Débat: Nicolas Sarkozy a-t-il réussi son retour sur la scène politique ?

Par Le Monde - Nicolas Sarkozy a-t-il réussi son retour sur la scène politique ?

PHOTO: En assurant que ce n'était pas sa "rentrée politique", l'ex-chef de l'Etat, présent pour la première fois au siège du parti depuis 2007, s'est pourtant lancé dans un discours de politique générale. REUTERS/PHILIPPE WOJAZER.

L'intégralité du débat avec Thomas Guénolé, politologue et maître de conférence à Sciences Po, mardi 9 juillet 2013

Dans un chat sur Le Monde.fr, Thomas Guénolé, maître de conférence à Sciences Po et auteur de l'ouvrage Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible (éd. First, 16,90 euros), juge que l'ancien président s'est posé en "homme providentiel", lundi, lors de son retour à l'UMP. Pour le politologue, M. Sarkozy a suivi "un positionnement gaulliste" en essayant de se situer "au-dessus des partis" et en "appelant au rassemblement face à la crise".

Qu'avez-vous pensé de la venue de Nicolas Sarkozy au siège de l'UMP, lundi ? Comment faut-il interpréter sa réapparition ?

Thomas Guénolé : J'ai vu une UMP rassemblée derrière l'homme providentiel face à la crise majeure vécue par le parti. Nicolas Sarkozy prend un avantage décisif dans la réaffirmation de son leadership sur la droite : François Fillon n'a pu que s'asseoir et écouter la parole du chef de file.

Michel : Nicolas Sarkozy s'est-il posé comme un futur candidat à la présidentielle, lundi ?

Je ne vois pas l'intérêt de faire un discours politique général si ce n'est pas pour faire un pas de plus vers la candidature.

Guillaume L : Pensez-vous que ce "retour" en soit véritablement un ? Une fois la crise passée (si elle passe), peut-il retourner dans son silence pour éviter d'avoir à tenir quatre ans (une éternité) d'opposition omniprésente ?

Il n'y a pas de retour de Nicolas Sarkozy dans la vie politique car il n'est jamais parti. Nicolas Sarkozy a une tactique de parole rare pour rester précieuse. Elle est copiée sur celle de DSK avant l'affaire du Sofitel. Je pense que Nicolas Sarkozy va conserver cette tactique en n'intervenant que sur des sujets éminemment présidentiels. Il se posera ainsi en "contre-président" face à François Hollande.

Le Concombre masqué : N'est-ce pas simplement une parenthèse dans son sommeil médiatique ?

Ce n'est pas une parenthèse, c'est une étape de plus. Auparavant, Nicolas Sarkozy pratiquait la communication indirecte, par l'intermédiaire de ses porte-parole. Cette fois, il est réapparu comme leader charismatique de la droite. Les deux prochaines grandes étapes, sauf souci judiciaire grave, sont la réaffirmation du leadership après les élections européennes, et la reprise en main du parti au plus tard fin 2015, car il faudra au moins un an pour remettre de l'ordre dans les écuries d'Augias.

Damien : Selon vous, c'est Nicolas Sarkozy qui vient au secours de l'UMP ou l'inverse ?

Les deux, mon général. Sans l'UMP, Nicolas Sarkozy risquait une dette personnelle sur les comptes de campagne. C'était une vraie épée de Damoclès. L'UMP endossant cette dette, l'épée disparaît. Sans Nicolas Sarkozy, l'UMP était sans leadership face à sa crise de surendettement, qui rappelle d'ailleurs celle de la Grèce : quelque part, la dette de l'UMP c'est plus de 200 % de son PIB : plus de 40 millions de dettes pour 20 millions de recettes annuelles.

Fab : En venant à l'UMP lundi, Nicolas Sarkozy a-t-il voulu reprendre la main sur l'UMP et montrer à tous ses rivaux qu'il restait le patron ?

Oui.

Rico : Nicolas Sarkozy s'est présenté comme le sauveur de l'UMP alors que c'est la mauvaise gestion de ses comptes de campagne qui a mis les comptes du parti dans le rouge. Comment a-t-il réussi ce tour de force ?

Nicolas Sarkozy a utilisé un argument très porteur : les règles en la matière, si vous me passez l'expression, sont mal fichues. Avec 11 millions d'amende pour 2 % de dépassement (400 000 euros), il y a un problème de disproportion. Nicolas Sarkozy a aussi utilisé une méthode de défense que j'appelle "le procès cathodique". Ce procès a l'opinion publique de droite pour jury, les médias comme juge instructeur du tribunal, les magistrats (ici les sages du Conseil) comme accusé, les lieutenants sakozystes comme procureur, et il n'y a pas d'avocat de la défense. Cette méthode avait déjà été employée contre le juge Gentil dans l'affaire Bettencourt. Enfin, le "peuple de droite" a un rapport sentimental vis-à-vis de son leader charismatique. Quand il est attaqué, de son point de vue, a priori, c'est une persécution.

