Débats et opinions : Les militaires français avaient-ils le droit d’assassiner des civils ivoiriens? par Isaac Pierre Bangoret

Par Correspondance particulière - Les militaires français avaient-ils le droit d’assassiner des civils ivoiriens? Par Isaac Pierre Bangoret

Force française Licorne de Côte d'Ivoire.

LES MILITAIRES FRANÇAIS AVAIENT-ILS LE DROIT D’ASSASSINER DES CIVILS
IVOIRIENS?

François Hollande, à Abidjan, a tenu le 17 juillet 2014, durant sa
conférence de presse, les propos suivants : « Les responsables de crimes,
quels qu’ils soient, doivent être traduits devant les tribunaux.
L’impunité ne doit pas être tolérée. La Côte d’Ivoire doit respecter
la démocratie, les droits de l’homme, et la bonne gouvernance ». On
aurait été heureux d’entendre le président français nous entretenir
aussi sur le sort à réserver aux militaires français qui ont, aux côtés
des partisans armés d’Alassane Ouattara, assassiné des civils ivoiriens
innocents . Ne devraient-ils pas, eux-aussi, répondre de leurs crimes ?
Parler de démocratie, des droits de l’homme, de bonne gouvernance, quand
le président français est incapable d’amener Alassane Ouattara à former
une Commission électorale indépendante légitime, c’est nous nourrir, de
nouveau, de vaines espérances. Les différents faits politiques qu’il nous
a été donné d’observer, d’analyser, après l’élection du président
Hollande (le candidat des démocrates africains) démontrent que les
véritables extrémistes ne sont pas les Ivoiriens (les Africains) mais
plutôt les hommes politiques français qui, à travers les actes qu’ils
posent, démontrent que le seul discours qu’ils ont décidé de tenir aux
Africains est celui de la force, des armes. Lorsque le président français
Hollande, un élève de l’école de Nicolas Machiavel, affirme que
l’impunité ne doit pas être tolérée en Côte d’Ivoire et que les
auteurs de crimes contre l’humanité les pro-Gbagbo et les pro-Alassane
seront jugés, afin de jeter les bases de la démocratie, d’un État de
droit, il revient aux Ivoiriens de se poser la question suivante : « Quel
est l’intérêt de l’Élysée à lutter contre l’impunité en Côte
d’Ivoire, une impunité qu’elle a, de manière délibérée, favorisé,
en choisissant la guerre et non le dialogue pour résoudre un contentieux
électoral ? ». La réponse est simple ; il s’agit pour Hollande et
l’Élysée de se débarrasser « légalement » de tous les hommes
politiques ivoiriens qui constituent un obstacle pour le clan Alassane
Ouattara (et non pour sa famille politique le RHDP). L’acteur politique
Hollande tient en Côte d’Ivoire, durant sa conférence de presse, le rôle
du « bon » qui emboîte le pas au « méchant » Sarkosy : il s’agit, en
fait, de se servir d’un droit (d’une légalité) fait sur mesure pour
éliminer leurs adversaires de l’arène politique. Ouattara, durant la
conférence de presse, abonde dans le même ordre d’idée, à travers une
boutade, qui exprime, officiellement, son intention de nier tout lien avec
des criminels de guerre qui prétendent être des « pro-Ouattara ». Ces
derniers, affirment-ils, n’échapperont pas à la justice internationale ;
il s’agit, en réalité, des membres des Forces Nouvelles. Les Ivoiriens
doivent éviter de tomber dans ce piège politico-juridique tendu par
l’Élysée et Ouattara. Après avoir déporté le président ivoirien
Gbagbo à la Haye, l’une des figures politiques ivoiriennes incontournables
reste Soro Guillaume. Sa présence aux côtés d’Alassane Ouattara a permis
à ce dernier d’avoir une certaine légitimité nationale. Si Ouattara a le
soutien de l’électorat formé par les apatrides et les étrangers, dans
leur majorité, Soro Guillaume et les Forces Nouvelles représentent, en
quelque sorte, l’électorat du Nord. Soro Guillaume et les Forces Nouvelles
partagent avec Alassane Ouattara l’électorat du RDR et sont devenus, par
conséquent, des adversaires politiques à abattre puisque le clan Alassane
Ouattara ne doit souffrir d’aucun contre-pouvoir au sein de sa famille
politique. Nous ne pouvons que douter de la bonne foi de l’Élysée qui
prétendait encourager la démocratie dans notre pays, en suscitant la guerre
pour résoudre un contentieux électoral. Hollande déploie, à son tour,
trois mille soldats résidents en Côte d’Ivoire, dans le but de lutter
contre le terrorisme au Sahel, à la veille des présidentielles ivoiriennes
et burkinabé de 2015. Lorsque nous sommes face à l’Élysée, il nous faut
toujours prendre soin de définir les termes qu’utilisent ses hommes
politiques, pour éviter toute mauvaise surprise. Nous devons surtout avoir
en mémoire les faits politiques étroitement liés à ces termes, à la
lutte, par
exemple, contre le terrorisme par la France en Côte d’Ivoire. Deux faits
peuvent être évoqués : le FPI a déjà été accusé par des experts de
l’ONU d’entretenir des liens avec des terroristes pour renverser le
gouvernement d’Alassane Ouattara, tandis que Wattao (un membre influent des
Forces Nouvelles) est suspecté d’avoir financé des membres de groupes
terroristes proches d’Al Qaïda, avec la vente du diamant ivoirien. Les
trois mille soldats français présents en Côte d’Ivoire, ont, par
conséquent, dans leur collimateur, des « terroristes potentiels ivoiriens»
à combattre dont les dossiers sont sur la table de l’ONU, dans l’attente
de leur exploitation par l’Élysée, en fonction de la tournure que
prendront les présidentielles ivoiriennes de 2015. L’usage de la force est
