Mort de Charles Pasqua, un homme qui faisait « peur et rire tout à la fois »

Par Lemonde.fr - Mort de Charles Pasqua, un homme qui faisait « peur et rire tout à la fois ».

Charles Pasqua donne une conférence de presse, le 17 mai 2005 à Blagnac. LIONEL BONAVENTURE / AFP.

Par Raphaëlle Bacqué

Il est très rare de rencontrer, dans les milieux du pouvoir, un homme qui fait peur et rire tout à la fois. Un homme dont on a longtemps craint les réseaux, les dossiers secrets, les coups tordus, mais dont les bons mots, l’accent provençal et une certaine façon d’être, à mille lieues des technocrates de la politique, ont aussi bâti une forme de popularité.
Charles Pasqua, qui vient de mourir, lundi 29 juin à l’âge de 88 ans, des suites d’un problème cardiaque, selon un communiqué de sa famille publié dans Le Point, présentait ces deux visages. Celui d’un « parrain », conversant en corse avec certains de ses collaborateurs et traînant dans son sillage un bout de la Françafrique, quelques légendes noires du mouvement gaulliste et bon nombre d’affaires qui défrayèrent la chronique judiciaire.
Celui aussi d’un personnage à la Fernandel, terriblement sympathique, fin connaisseur des hommes et invitant chacun à de mémorables saucissonades. Selon les époques, on jura qu’il avait été « un grand résistant », « un grognard du gaullisme », « le premier flic de France », « le patron du plus riche conseil général de l’Hexagone, les Hauts-de-Seine ». Mais c’est encore François Mitterrand qui résuma le mieux ce personnage haut en couleur de la Ve République, en évoquant, dans un mélange d’admiration et de méfiance, « ce diable de M. Pasqua ».
« Sans de Gaulle et Paul Ricard, je ne serais pas ce que je suis »
Tout au long de sa vie, l’ancien ministre laissa presque tout dire. Lui-même parlait beaucoup, jamais avare d’un bon mot ou d’une anecdote. C’était cependant sa manière, très efficace, de cacher toujours l’essentiel. C’est-à-dire sa parfaite connaissance de bon nombre de secrets d’Etat et de certains comportements sombres au cœur de la République. Au sein de la droite, ceux qui avaient suivi son parcours, ses choix politiques, ses procès avaient fini par dire pudiquement de lui « c’est un personnage », comme on évoquerait un caractère de théâtre. Et il faut parier qu’il y avait là une manière d’hommage, d’admiration et peut-être de nostalgie pour une époque révolue de la politique.
Charles Pasqua résuma un jour sa vie en une phrase, qui fit rire les snobs : « Sans de Gaulle et Paul Ricard, je ne serais pas ce que je suis. »
Pour comprendre ce qu’il voulut alors dire, il faut d’abord revenir aux quinze ans de ce petit-fils de berger corse, de ce fils de policier, et sentir le soleil et les parfums de Grasse, dans les Alpes-Maritimes. Le jeune Charles y est né le 18 avril 1927, dans une famille de patriotes farouches, comme le sont parfois les Corses.
Après l’invasion de la zone libre par les armées nazies en novembre 1942, il s’engage dans la Résistance, sous le pseudonyme de Prairie. En fait, son père, André, est déjà membre d’un réseau et établit de fausses cartes d’identité de son commissariat.
De son côté, Charles fait partie d’un groupe de jeunes gens qui rejoindront bientôt la France libre du général de Gaulle. De là datera son attachement à l’homme du 18-Juin, dont il rejoindra après la guerre, dès sa fondation en 1947, le RPF. Il a repris ses études, passé son bac et une licence de droit, et a épousé la femme qui restera toujours à ses côtés, Jeanne Joly, une Québécoise rencontrée à Grasse, avec laquelle il aura aussitôt un fils unique, Pierre. Il lui faut désormais un métier.
Il est « facilement séduit par les truands »
Il va trouver son premier lieu d’épanouissement dans l’entreprise Ricard, qui mène alors bataille sur le marché des alcools et spiritueux contre Pernod, et règne en maîtresse à Marseille, où la famille Pasqua s’est installée. « J’ai eu un coup de chance, j’ai été reçu par Paul Ricard lui-même, racontait parfois Charles Pasqua. Dans son bureau, il m’a demandé de mimer une scène de vente. Ma prestation a dû lui plaire. Quinze jours plus tard j'étais pris à l’essai. »
Il va vite se faire remarquer par son bagout, son intelligence et son sens de la vente. Paul Ricard a un mode de gestion quasi clanique de son entreprise. Il organise des week-ends et des corridas chez lui, invite ses directeurs avec leurs épouses et s’arrange, au fond, pour que ses cadres vivent entièrement dans l’orbite Ricard, vacances comprises.