Walid : Nicolas Sarkozy n'est-il pas en train d'apparaître comme un martyr ?

Cela dépend pour qui. Pour le "peuple de droite", oui. Pour les électeurs de la gauche, des extrêmes et du centre, en aucun cas. Cependant, ce qui compte pour lui, c'est la fidélité de ce "peuple de droite". Surtout si, difficultés de la gauche aidant, l'élection présidentielle de 2017 se joue dès le premier tour.

Ralf : Selon vous, Sarkozy suit-il une stratégie à la Berlusconi, qui consiste à affronter le système judiciaire en prenant les Français à témoin ?

Oui. Cependant, comparaison n'est pas raison. La nature des affaires judiciaires, dans les deux cas, n'est pas la même. Par ailleurs, Silvio Berlusconi a été condamné. Le mécanisme de victimisation, en revanche, est le même, c'est indéniable.

Visiteur : N'est-ce pas négatif pour lui de faire une apparition dans le contexte des problèmes de ses comptes de campagne ?

Non, car l'argument de la sanction disproportionnée a fonctionné sur le "peuple de droite". Il a, par ailleurs, explicitement assumé ses responsabilités sur ce point. Or, le "peuple de droite" est très sensible au sens des responsabilités du chef. Par ailleurs, il n'a parlé que quelques minutes sur ce point et, ensuite, a tenu un discours de chef de file de la droite qui annonce une rénovation programmatique encore en travaux.

Qu'avez-vous pensé de son discours sur le fond ? A-t-il montré, selon vous, qu'il voulait rompre avec sa stratégie "à droite toute" de la campagne présidentielle de 2012 ?

C'était un discours d'homme providentiel au-dessus des partis, ni gauche ni droite, appelant au rassemblement face à la crise. C'est la définition même d'un positionnement gaulliste. A contrario, on ne trouve pas trace dans son discours de la ligne de "lepénisation", souvent appelée "ligne Buisson".

Lucie : Sarkozy essaie-t-il de cette manière de rompre avec son image clivante de la campagne de 2012 ?

Oui. Actuellement, dans son entourage, sa garde rapprochée déjà reconstituée, la balance est en train de pencher du côté de la ligne du rassemblement gaulliste au-dessus des partis. Reste à savoir si ce rapport de forces perdurera.

Kent1 : Quel intérêt pour lui d'axer son discours de retour sur l'Europe ? Il prépare les élections européennes ?

Plus précisément, je pense qu'il prend date pour le lendemain des élections européennes. Le risque d'une très mauvaise surprise pour les partis de gouvernement est réel. Actuellement, FN et UMP sont au coude à coude dans les sondages. Cela explique d'ailleurs les appels de Jean-François Copé à des listes communes UMP-UDI.

Rashie : Je pense que sa posture gaulliste n'indique pas nécessairement ce qui va se passer par la suite. On n'attendait pas de lui, dans un discours de rentrée assez général, des postures "buissonnantes". Qu'en pensez-vous ?

Il y a un précédent. En 2007, Nicolas Sarkozy avait fait, pour l'essentiel, une campagne gaulliste et d'ouverture. Mais, simultanément, il avait émis un marqueur de droite sécuritaire, dit "Buisson", avec le ministère de l'immigration et de l'identité nationale. Il n'est pas exclu qu'il retente un dosage entre droite gaulliste et droite sécuritaire. Pour aller plus loin, en 2007, Nicolas Sarkozy avait nourri les quatre droites dans son message : libérale, gaulliste, morale, sécuritaire. En 2012, il n'y avait pas cet équilibre.

Bachir : N'est-il pas trop tôt pour faire un retour sur la scène politique, sachant que les prochaines élections présidentielles auront lieu en 2017 ?

Il faut distinguer le retour comme chef de la droite, le retour comme chef du parti et le retour comme candidat à l'élection présidentielle. Nous avons assisté au retour comme chef de la droite. Visiblement, Nicolas Sarkozy va continuer d'être économe de ses mots. A nouveau, la similitude avec la tactique de parole rare de DSK avant le Sofitel est frappante.

Nico : La réapparition de Sarkozy va-t-elle bloquer les ambitions de Fillon, Bertrand et des quadras ?

Les quadras sont dans un plan de carrière différent. Ils ne visent pas nécessairement "pour de vrai" le leadership. Il s'agit plutôt d'exister en affichant cette vraie-fausse ambition. On peut comparer cela à Manuel Valls et Arnaud Montebourg lors de la primaire socialiste de 2011 : il s'agissait de prendre date pour l'avenir.

