GUINÉE CONAKRY : Bousculade meurtrière sur une plage de Conakry, les Obs de France24 témoignent

Par France 24 - Bousculade meurtrière sur une plage de Conakry, les Obs de France24 témoignent.

Photo prise par notre Observateur Johnny M., membre du staff qui organisait le concert sur la plage Rogbané à Conakry.

Ils étaient venus assister à un concert pour fêter la fin du ramadan, mais la fête a tourné au cauchemar. Sur une plage de Conakry, au moins 33 personnes sont mortes et plusieurs dizaines ont été blessées dans une gigantesque bousculade. Nos Observateurs nous ont fait parvenir des images et dénoncent de graves dysfonctionnements de la part des organisateurs.

La bousculade a eu lieu mardi soir sur la plage Rogbané, dans la commune de Ratoma située dans le nord de la capitale Conakry. Un concert y était organisé pour fêter la fin du ramadan et le début de l’Aïd par la société événementielle "Meurs libre production". Deux groupes de "musique urbaine", Instinct Killers et Banlieuz’art, extrêmement populaires en Guinée, se produisaient lors de cet événement.

"Certains escaladaient les barricades autour du concert pour fuir et se sont blessés sur des barbelés"
Joseph Mina Mira habite à Ratoma à quelques mètres de la plage Rogbané. Il s’est rendu au concert à la mi-journée.

J’étais très surpris de voir que les gens continuaient à rentrer alors que nous étions tous déjà très serrés. En plus, j’ai été étonné de voir dans la foule de très jeunes enfants, âgés de 12 à 14 ans. Certains étaient avec leurs parents, mais d’autres semblaient être venus sans adultes.

Vers 20h45, alors que le concert approchait de la fin, les gens qui étaient du côté de la mer, à notre droite, ont commencé à nous pousser [d’autres témoins affirment que la marée montante a poussé les spectateurs à se bousculer NDLR]. Pris de panique, beaucoup ont essayé de sortir.

Le problème, c’est qu’il n’y avait qu’une sortie, et que dehors, beaucoup de personnes continueraient de pousser pour rentrer gratuitement, car le prix de la place n’était pas à la portée de toutes les bourses [l’entrée était de 25 000 francs guinéens soit environ 3 euros NDLR]. C’est là que ça a dégénéré. Ça faisait un peu comme des dominos : plusieurs personnes sont tombées, dont des enfants, et ont été piétinées. D’autres essayaient d’escalader les barricades autour du concert pour fuir et se sont blessés sur des barbelés.

J’ai vu un enfant très jeune, qui s’était fait marcher dessus et qui avait les deux bras fracturés. Il criait à la mort. J’ai moi-même extirpé deux jeunes filles que j’ai ramenées chez moi. L’une d’entre elles qui s’était fait marcher dessus n’arrivait plus à respirer. Ses parents sont venus la chercher pour l’amener à l’hôpital. Ils m’ont appelé après pour me dire qu’elle était décédée durant le chemin. Ce qui me révolte, c’est qu’on ait laissé rentrer des enfants très jeunes, sans aucun contrôle.

Le bilan provisoire communiqué par des sources médicales de l’hôpital Donka de Conakry fait état de 33 morts, dont onze mineurs, et d’une soixantaine de blessés. Des Observateurs de la commune de Ratoma contactés par France 24 affirment pour leur part que le bilan total pourrait être d’une cinquantaine de morts.

"Les plages ne sont pas adaptées pour de tels rassemblements"
Johnny M. (psonyme) faisait partie du staff qui gérait l’événement. Il pointe de graves dysfonctionnements de la part des organisateurs.

Les portes ont ouvert vers midi pour un concert qui devait débuter à 14 heures. Mais il n’a commencé qu’à 17h40 car du monde continuait d’affluer. Je ne peux pas dire précisément combien de spectateurs étaient là, mais ce qui est sûr c’est qu’il y en avait beaucoup trop.

Certains membres du staff avaient le sentiment que la situation n’était pas sous contrôle. Il y avait seulement un pick-up avec une dizaine de policiers et le même nombre d’agents de sécurité. Des membres du staff, dont moi, ont demandé qu’on arrête le concert pour évacuer dans le calme les spectateurs, mais les managers ont refusé. [La société de production a refusé de commenter cette affirmation] Qui plus est, chaque groupe est resté en moyenne 45 minutes alors qu’il était prévu qu’il ne reste que 30 minutes sur scène. Le retard s’est accumulé, et le concert a fini à 21 h, lorsque la nuit était tombé, au lieu de 19 h. On n’y voyait pas grand-chose malgré les spots, ça a clairement amplifié la panique dans la foule.

Pour moi la responsabilité des organisateurs est donc claire. Mais il y a un autre problème de fond : il n’y a pas d’infrastructures à Conakry qui puisse accueillir ce type de concert de musique urbaine très populaire. Le seul qui aurait la capacité suffisante, le stade du 28-Septembre, n’accueille plus aucun événement depuis le massacre de 2009. Les autres salles sont soit trop chères, soit trop petites. Les sociétés de production se tournent donc vers les plages, suffisamment grandes et bon marché, mais pas du tout adaptées pour l’évacuation en cas de bousculade.
Ça fait deux fois en 2014 qu’un tel drame a lieu sur une plage : dans la nuit du 31 décembre, six personnes étaient mortes à cause d’une bousculade similaire lors d’un concert de reggae. Combien de morts faudra-t-il pour entrainer une prise de conscience ?

Les organisateurs récusent les accusations, scènes de désolation sur la plage

Contacté par France 24, Ablaye Mbaye, le directeur de la société de production qui a organisé le concert affirme être "en deuil" et regrette qu’un "concert qui s’est bien déroulé ait dégénéré à la fin". S’il refuse de commenter les accusations à son encontre, il estime que sa société a "l’habitude d’organiser de tels concerts" et "n’a pas vendu plus de tickets que d’habitude".

Au lendemain du drame, le président Alpha Condé a décrété une semaine de deuil national et suspendu provisoirement le Directeur général de l’agence guinéenne de spectacles. Une délégation gouvernementale s’est rendue sur place dans la journée, tout comme certains de nos Observateurs qui nous ont fait parvenir les photos ci-dessous. Ils décrivent des scènes de désolation sur la plage : chaises cassées, chaussures, téléphones portables et vêtements abandonnés dans la fuite.

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