Très vite, Charles Pasqua va être bombardé inspecteur des ventes en Corse, puis grimper tous les échelons jusqu’à la direction générale des ventes en France et à l’exportation, en 1962, naviguant de la Corse à Marseille pour atterrir à Paris. En 1967, il est devenu le numéro deux du groupe. De ces moments, il gardera surtout le souvenir d’une méthode qu’il définira ainsi :
« Avec Paul Ricard, on avait en commun un comportement atypique. En dehors des clous… C’était une sorte de jeu. Plus qu’un jeu, une nécessité de l’action. »
Cette « nécessité de l’action » trouve aussi un exutoire parallèle. En 1959, il est devenu l’un des cofondateurs, avec Jacques Foccart et Achille Peretti, du Service d’action civique (SAC), sorte de police privée du gaullisme, en pleine guerre d’Algérie. Pasqua en est le vice-président et le dirige avec son ami Daniel Léandri. C’est un curieux mélange de militants, de policiers, de gendarmes et d’hommes du « milieu » qui, de l’engagement gaulliste des débuts, vont peu à peu dériver vers les coups de main, les règlements de comptes et l’illégalité.
Les amis de « Charles » concèdent alors qu’il est « facilement séduit par les truands », tellement plus hauts en couleur que ces fils de la bourgeoisie qui tiennent le haut du pavé politique. Il ne voit d’ailleurs pas de contradiction à les fréquenter pour mieux servir la figure de légende qui reste sa référence : de Gaulle. « De Gaulle, c’était un mythe ! explique-t-il un jour au Monde. S’il avait été communiste, j’aurais été coco sans hésitation. Et s’il m’avait demandé de mourir pour lui, je l’aurais fait sans hésiter. »
En 1968, c’est donc avec ses troupes du SAC que Charles Pasqua organise le raz-de-marée gaulliste du 30 mai sur les Champs-Elysées. Il est élu, dans la foulée, député UDR dans la circonscription de Clichy-Levallois. L’année précédente, il a quitté Ricard pour monter sa propre société, Euralim, sise à Levallois-Perret, spécialisée dans l’importation de l’Americano, un cocktail italien à base de Campari et de vermouth. Mais c’est vraiment la politique qui lui offre le terrain de jeu auquel il aspire.
De De Gaulle à Chirac
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« On ne comprend rien de moi si l’on ne comprend pas que je suis un militant », avait coutume de lancer Pasqua. Il aurait aussi pu ajouter « si l’on ne comprend pas que je suis un homme de la guerre ». Ces années-là transcendent tout. Le compagnonnage de ceux qui ont vécu le conflit est bien plus fort que les clivages politiques : il y a les résistants et les planqués. Et cent fois Pasqua affichera sa sympathie pour des communistes ou des socialistes qui peuvent bien être de « l’autre bord » politique mais ont fréquenté les mêmes rivages de la lutte contre l’occupant nazi. A l’inverse, il pourra bien déclarer avoir des « valeurs communes » avec le Front national et même s’entourer de transfuges de l’extrême droite et d’anciens de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), il éprouvera toujours une aversion profonde pour Jean-Marie Le Pen et les diatribes lancées par l’ancien député poujadiste, dans les années 1960, contre la politique d’autodétermination décidée par le Général en Algérie.
Dans ces conditions, que peut valoir son alliance avec un homme trop jeune pour avoir connu la guerre : Jacques Chirac. Orphelin du général de Gaulle, Charles Pasqua a pourtant un vrai coup de cœur pour ce filleul politique de Georges Pompidou. Chirac a le charme et l’appétit des jeunes ambitieux et s’il a pris soin de céder en apparence aux conventions bourgeoises, il sait apprécier à sa juste valeur l’efficacité sous la drôlerie pagnolesque de Charles.
Dès 1974, Pasqua se met à son service. « Si vous maintenez pour la France le cap du gaullisme, je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous aider à devenir ce nouveau chef », lui dit-il . Désormais, l’amitié paraît indéfectible. Les deux hommes se tutoient, partagent leurs secrets, et les filles de Chirac prennent l’habitude de voir « Oncle Charles » venir prendre un whisky, le soir, avec celui qui est devenu le premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing après avoir trahi l’homme qui incarnait pourtant la résistance gaulliste : Jacques Chaban-Delmas.
