Débats et Opinions - Front populaire ivoirien : Est-ce la taupe qui fut le traître ou le traître qui était la taupe ? Quel FPI pour ce 21è siècle ?

Par IvoireBusiness/ Débats et Opinions - Front populaire ivoirien, Est-ce la taupe qui fut le traître ou le traître qui était la taupe ? Quel FPI pour ce 21è siècle ?

Affi N'guessan le 12 novembre 2014 au siège du FPI à la Riviera Attoban, pour le dépôt de sa candidature à la présidence du FPI.

La Côte d’Ivoire, ce pays qui fut tranquille sur une longue période, a commencé à connaître des problèmes sociaux-économiques depuis les années 80. Des turbulences d’ordre politique sont venues s’agréger dès les années 90. Devant ces difficultés, les autorités d’alors ont choisi d’opposer un refus de moderniser la vie socio-économique et politique. Cette situation a durci la position de ceux qui se battent depuis pour les libertés individuelles, collectives et pour les droits de l’Homme ; disons tout court pour la conquête de la démocratie. Et les populations, témoins des scandales à répétition ont vu en plus dans le pouvoir, plutôt de la suffisance au lieu de répondre aux différentes revendications somme toute légitimes. C’est l’inclination à regarder le peuple de haut et l’autisme de ceux qui étaient au pouvoir qui a surtout marqué le peuple. Quand l’armée prit le pouvoir par la force, le peuple très éprouvé par la paupérisation aigüe dont il est l’objet, salua l’éjection du président Bédié - sans bain de sang -. Que Nzuéba en garde une rancune aussi noire qu’amère au lieu de se remettre en question, cela est une autre question. Le président Bédié est celui qui a lancé un mandat d’arrêt contre Ouattara. Qu’il ait soutenu ce dernier sous la pression des impérialistes – à l’occasion des présidentielles de 2010 – qui voulait la peau d’un Gbagbo indocile, l’acte est pris. Qu’il veuille rééditer son exploit parce qu’il en tire des prébendes personnelles et égoïstes, cela soulève de nombreuses questions quant au vrai rôle qu’il devrait jouer en tant qu’ancien chef de l’Etat et surtout au regard du problème crucial de l’avenir d’une jeunesse qui ne peut pas vivre sans lendemain.
Peut-on parler de traître ou de taupe au FPI ? Même si ces mots dans leur essence, expriment une certaine dureté, les faits, les vécus et les impressions soutiennent une félonie manifeste.

La sortie de prison de Pascal Affi N’guessan
Si le président du FPI, après des séances de pompes à Bouna, a réellement fait la prison, il devrait cultiver un minimum de dignité. Ne serait-ce qu’en faisant un point pour s’aménager une marge de retenue pour les nombreux morts notamment les jeunes qui ont péri en croyant, en un discours dont Affi est l’un des émetteurs. Le président Affi a eu à rencontrer des chancelleries notamment celles de la France et des USA. Jusque-là, les militants, les sympathisants et tous ceux qui estiment que le FPI reste le Parti qui peut réaliser l’alternance politique garde leur souffle. Presque tous les partisans du FPI se mettent à l’encenser et à l’encourager, en choisissant de laisser certaines questions en suspens. La ferveur gagne en hauteur quand le président Affi se rend à son domicile pour congédier ceux qui l’occupaient illégalement. C’était du jamais vu sous Ouattara. Ses tournées dans le pays avaient commencé à ramener de l’espoir, à chasser la peur et à redonner confiance à tous les soutiens de Laurent Gbagbo et à tous les démocrates qui souffrent de voir la Côte d’Ivoire dans un tel état de délitement avec autant de balafres.

Les doutes ont commencé à s’installer !
Aux rumeurs qui se multipliaient dans le sens de jeter du discrédit sur Affi, un bloc a été pour défendre notre président. Mais les questions, les soupçons et les incompréhensions ont commencé à prendre véritablement corps quand dans ses tournées, le président du FPI ne prononçait pas le nom de Gbagbo pendant ses meetings qui plus est quand il a laissé faire « Affi président ; Aaffiii pré-si-dent ». Nous avons préféré attendre pour que la vérité se révèle. Un élément à constater, c’est que le patriote grand pourfendeur du FPI est aujourd’hui devenu un organe propagandiste pro-Affi. Ce qui retient plus l’attention, c’est quand le président du FPI engage le parti dans des décisions liées à la vie du pays sans en débattre au préalable dans les instances du Parti. Il a trouvé comme solution qu’il fallait écarter ceux qui se montrent durs contre Ouattara ; mais aussi ceux qui demandaient que soit préservée la démocratie interne. Il a alors imaginé un secrétariat général pléthorique comme pour se confectionner une cour avant la tenue du Congrès.

