L'écrivain Isaac Bangoret démonte Venance Konan : « Votre vérité aux évêques catholiques est relative. La réconciliation à l’instar de la paix, est un comportement »

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - LA VÉRITÉ DE VENANCE KONAN AUX ÉVÊQUES CATHOLIQUES EST RELATIVE
LA RÉCONCILIATION À L’INSTAR DE LA PAIX EST UN COMPORTEMENT, par Isaac Pierre Bangoret (écrivain).

Venance Konan, directeur général du quotidien gouvernemental ivoirien "Fraternité matin".

Il est, avant tout, opportun, dans un souci purement didactique, de lever toute équivoque entre la vérité de fait, la vérité rationnelle, et la vérité évangélique. L’article de Venance Konan (le premier responsable du quotidien officiel de notre pays) adressé aux Évêques catholiques, en réponse à leur intervention jugée inquiétante par la Presse et les réseaux sociaux est intitulé : «Vérité et réconciliation ». Face à un tel titre, tout analyste politique retient son souffle parce que cet exercice intellectuel du « porte-parole de Dramane Ouattara » est périlleux étant donné le caractère antinomique (absolument opposé) de la vocation des protagonistes. Venance Konan, un des représentants du quatrième pouvoir alliés et non opposés au régime d’Abidjan, s’est en fait proposé de défendre « la vérité » du clan Ouattara qu’auraient volontairement ignoré les Évêques catholiques tout au long de la crise ivoirienne. Le journaliste exprime sa vérité quant aux maux relevés par les prélats qui n’encouragent pas à créer les conditions d’une réconciliation vraie. Il écrit à ce sujet : «[…] Est-ce le jour où tous ces maux disparaîtront que nous dirons que le défi de la Réconciliation a été relevé ? Je pense qu’il ne faut pas être trop idéaliste ». Venance Konan, en analysant les propos des Évêques d’un point de vue idéologique, politique, trébuche, parce qu’il ne peut opposer la vérité de fait à la vérité évangélique qu’il faut saisir d’un point de vue spirituel. Nos pasteurs affirment, en effet, intervenir dans le débat politique ivoirien comme autorités religieuses, guides et éclaireurs des consciences des hommes, des femmes et des communautés au nom de la foi en Dieu, à ce titre, ils ne doivent pas avoir peur de dire la vérité qui s’impose et qui seule libère. La vérité que défendent et proclament les Évêques n’est ni la vérité rationnelle, ni la vérité de fait, il s’agit de la vérité évangélique à l’origine de la création d’un monde idéal, puisqu’ils ont pour mission de sanctifier tous les secteurs d’activités de l’homme, en l’invitant à avoir au centre de sa vie la crainte du Dieu Unique, de Le choisir comme Modèle de sainteté. Demander aux Évêques de ne pas être trop idéalistes, c’est les inciter à faire entorse à leur propre ministère parce que la vérité évangélique ne peut, en effet, s’accommoder des rancoeurs, des tensions, d’un front social en ébullition maté dans le sang, du rattrapage ethnique car le Christ notre directeur spirituel nous invite à accueillir comme frères, soeurs, mères et pères, tous les artisans de paix, tous ceux qui font la volonté du Père céleste, prêts à offrir en sacrifice leur vie pour la gloire de Dieu et le salut du prochain. Nos frères devant le Dieu unique ne sont donc pas les membres de notre communauté ethnique ou religieuse mais tous les hommes de bonne volonté, d’où cette profession de foi de nos pasteurs: « Ils ne doivent pas avoir peur de dire la vérité qui s’impose et qui seule libère ». Le concept de vérité prôné par Venance Konan quand il rapporte des faits subjectifs est en soi erroné du point de vue des sciences politiques, parce qu’il ne faut pas faire de confusion entre l’action politique et des concepts rationnels tirés de la sociologie, de la psychologie, des sciences humaines qui ont donné à la politique un caractère rationnel, scientifique, dans des domaines bien précis. Hannah Arendt écrit à juste titre : « La vérité a un caractère despotique et est l’opposé de l’action