Années 1980, Pasqua « boys » et le ministère de l’intérieur
C’est ensemble, avec le tandem Pierre Juillet et Marie-France Garaud, qu’ils vont créer le RPR, en 1976, après la rupture entre Chirac et Giscard. Pasqua a aidé le jeune loup à mettre la main sur l’UDR et à faire taire les barons du gaullisme. Chirac fait de lui le secrétaire général adjoint du mouvement. Désormais, la deuxième phase de sa vie politique sera liée à l’ascension vers la présidence de la République de ce poulain aux dents longues.
Aucune élection interne du mouvement néogaulliste ne lui échappe. Ses réseaux sont mobilisables à tout moment, même pour les actions les moins avouables.
En 1981, Chirac fait de lui son directeur de campagne pour l’élection présidentielle. Pasqua se consacre largement à déstabiliser Valéry Giscard d’Estaing, qui se représente. Alors que le président sortant doit faire face à la polémique sur des diamants offerts par l’« empereur » centrafricain Jean-Bedel Bokassa, les Pasqua boys apposent nuitamment sur les affiches du candidat Giscard, juste à la place des yeux, des diamants autocollants… Au RPR, les cadres ont reçu la consigne explicite de voter pour Mitterrand. Giscard ne s’en relèvera pas.
Dans l’équipe qui prépare déjà Chirac à l’élection suivante, Pasqua incarne désormais les « coups tordus » du RPR et le versant autoritaire d’un leader flanqué, de l’autre côté, d’un Edouard Balladur et d’un Alain Juppé. Il est devenu la bête noire de la gauche. Il l’est si bien qu’en mars 1986, lorsque la droite gagne les législatives et que Chirac devient le premier premier ministre de cohabitation de la Ve République, François Mitterrand s’oppose à quatre nominations dans le gouvernement, dont la sienne au ministère de l’intérieur. Chirac cède sur les trois autres, pas sur lui : Pasqua devient le « premier flic de France ».
Il entend le rôle à sa façon. Quelques jours après son arrivée Place Beauvau, il reçoit ainsi le patron du journal d’extrême droite Minute, Patrick Buisson. De son coffre-fort, le ministre a sorti à l’intention de celui deviendra vingt ans plus tard le conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Elysée un épais dossier rose sur lequel est inscrit en grosses lettres « Turpitudes socialistes »… Le ministre de l’intérieur prépare déjà le combat contre la gauche, et celle-ci ne s’y trompe pas. Elle conteste le nouveau découpage électoral largement défavorable au PS, et bientôt la délivrance d’un vrai faux passeport par la Direction de la surveillance du territoire (DST) à Yves Chalier, l’ancien chef de cabinet du ministre socialiste Christian Nucci impliqué dans l’affaire du Carrefour du développement.
Le 6 décembre 1986, après une manifestation étudiante contre les lois Devaquet sur l’université, un jeune homme de 22 ans, Malik Oussekine meurt après une violente charge de la police. Le ministre et son ministre délégué à la sécurité, Robert Pandraud, avaient remis en service ces équipes de « flics voltigeurs », à moto et équipés de matraques, les chargeant de « nettoyer » les rues en pourchassant les « casseurs ». Désormais, la mort de Malik Oussekine lui sera constamment reprochée, achevant d’assombrir la réputation de Charles Pasqua.
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Charles Pasqua, en 1999. AFP/OLIVIER LABAN-MATTEI
La droite, en revanche, adhère à sa politique musclée rendant plus difficile le séjour des étrangers en France et loue l’arrestation des terroristes d’Action directe. Le « il faut terroriser les terroristes » lancé par le ministre devient quasiment une phrase culte au RPR. C’est aussi grâce à l’action de l’un de ses proches, Jean-Charles Marchiani, un ancien du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) qui parle en corse avec le ministre, que seront notamment libérés le 5 mai 1988 les otages du Liban, Jean-Paul Kauffmann, Marcel Carton et Marcel Fontaine. Sous la caricature de Fernandel pointe pour la première fois la puissance de l’homme de réseaux et de secrets qui, jusqu’à sa mort, ne livrera jamais les conditions de cette libération dont on ne connaît toujours pas avec certitude les contreparties.
« Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent »
Le second tour de l’élection présidentielle doit avoir lieu trois jours plus tard. La joie de voir le journaliste et les deux diplomates enfin libres, partagée pourtant dans toute la France, ne sauvera pas la droite. François Mitterrand est réélu. « Décidément, les Français n’aiment pas mon mari », constate tout de go Bernadette Chirac.