Gbagbo l’avait envoyé à Marcoussis pour discuter des solutions du pays. Mais pendant ce séjour où il a signé les accords quand Mamadou Koulibaly claquait la porte, Affi donnait plus de temps à son propre lobbying auprès de décideurs pour rester premier ministre. L’opportunisme est un phénomène qui peut être occasionnellement tremplin en politique. Qu’il affecte les gênes de façon indélébile, cela devient problématique. Le président Affi est porteur de la phrase de Hollande qui dit qu’un Parti qui ne va pas aux élections est appelé à mourir. Comment une personnalité qui a géré le FPI pendant plus de 12 ans, n’a pas pu se faire une carapace et une assise culturelle nécessaires pour comprendre que, c’est parce que Miaka Ouréto et les autres n’ont pas courbé l’échine qu’il a trouvé le parti debout. Que c’est parce que Miaka Ouréto, les autres et la Diaspora sont restés déterminés que Affi N’guessan n’a pas été oublié en prison et a trouvé le parti debout. Que c’est parce que Miaka a écouté la base et a tenu bon que le FPI n’est pas allé aux différentes élections et qu’il reste courtisé par la Communauté internationale.

Le 8 septembre 2013, le CDR-CI (Conseil de la Diaspora pour la défense de la Démocratie et le respect des Droits de l’Homme en Côte d’Ivoire) qui a été porté par tous les cadres du FPI, y compris la Coordination du FPI en exil, avait adressé une lettre officielle au président Affi pour se présenter à la Direction et annoncer sa disponibilité à travailler ensemble. Non seulement aucune réponse n’a pas été donnée – c’est là un défaut partagé même pour les autres du FPI – mais une équipe a été mise en place pour combattre cette dynamique de la Diaspora qui ne doit qu’être encouragée ne serait-ce que pour le symbole qu’elle représente aujourd’hui lorsqu’on parcourt toute l’histoire de notre pays avant et après le 11 avril 2011. Par ailleurs, au contraire du discours officiel, grâce à la mobilisation constance de tous – en particulier à l’internationalisation de la lutte par la Diaspora –, la Communauté internationale a eu le temps de constater l’incompétence, le tribalisme et les actes violents du pouvoir d’Abidjan qu’elle tient à bout de bras depuis son forfait du printemps 2011.

Annuler la tenue du Congrès sinon au pire porter plainte pour invalider la victoire de Laurent Gbagbo ?
Il revient de façon récurrente que le camarade Affi est de collusion avec nos adversaires. Il apparaît dans le même temps que Affi et certains de ses partisans avec, foncent têtes baissées parce que « complètement cramés ». Le groupe de médiation avait ouvert un espace à Affi pour qu’il reprenne toute sa place en commençant par ressouder le parti, en lui redonnant la cohésion dont il a besoin. Mais la réalité démontre que les excuses qu’Affi N’guessan a présentées - du bout des lèvres d’ailleurs lors de séances du Comité central - ne furent que feintes. Qu’Affi s’en prenne à lui-même. Qu’Affi regarde autour de lui ce que la Côte d’Ivoire est devenue. Qu’Affi se rappelle que c’est pour nous tous que Laurent Gbagbo est à La Haye. Qu’Affi comprenne que les partisans du FPI ont besoin d’une ligne claire, d’une cohésion et du courage pour sortir des brimades de ce pouvoir sans cœur. Si Gbagbo est candidat, c’est parce que lui seul peut apporter cette cohésion, rassembler tout le monde. Ce n’est pas contre Affi. C’est même plutôt pour Affi. On a eu recours à Gbagbo, on a eu recours à un rassembleur parce qu’Affi s’est disqualifié lui-même plus d’une fois dans ce sens.

Il faut noter que tous ceux qui courent comme Affi ne sont pas dans la même logique que la base et plus de la moitié des cadres. Affi et son état major sont dans une logique de faire « des yeux doux » à Ouattara pour que leurs comptes soient dégelés ; pour vivre, à défaut d’obtenir – sur le plan politique – ce que leur font miroiter les comploteurs obscurs et leurs alliés qui s’acharnent à nous diviser, tranquillement de la rente qu’ils ont constituée. Peu importe ce que les Ivoiriens continueront de vivre.

Il revient aussi qu’Affi entend jouer deux cartes. Celle soit de faire annuler le Congrès en invoquant avec Hamed Bakyoko le risque de trouble à l’ordre public soit en estant en justice pour invalider la victoire de Laurent Gbagbo si celui-ci l’emportait. Affi pourrait alors continuer d’agir comme le président du FPI. Ce cynisme doublé d’une félonie est devenu trop gros et ne peut donc plus passer. Il faut dire qu’Affi ne raisonne plus parce qu’il se sait « cramé ». Il reste donc sur un point de non-retour. C’est dommage pour tout ce qu’il a fait croire être. Mais c’est aussi ce miroir qui est dur à regarder. Il faudrait emprunter de l’humilité à Laurent Gbagbo. Le Congrès à venir doit également s’appuyer sur cet exemple pour mettre hors d’état de nuire ou au pire purger des rangs du nouveau FPI, les ingénieurs de toutes formes de duplicités.

