceptable !

Le tabou de "la restitution des biens"

Face au gel sauvage des avoirs des responsables de l'opposition, le NDI recommande des "enquêtes", qui "devraient permettre aux citoyens de
bénéficier de la protection de la loi, de sorte que les comptes et biens de personnes innocentes soient restitués".
Certes, "les individus accusés de crimes financiers doivent être poursuivis", mais leurs droits doivent
être "totalement protégés conformément à la loi du pays, afin que justice soit rendue". Et que "la perception de
persécution politique" soit "écartée".

Mise à l'écart des FRCI du processus électoral

Le NDI plaide pour la poursuite et l'achèvement du processus de désarmement démobilisation réinsertion
(DDR). "Aucune force irrégulière" ne doit être opérationnelle" lors de la préparation de la présidentielle de 2015 et lorsqu'elle se tiendra. La sécurité, durant cette période, doit être assurée, selon l'ONG, par la
police et la gendarmerie, au besoin par des "unités spéciales". Mais par les FRCI "seulement dans des cas exceptionnels". Pas sûr que cela plaise à ceux qui ont instrumentalisé
les Forces nouvelles pour s'offrir des scores soviétiques, souvent supérieurs à 100%, dans le nord de la Côte d'Ivoire en 2010. La fin de l'arbitraire qui est le socle du régime ?
Les recommandations du NDI représentent un vaste programme qui ne dit pas son nom. Les mettre en oeuvre reviendrait à desserrer l'étau d'un arbitraire insondable, d'une emprise totalitaire du pouvoir sur les Ivoiriens, leurs vies et leurs biens, mais également sur le processus électoral à venir. Conditionné par le permis d'exercer sa brutalité sans limites qui lui a été donné il y a trois ans par la "communauté internationale", le régime Ouattara n'est pas prêt à abandonner ce qui lui permet de terroriser une large partie de la population et d'intimider le PDCI, son ennemi intime. D'où sa mise à l'écart du rapport du NDI et son choix, peu rassurant pour la Côte d'Ivoire, du passage en force.

Philippe Brou