le seul langage utilisé par l’Élysée en Afrique. Pour éviter ce piège
politico-juridique tendu par l’Élysée et Ouattara pour se débarrasser
légalement de leurs adversaires politiques, tous les Ivoiriens, tous les
partis politiques, se doivent de se mobiliser, de lutter afin qu’aucun
ivoirien ne soit envoyé ou maintenu à la Haye. Les Africains ne seront des
personnes adultes que s’ils apprennent à résoudre leurs différends
politiques au moyen du dialogue, du pardon réciproque, pour jeter les bases
d’une véritable démocratie après les événements de 2002 et le
contentieux électoral entretenu, volontairement, par l’Élysée pour
gouverner, par le biais d’Alassane Ouattara, notre pays. Nous devons
conjuguer nos efforts afin que soient libérés le président Gbagbo, le
ministre Blé Goudé et tous les prisonniers politiques. Notre pays a certes
connu des milliers de morts durant les différentes crises qui l’ont
secoué, mais nous devons surmonter nos émotions, nos divisions internes, et
être assez réalistes pour sauver des millions d’ivoiriens et
d’étrangers qui ne demandent qu’à vivre en paix, loin des intrigues des
hommes politiques français. Nous ne voulons pas de cette démocratie à la
française qui détruit volontairement les armées africaines républicaines,
souveraines, dans le but de voir l’armée française assurer notre
sécurité, et installer des présidents qui ne feront que signer des accords
dont le but principal est de préserver les intérêts de la France, la
grande bénéficiaire de notre croissance économique. L’argent ne circule
pas parce qu’elle travaille au sein des grandes entreprises françaises.
Ces Africains, ces Ivoiriens, qui avaient choisi de soutenir le candidat
Hollande auraient-ils donc été des naïfs, sur le plan politique ? Non !
Ces Ivoiriens ne sont pas, contrairement aux hommes politiques français des
personnes guidées par leurs préjugés, des extrémistes qui ignorent
volontairement tout accord négocié, respectueux de nos intérêts
respectifs. Ils ont choisi de se mettre à l’école des penseurs de la race
d’Emmanuel Kant ou de Johannes Althusius qui, contrairement à Nicolas
Machiavel, ont une vision politique conforme à nos traditions africaines,
respectueuses de la vie humaine, de nombreuses vertus, ignorées
volontairement par la France. Le défi politique de l’Afrique ne consiste
pas, en effet, à inventer une démocratie africaine mais à prendre plutôt
conscience du fait que nos pouvoirs exécutifs se doivent d’administrer nos
populations dans la vérité, dans la transparence, et non dans le mensonge
parce que nous comptons de nombreux illettrés qui ignorent la mauvaise foi
de certains représentants politiques. Le mensonge distillé par la France et
par les partisans d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, à travers les
média, et leurs hommes politiques ont suscité, par exemple, dans le coeur
de braves populations du Nord une haine viscérale vis-à-vis des populations
du Sud. Cette haine est aujourd’hui un obstacle à la construction d’une
nation démocratique, une démocratie corporative, selon la vision politique
d’Althusius. Pour ce penseur, la politique est l’art de fonder, de
maintenir la « consociatio » (la communion) entre les membres de la Cité
ou encore de faire vivre les hommes en communauté. C’est au sein de ces
différentes « communautés symbiotiques » que l’homme peut mener une vie
ordonnée et vertueuse. L’État ne voit se confier que des compétences
limitées, explicitement déléguées, la souveraineté demeure la
propriété du peuple qui fait corps avec l’État. Les gouvernants élus
par le peuple au suffrage universel sont invités à veiller au bon
fonctionnement des communautés qui composent l’État, à leurs libertés
respectives. Il se doit de les inciter à l’action juste et ordonnée. Kant
et Althusius nous proposent un monde politique différent qui n’est pas
fondé essentiellement sur le mensonge, sur l’art de la tromperie dont sont
passés maîtres les hommes politiques français, élèves de Nicolas
Machiavel, dont l’école ne forme que des artistes de la tromperie, au
service de leurs intérêts respectifs. Les hommes politiques africains se
doivent de se mettre à l’école de ces penseurs politiques, amis des
vertus, ennemis de la propagande politique, du mensonge légitime à
l’origine des guerres que connaît le continent africain. Nous connaissons
désormais la France et sa politique africaine révoltante qui fait de leurs
grandes entreprises des sangsues qui se nourrissent du sang de nos
populations, en faisant main basse sur nos ressources. Si les soldats
français qui ont commis des crimes contre l’humanité en Côte d’Ivoire
échappent à la justice nationale ou internationale, la volonté affichée
par le président Hollande « soucieux » de combattre toute impunité en
Côte d’Ivoire n’est qu’un leurre, un piège politico-juridique.
Lorsque nous verrons des hommes politiques ou des officiers français
condamnés et enfermés pour les crimes qu’ils ont commis dans nos pays
africains, alors nous croirons à la bonne foi de l’Élysée. Pour
l’instant ne nous prêtons pas à ce jeu politique répugnant qui fait de
nous des bourreaux de nos propres frères. Empruntons le chemin du pardon, de
la réconciliation, et non celle de la justice sur mesure dont le but est de
se débarrasser légalement des adversaires politiques jugés embarrassants.

Une contribution par Isaac Pierre BANGORET (Écrivain)