Affi serait-il mis en difficulté parce qu’il est « Akan » ! La vraie question doit être : « y a-t-il une aspiration forte de la base à la démocratie ? »
C’est dommage que le journal « Le patriote » et les penseurs du RDR nous servent la vielle rengaine qui consiste à prendre des raccourcis lorsque des problèmes de fond sont posés. Au contraire du RDR, le FPI ne peut pas être considéré comme un parti tribaliste. « Le patriote » pourra vérifier le nombre de Bété qui ont été promus ministres lorsque Laurent Gbagbo était au pouvoir. Après il pourra rester très longtemps sur la « dioulatisation » des institutions et administrations du pays. Ceux qui ont érigé le tribalisme, la violence et l’ignorance comme paramètres de promotion ont du mal à se regarder dans le miroir et trouvent alors des occasions partout pour rejeter les vilénies sur les autres. Oui ! La haine tribale, la violence politique est réprouvée par les Ivoiriens. Il faudra regarder comment est constituée l’équipe qui porte la candidature de Laurent Gbagbo pour que les tentatives de « Le patriote »-RDR ne résistent pas ! Il faut raison gardée en revenir au sujet en cours et ne pas se laisser distraire. Affi a fait plus de 12 ans à la tête du FPI sans rendre le moindre compte aux militants. Et il pouvait peut-être être reconduit s’il ne s’était pas lui-même constitué en repoussoir.

Au-delà de la question cruciale du rassemblement, il y a un réel besoin de démocratie et de rénovation ?
Le Front populaire ivoirien a besoin de se rassembler pour retrouver sa vitalité. Devant le nombre des enjeux et de leurs importances, il est incompréhensible que le FPI disperse ses forces dans des crises internes. La crise actuelle a par ailleurs pris beaucoup trop de place parce que trop d’hypocrisies se manifestent dans ce parti où il convient de débattre clairement pour avancer une fois que les actes sont pris. Ce parti qui regorge d’intellectuels doit se remettre profondément en question pour identifier le modèle de société qu’il doit défendre. De par ses ressources humaines brillantes, le FPI doit revêtir une capacité d’entraînement qui met en avant, dans sa gestion des ressources humaines et des débats d’idées - qui doivent être des laboratoires de réflexions prospectives - des critères de compétences et non des gages de copinage de sectarisme. Ce sont ces dérives qui ont pu être parfois observées et qu’il faudra attaquer de front. Ce que le pays entier attend du FPI avec d’autres forces africaines, c’est de se forger de vraies ressources pour pousser nos partenaires quels qu’ils soient vers l’écriture d’un nouveau paradigme. On ne peut pas laisser perpétuellement et sans scrupule l’Afrique en proie à des logiques de prédation parce qu’elle n’est pas une puissance. La force de conviction d’un peuple est plus qu’une force militaire. La logique de capitulation de la tendance Affi est simplement indigne et décevante. Il convient de se ressaisir notamment en tirant des leçons, plutôt que de jouer un entêtement gratuit.

Au regard de ce qui précède, il faut retenir que nombre de cadres et non-cadres du FPI ont fait mains et pieds en interne pour que le maintien de la cohésion soit une priorité. Mais le président du FPI a une conception du pouvoir qui l’amène à prendre les autres de haut. Il prend la manifestation de la tolérance - et l’observation de la discipline du parti - des autres comme de la faiblesse. C’est l’occasion de dire qu’à la veille du congrès, tout le monde soit se remettre en question. Tous ceux qui ont soutenu Affi N’guessan pendant plus de 12 ans sans l’interpeller une seule fois sur ses différentes dérives notamment dans la gestion des ressources humaines doivent également faire leur aggiornamento. Les égos, la sauvegarde de l’amour-propre, les émotions doivent s’estomper devant l’intérêt général.

Le malaise est profond et tout le monde à bout de souffle pour avoir essayé de prendre sur lui. Tous ceux qui veulent abréger le problème crucial de la ligne du FPI à un problème de personne Affi ont tort. La crise qui frappe le pays a inéluctablement ouvert une nouvelle ère. Actuellement, certains – et ils sont nombreux – font la fine bouche en apparence alors qu’ils sont des potentiels Affi. D’autres trouvent là une occasion de recycler leurs pratiques dépassées pour se remettre au goût du jour. Tous ces opportunistes, à défaut de moderniser leur comportement, en vue de plaider pour l’injection de « nouveaux sangs » et de nouvelles pratiques doivent être combattus. L’on attend véritablement que l’intérêt collectif soit observé aux dépens de la promotion de carrière et des « faveurs » à des auto-proclamés « sages ». Il importe de noter que la crise profonde qui frappe le pays a fait naître une conscience politique dans la Diaspora. Passé le temps des émotions et des gesticulations circonstancielles, tous ceux qui aiment le FPI doivent faire le tri pour aller vers un saut qualitatif dans le respect des uns et des autres. En mettant en avant les paramètres qui sont susceptibles de concourir à l’efficacité, en faisant un effort sur soi pour se débarrasser de la frilosité et du sectarisme, le FPI doit se rassembler derrière Laurent Gbagbo pour gagner la bataille de la démocratie contre les forces rétrogrades.

Une contribution de Dr Claude KOUDOU
Enseignant-Ecrivain, Directeur de la Collection « Afrique Liberté » chez les Editions L’Harmattan ;
Président des Convergences CPDA « Convergences pour la Paix et le Développement de l’Afrique »