En fait, Charles Pasqua a compris bien avant sa défaite que Chirac ne l’emporterait pas. Il s’exaspère depuis l’automne 1986 de ses hésitations politiques, de ses faiblesses face aux « enfantillages » de « la bande à François Léotard », de sa fascination pour son ministre de l’économie libéral Edouard Balladur. « Si tu veux te contenter d’être le président du conseil général de la Corrèze, disait-il alors à Chirac, c’est à ta portée. Mais ce sera sans nous ! » Il le juge indécis, nerveux et, pour tout dire, sans colonne vertébrale.
Dès le lendemain de la présidentielle, il décide de se mettre à son compte, avec l’aide d’un autre rebelle, Philippe Séguin. Leur offensive contre la direction du parti néogaulliste va faire long feu, en février 1990, mais, deux ans plus tard, le président du groupe RPR du Sénat Pasqua se retrouve une nouvelle fois aux côtés de Séguin contre Chirac et le traité de Maastricht.
Le traité européen qui donnera naissance à la monnaie unique est adopté par référendum le 20 octobre 1992, mais leur campagne a été d’une remarquable efficacité. Surtout, elle a permis à Pasqua de s’ancrer dans un électorat populaire souvent abandonné au Front national, dont il disait – entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1988, alors que Jean-Marie Le Pen avait obtenu 14,4 % de voix au premier tour –, partager « les mêmes valeurs ». Il tente de le cultiver en déposant au Sénat, en octobre 1988, une proposition de loi pour le rétablissement de la peine de mort.
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Dans l’opinion, ses formules font désormais florès : « Les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent », « la politique, ça se fait à coups de pied dans les couilles », « on est plus fidèle à sa nature qu’à ses intérêts ». Mais Charles Pasqua aspire à exercer le pouvoir. Au Sénat, dont il convoitait la présidence, une partie de la droite s’est coalisée contre lui. En 1983, le jeune Nicolas Sarkozy lui a soufflé la mairie de Neuilly, mais il préside depuis 1988 le conseil général le plus riche de France, celui des Hauts-de-Seine. Le voilà politiquement et financièrement puissant.
Cela n’a pas échappé à Edouard Balladur, qui, en 1993, à la faveur de la victoire de la droite aux élections législatives, est devenu premier ministre pour la deuxième cohabitation qu’affronte un François Mitterrand cette fois très affaibli par la maladie. Le gouvernement qu’il compose est un petit chef-d’œuvre d’équilibre politique : tous les chefs de la droite y figurent, de Charles Pasqua, de retour au ministère de l’intérieur, à Simone Veil, de François Léotard à Nicolas Sarkozy, de François Bayrou à Gérard Longuet. Pasqua a déjà compris les ambitions présidentielles de l’ancien conseiller de Chirac. Agacé par ce qu’il tient pour de la faiblesse psychologique, il a déclaré froidement à ce dernier quelques mois auparavant : « Jacques, si tu laisses Edouard aller à Matignon, ce sera comme si tu jouais à la roulette belge : celle où il y a une balle dans chaque trou du barillet » Mais puisque Edouard est là…
Le retour à la Place Beauvau
Au ministère de l’intérieur, c’est comme une redite des années 1986-1988. Le nouveau ministre fait voter la réforme du code de la nationalité française. Il doit aussi faire face en 1994 aux manifestations étudiantes contre le contrat d’insertion professionnelle (CIP), qui sont marquées par des affrontements violents entre la police et des groupes de jeunes. Le 4 octobre 1994, il est confronté à une sanglante fusillade en plein Paris qui fait trois morts parmi les forces de l’ordre. Elle est perpétrée par deux étudiants, Florence Rey et Audry Maupin.
A nouveau, Charles Pasqua se déclare « personnellement en faveur » du retour de la peine de mort pour « les assassins les plus sordides, ceux qui attaquent les personnes âgées sans défense, ceux qui violent ou qui tuent des enfants, ceux qui assassinent des responsables des forces de l’ordre ». Sous sa direction, le général Rondot organise l’arrestation du terroriste Carlos, et c’est aussi sous sa férule que le GIGN intervient, en décembre 1994 à l’aéroport de Marseille, pour « neutraliser » un commando du GIA ayant détourné un Airbus parti d’Alger.
Pour autant, les militants du RPR sont soufflés de voir Charles Pasqua décider de soutenir, quelques mois avant l’élection présidentielle, un Edouard Balladur qu’il avait pourtant toujours traité, au mieux de « casse-couilles », au pire de « bourgeois libéral bradeur de gaullisme ». L’un est souverainiste et tient l’intervention de l’Etat pour la marque de la puissance française. L’autre est européen et libéral. Que peuvent-ils avoir en commun sinon un intérêt trivial et cynique pour le pouvoir ?