Pour quelqu'un comme François Fillon, c'est différent. Son plan de carrière implique de réussir à devenir le candidat en 2017. La réapparition de Nicolas Sarkozy comme leader charismatique de l'UMP affaiblit considérablement toutes ses ambitions. Il est en effet sans rival à ce jour dans les intentions de vote des adhérents et des sympathisants de l'UMP. Le meilleur challenger, François Fillon, est loin derrière.

Math : Quelles sont les conséquences du retour de Sarkozy pour Fillon ? Comment peut-il résister au retour de Sarkozy ?

Hier, on a vu François Fillon assis, devant écouter la parole du chef. C'est un coup dur. S'il ne réagit pas rapidement, s'il attend la primaire, il subira le rouleau compresseur sarkozyste. La question est de savoir si François Fillon est prêt à franchir le Rubicon,en se présentant explicitement et rapidement comme le rival de Nicolas Sarkozy pour la toute première place à droite.

ThomasBrux : Quels sont les scénarii possibles pour Francois Fillon, lui qui a déclaré vouloir aller jusqu'au bout en 2017, dans le cas d'un retour de Sarkozy ?

François Fillon continue de tracer son chemin pour la primaire de 2016. Son "entourage" l'a déjà annoncé ces dernières vingt-quatre heures. Il s'agirait qu'il marque plus clairement sa différence sur le fond. Peut-être devrait-il aussi aller jusqu'à revendiquer le besoin d'un "droit d'inventaire" des années Sarkozy.

Lucie : La réapparition de Sarkozy ne va-t-elle pas geler le débat d'idées à l'UMP, en rendant impossible tout droit d'inventaire du précédent quinquennat ?

A droite, la norme c'est que le "droit d'inventaire" du chef passé soit le privilège exclusif du nouveau chef ou du chef en devenir. Le "droit d'inventaire" des années Chirac avait été fait par Nicolas Sarkozy lui-même. Si François Fillon veut s'affirmer comme chef possible, il doit oser ouvrir l'inventaire. Il doit cependant bien comprendre que s'il le fait, le rapport de forces avec Nicolas Sarkozy d'ici 2016 sera très dur. Mais s'il ne le fait pas, ses perspectives de leadership à droite disparaissent.

Math : Quels sont les atouts de Fillon par rapport à Sarkozy ? Ses faiblesses ?

Le grand point fort de François Fillon, c'est le fond. Il est le seul challenger de Nicolas Sarkozy à avoir développé sa propre vision politique et programmatique, très complète. Le grand point faible de François Fillon, c'est son manque de charisme. Plus généralement, sa tendance à être bon en défense ou en contre-attaque, mais à ne jamais, ou presque jamais, attaquer. Face à Nicolas Sarkozy, c'est un problème.

Visiteur : La droite ne se résume-t-elle plus qu'à Nicolas Sarkozy ? Pourquoi est-il le seul audible ?

Ce n'est pas la droite qui se résume à Nicolas Sarkozy. C'est Nicolas Sarkozy qui s'étend à toutes les droites. De tous les hommes politiques de la Ve République, il est le seul à être parvenu à incarner, simultanément ou alternativement, les quatre droites : libérale, gaulliste, morale, sécuritaire.

Jim : Pour vous, Sarkozy est-il actuellement le meilleur candidat de la droite pour 2017 ?

Aujourd'hui, oui, pour le premier tour. Les sondages auprès des électeurs de droite sont sans appel. Au second tour, en revanche, tout dépend de la ligne. Si c'est la ligne de lepénisation dite "ligne Buisson" qui prédomine, cela fera fuir l'électorat de l'"extrême centre", ce qui l'a déjà fait perdre au second tour de 2012. Attention : il est cependant possible que la présidentielle de 2017 se joue dès le premier tour, parce que Marine Le Pen se serait qualifiée pour le second. Auquel cas, l'autre qualifié est élu d'office.

Laura : Sarkozy est-il le candidat de droite le plus dangereux pour Hollande, selon vous ?

Encore une fois, tout dépend de la ligne. Avec une ligne gaulliste d'homme providentiel face à la crise, oui. Cependant, le pire ennemi de François Hollande, c'est la crise. L'abstention monte à gauche.

Martin : Existe t-il actuellement des obstacles à un retour politique de Sarkozy en 2017 ?

A l'heure actuelle, le principal danger vient des affaires judiciaires. Si demain, un dossier d'instruction très solide, à la différence du dossier Bettancourt, aboutit à sa mise en examen, cela peut lui barrer la route. Cependant, plus les jours passent, plus les chances augmentent de voir les dossiers d'instruction ne pas pouvoir être finalisés d'ici 2017.

Visiteur : "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible" : pensez-vous que le titre de votre ouvrage reste d'actualité ? Jugez-vous toujours impossible son retour ?

Le retour de Nicolas Sarkozy dans la vie politique est impossible pour une raison simple : il n'est jamais parti. C'est le sens du titre de mon livre.

Chat modéré par Alexandre Lemarié