politique pour laquelle tout est opinion, persuasion, consensus ». Le directeur du journal officiel de la Côte d’Ivoire Venance Konan confond, par conséquent, action politique et vérité quand il écrit les lignes suivantes: « Là où le problème se pose, c’est lorsque l’opposition ou du moins une frange de l’opposition ne veut pas reconnaître le pouvoir. C’est le cas dans notre pays. Et c’est là que nos prélats doivent jouer le rôle qu’ils se sont assigné. [….] C’est cette vérité que nous attendons de vous depuis longtemps. En 2010, j’avais écrit ces lignes à l’attention du Cardinal Agré : « Votre
éminence, les deux vérités que vous auriez dû dire à vos ouailles, et, au-delà d’eux, à tous les Ivoiriens, sont celles-ci » : (Relevons, de manière sommaire ces deux vérités): (premièrement) se soumettre aux décisions du certificateur et non à celles du Conseil constitutionnel. (Deuxièmement ); s’en tenir au droit dicté par notre Constitution face à des irrégularités constatées par le Conseil constitutionnel ». Quand Venance Konan tient à préciser que toutes ces décisions ont été prises en 2005 à Pretoria dans un climat de méfiance entre les acteurs politiques (sans oublier le fait que le désarmement des rebelles n’ait pas été effectif), ce qu’il appelle vérités ne sont, en réalité, que des actions politiques, des opinions, parce qu’elles visent à créer un consensus, à dissuader ceux qui ne sont pas convaincus de la bonne foi des adversaires politiques qui se lancent, comme eux, à la conquête du pouvoir d’État, un pouvoir temporel, contrairement au pouvoir spirituel auquel aspirent nos pasteurs. Ces décisions politiques de Pretoria sont privées du caractère immuable de toute vérité puisqu’elles peuvent être interprétées, de manière subjective, par les différents protagonistes de la crise politique ivoirienne. Lorsque le directeur du quotidien officiel ivoirien demande à nos bergers d’inviter le peuple à reconnaître Dramane Ouattara comme le vainqueur des élections de 2010, il trébuche une seconde fois parce qu’il s’évertue à assigner aux Évêques catholiques un rôle qui n’est pas le leur ; celui d’arbitre entre les différents groupes politiques. Ce rôle est contraire à la vérité évangélique qui est sagesse pour Dieu mais folie pour ces hommes prêts à s’accommoder des rancoeurs, et comptent arriver à la « réconciliation » dans un climat politique de rattrapage ethnique. Nos pasteurs ont, à dessein, jugé bon d’exprimer leur désaveu quant à la mission « d’arbitrage » assignée à l’Évêque Ahouana par le régime d’Abidjan. Le Christ, notre Maître et Seigneur dit, en effet, qu’il n’est pas venu pour juger, arbitrer nos différends mais pour sauver le monde. Son oeuvre n’est donc pas une oeuvre de jugement, d’arbitrage, mais de salut. L’intervention des Évêques ivoiriens s’inscrit, en définitive, dans ce projet de salut. Sur le plan politique Houphouët Boigny, en homme politique averti, a fini par conclure que la paix est, en fait, un comportement et non un verbiage. Il en est de même de la réconciliation que le président Gbagbo résume assez bien quand il dit : « Asseyons-nous et discutons ». La vérité, comme le relève Arendt, a un caractère despotique parce qu’elle est intransigeante et rassemble, par exemple, automatiquement, au sein d’une coalition : le CNC, tous les démocrates ivoiriens. Dramane Ouattara est inéligible selon l’article 35 de la Constitution ivoirienne ; ce n’est pas une action politique mais une vérité, fruit de l’interprétation objective (et non subjective) du droit constitutionnel ivoirien. Ce sont en effet les interprétations subjectives de nos lois qui ont conduit notre pays au bord du gouffre. Il nous faut désormais mettre fin à cette aventure périlleuse, en veillant au respect scrupuleux de la Constitution ivoirienne, car la Réconciliation à l’instar de la paix est un comportement et non un vain mot, un verbiage.

Une contribution par Isaac Pierre Bangoret (Écrivain)