Pasqua a-t-il mesuré le désarroi et l’incompréhension qu’il suscite chez ses fidèles ? Au lendemain de sa prise de position, il est sifflé dans les rangs du RPR. L’imbroglio de l’affaire Schuller-Maréchal, en pleine campagne présidentielle, et les scandales judiciaires de Patrick Balkany qui ébranlent son fief des Hauts-de-Seine achèvent de ternir son image. La défaite d’Edouard Balladur le laisse sans allié.
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« Tout a été fait pour m’éliminer. Un juge s’en est chargé… »
En 1999, son alliance avec Philippe de Villiers aux élections européennes lui permet de devancer la liste menée par Nicolas Sarkozy, obligeant ce dernier à démissionner de la tête du RPR. Pasqua et Villiers fondent un nouveau parti, le RPF. Mais les deux hommes ne sont pas faits pour s’entendre. Parmi les douze députés RPF élus au Parlement européen, dix le quittent. A la tête du conseil général des Hauts-de-Seine, il crée le pôle universitaire Léonard-de-Vinci, appelé « fac Pasqua ». Il commence à se sentir pousser des ailes. Elles vont être coupées net par la justice.
« Mes ennuis ont commencé en 2000, quand j’ai dit que j’étais candidat à la présidentielle de 2002 », expliquait en 2009 Charles Pasqua, qui détailla : « Il est évident, si l’on regarde les choses a posteriori, que si j’avais été candidat, Jacques Chirac n’aurait jamais été élu. Il aurait été battu par Lionel Jospin. Tout a été fait pour m’éliminer. Un juge s’en est chargé… » Il n’empêche. Les investigations de la justice éclairent d’une nouvelle lumière une autre facette de l’animal politique.
Les connaisseurs de l'Afrique savent depuis longtemps comment les réseaux Pasqua ont peu à peu pris la place des anciens réseaux Foccart. L’ancien patron du SAC veut être le Fouché du continent africain et peut compter sur ses fidèles, dont Daniel Léandri, Jean-Charles Marchiani et son propre fils, Pierre Pasqua, pour l’aider dans cette ambition. Au ministère de l’intérieur, Pasqua savait rendre service, donner des conseils de sécurité, surveiller discrètement les opposants installés dans l’Hexagone, délivrer des visas. A sa manière, Charles Pasqua mène en Afrique, notamment dans les pays pétroliers, sa propre diplomatie.
Il essaie d’installer un homme à lui – souvent un Corse – chez la plupart des présidents africains, en débordant largement le pré carré francophone. Un pour cent du budget du conseil général des Hauts-de-Seine est consacré à la coopération en Afrique.
Lorsque, en janvier 1997, Philippe Jaffré le nouveau président-directeur général d’Elf Aquitaine, décide de se rendre en Angola, l’eldorado pétrolier de loin le plus prometteur d’Afrique, il doit décaler sa visite d’une semaine. L’ancien ministre de l’intérieur a programmé au même moment un déplacement à Luanda et risque de monopoliser les meilleurs interlocuteurs à la présidence angolaise, mais aussi de nombreux cadres de la compagnie pétrolière française. François Mitterrand l’avait lui-même bien compris : au sein d’Elf, surnommée « la pompe Afrique » de la classe politique française, on peut s’entendre pour partager et travailler ensemble entre Loïk Le Floch-Prigent, nommé par le président socialiste, Alfred Sirven, proche de Charles Pasqua, et le chiraquien André Tarallo.
Pasqua entretient aussi des liens étroits avec le marchand d’armes Pierre Falcone et l’associé de ce dernier, Arcadi Gaydamak, décoré de l’ordre national du Mérite pour avoir joué un rôle essentiel dans la libération, en décembre 1995, de pilotes français détenus en Bosnie.
On retrouvera tous ces noms dans la plupart des affaires financières qui vont plomber les années 2000 de Charles Pasqua. Relaxé dans six d’entre elles, il est condamné à de la prison avec sursis deux fois, même si le tribunal souligne n’avoir trouvé chez lui « aucune âpreté au gain ni aucune volonté d’enrichissement crapuleux ». Son fils, Pierre, en revanche, doit séjourner en prison. Ces dernières années, Charles Pasqua, qui avait renoncé à se représenter aux élections sénatoriales en 2011, continuait à retrouver ses amis autour de charcuteries corses. En février cependant, il avait enterré son fils Pierre, et malgré son apparition il y a quelques semaines au congrès fondateur des Républicains, il n’avait plus pour la politique que le goût de ses secrets.
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